Si 2022 s'était écoulée sur un fil, 2023 s'est déroulée sur un pont.
Une année de labeur et de récolte calme, guidée en premier lieu, je crois, par mon petit outil de suivi de tâches. Celui-ci a été d'une aide précieuse, et parfois essentielle, pour m'organiser d'un jour à l'autre, d'une semaine à la suivante. En jargon médical, on parlerait de remédiation cognitive.
Il y avait bien sûr, autour de cet outil, plusieurs vecteurs de stabilité :
- un traitement antidépresseur, mené à terme au début de l'été ;
- un suivi régulier auprès d'un psychologue attentif ;
- le projet d'encadrement des 15 tirages de ma série photo ataraxie ;
- un jeu vidéo, Noita, dont les mystères m'ont obsédée avec intensité ;
- mon couple avec N, réuni sous un même toit, à éprouver et apprécier une vie à deux ;
- la compagnie, joyeuse (le jour) et parfois pénible (la nuit) de la jeune Suashem ;
- et puis le travail chez Weenat, le travail, le travail.
Sur ce dernier point, j'ai des pensées ambivalentes. J'aime coder, étudier des systèmes, résoudre des problèmes. Mettons de côté les frustrations liées à une gestion de projet inégale : mon cerveau demande du grain à moudre, et mon poste actuel en fournit à foison. Mais... je n'ai pas le sentiment de m'accomplir, je ne me reconnais ni dans les services que l'entreprise propose, ni dans l'environnement social qui s'y tient. Est-ce que des revenus stables, pour un toit sur nos têtes et un quotidien frugal, valent cette aliénation ? En 2023, j'ai répondu plutôt oui, et parfois non.
Des doutes, bien sûr, j'en ai depuis longtemps. Sous une forme ou une autre, je connais ce motif de l'identité contrariée depuis dix, peut-être quinze ans. Et il y a quand même eu du progrès sur ce front l'an passé. Déjà, dans la décision de poursuivre une vaginoplastie. Je l'ai organisée pour janvier 2024, en Thaïlande plutôt qu'en France. En effet les délais d'intervention en France dépassent souvent 3 ans, avec beaucoup d'incertitudes sur le chemin, et des résultats un peu trop variables à mon goût. J'ai la chance d'avoir pu mettre suffisamment d'argent de côté pour faire cette opération à Bangkok, auprès d'une clinique reconnue, ce qui évitait l'attente et m'inspirait plus confiance.
J'ai aussi reçu un diagnostic d'autisme de la part d'une équipe du CHU de Nantes. (Auparavant, la médecine distinguait un « syndrome d'Asperger » un brin surplombant ; aujourd'hui on préfère parler de personnes affectées par un « trouble du spectre de l'autisme » à différents degrés de sévérité.) L'annonce ne tenait pas de la révélation, dans la mesure où je m'étais auto-diagnostiquée en 2017, puis une psychiatre libérale avait prononcé un diagnostic informel en 2019. Mais il y a quelque chose d'apaisant et de valorisant, comme une absolution, à savoir que l'institution médicale reconnaît, et ne rejette pas, des traits individuels qui m'ont souvent fait me sentir fautive. Par ailleurs, ce diagnostic ouvre la porte à une reconnaissance administrative de handicap.
Il y a un artefact de dépression qui s'est développé en parallèle de ces nouveaux repères : l'idée que je me suis assagie. Je considère que, par le passé, j'ai vécu des aventures plutôt étranges. Traîner dans les catacombes de Paris. Écrire des textes pointus et à contre-courant. Faire du light painting dans des friches industrielles. Gravir une colline pour observer l'orage. Et j'avais régulièrement de la compagnie, des liens qui vibraient, qu'ils soient durables ou passagers.
L'étrangeté n'était pas une destination en elle-même, mais sa présence récurrente l'a transformée, quelque part, en marque d'identité. C'est la raison pour laquelle son absence en 2023 était une blessure. Les sentiments sont pacifiés, les actes se normalisent, le magma est endigué. Je vends mes services, j'achète des plaisirs. Des œillères de classe moyenne occultent mes rêves. Les amis, c'est de loin en loin que je les croise. Hors des bois, un soleil tiède, un horizon ras. Je m'inspire de l'ennui...!
Enfin, c'était une pensée, pendant une année. Celle où j'avais trente ans.
Pour délayer cette saillie, qui n'était en aucun cas une conclusion, voici quelques derniers points :
- le concert de Darkside sur lequel j'ai dansé ;
- celui de Kham Meslien sur lequel j'ai plané ;
- un retour aux écoutes funk, avec Vulf et Knower en particulier ;
- plusieurs puzzle games, patiemment, consciencieusement ;
- une consommation de contenu YouTube et Twitch en hausse ;
- un nombre de séances ciné au plus bas depuis 2010, à regret ;
- et un orgasme sans les mains. ✌️
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