Une année de peu de surprises, mais non moins de satisfactions.
Comme prévu, la convalescence de ma SRS* réalisée en début d'année a siphonné une bonne partie de mon énergie. Après un mois-parenthèse en Thaïlande, shootée aux anti-douleurs, à l'exotisme, et au soulagement d'une dysphorie endiguée, le retour en pays nantais s'est avéré difficile. Trois mois d'arrêt de travail, trois autres en temps partiel thérapeutique, une ronde de consultations d'endocrino, de gynéco, de kiné-sexo. Le chirurgien a réalisé un travail impeccable, mais ma cicatrisation vénère et mon périnée en béton ont compliqué les soins post-op. Je n'ai peut-être jamais autant fait preuve de discipline face à la contrariété. J'en vois la fin, et j'en ai même récolté des premiers plaisirs. Meilleure décision de ma vie, dix-sur-dix je recommande.
En parallèle de cette convalescence, et mettant à profit les centaines d'heures que j'ai dû passer alitée, je me suis faite de plus en plus présente en ligne sur les serveurs Discord de Fransgenre et des Chirurgies Trans. Je ne sais pas si on peut parler d'engagement associatif, mais enfin j'ai pris à cœur de pratiquer de la pair-aidance dans ces espaces. J'en ressors lessivée, un brin amère. L'investissement militant et la sagacité de certain·es membres me laissent admirative, mais la complaisance endémique avec un certain dogmatisme identitaire m'épuise et m'ennuie. Je ne me suis pas extraite des limites du genre pour retomber dans un sérail de morale et d'absolus... Pour ne rien aider, à côté des jeunes adultes qui tentent de s'out-queer les un·es les autres, il y a aussi les addict·es au trauma dumping. Je ne leur jette pas la pierre, dans la mesure où leur condition est généralement la résultante d'un délaissement social et/ou médical, mais à mon sens c'est une autre défaillance de la modération que de normaliser ces expressions.
Quand je n'étais pas occupée sur ces espaces virtuels, j'ai souvent lu. Les bibliothèques et les boîtes à livres étaient de bonnes partenaires. Moitié fiction, moitié essai ; moitié français, moitié anglais. Pendant deux ou trois mois j'ai creusé un peu le champ des études de genre, avec des résultats contrastés. J'ai découvert qu'un des grands classiques du milieu, Trouble dans le genre, était assez vaseux. Les failles sont si profondes que j'en viens à me demander qui, parmi toutes les personnes qui citent Butler, l'ont lu·e avec un minimum de sérieux critique — ou qui l'ont lu·e tout court, en fait. Dans cette période, les textes qui m'ont le plus parlé étaient signés par un certain Alexandre Baril, qui s'est notammment attaché à explorer les intersections entre transidentité et handicap. J'ai moi-même entamé une série d'articles sur le sujet, qui a plutôt pris l'eau à mesure que je constatais les limites des espaces trans sur Discord et que j'étais rattrapée par mes obligations contractuelles au travail. J'ai la structure d'ensemble, et plusieurs pages de notes, mais à quoi bon.
Avant de reprendre pleinement mon activité professionnelle, j'ai eu le temps de développer pour mon site perso un outil de visualisation auquel je pensais depuis au moins deux ans. Il s'agit d'une chronologie de mes découvertes culturelles, alimentée par les œuvres et les dates que je relève régulièrement. La page est d'ores et déjà fonctionnelle ; j'en reparlerai dans un futur billet de blog.
Restons dans la tech et parlons de mon travail en entreprise. Il m'aura fallu un à deux ans pour me sentir bien compétente sur mon poste de dev backend. Cette aisance, quoique rassurante, m'a aussi permis de considérer certaines de mes frustrations en tant que symptômes de faits structurels : non pas des défaillances émotionnelles de ma part, mais des dysfonctionnements dans l'organisation du projet. La gestion « agile » ignorait toute évaluation de la charge de travail ou des ressources disponibles, systématisant le parachutage de nouvelles fonctionnalités et le travail à flux tendu sur une base de code abimée. Mes efforts pour répondre à l'absence radicale de documentation avant mon arrivée dans l'équipe, travail ingrat dont s'étaient collectivement défaussés mes prédécesseurs, se sont aussi heurtés à une inertie certaine (quand il ne s'agissait pas d'une indifférence explicite). J'ai pris acte de la situation et du peu de réactions que suscitaient mes doléances : quand une occasion s'est présentée ailleurs, je n'ai pas tardé à la saisir.
L'occasion en question ne vient pas des innombrables messages de recruteurs·trices qui pullulent sur LinkedIn, mais d'une autre communauté Discord, celle développée autour du site Thinky Games. J'avais proposé en cours d'année quelques articles pour la base de données de jeux vidéo qui était alors en préparation, et comme le projet peinait un peu à émerger, j'ai proposé de prendre en charge une partie du travail et de m'y investir en capacité d'éditrice. Même si j'écris sur des productions culturelles depuis une dizaine d'années, et que les jeux vidéo occupent une part importante de ma vie depuis encore plus longtemps, je ne suis pas encore remise de l'étonnement d'être rémunérée pour cette pratique — ni du plaisir qu'il y a à ce qu'une de mes passions coïncide avec mon activité professionnelle. Il est prévu que je contribue plus encore au site en 2025, et je m'en réjouis. Le principal risque que j'identifie (bien connu et des travailleur·euses du jeu vidéo, et des travailleur·euses indépendant·es) serait de me surcharger de travail, mais je vais m'attacher à établir des limites et mettre en place des stratégies pour que ça n'arrive pas.
Autrement, ma santé mentale était assez bonne cette année. Très peu d'accès dépressifs, aucune idéation suicidaire sérieuse, des pensées plutôt endiguées et rarement turbulentes. Mon sommeil est moins inégal que par le passé, quoique toujours fragile ; pour les insomnies occasionnelles, j'ai pris l'habitude de me lever et de lancer quelques épisodes de séries (The Good Fight, Elsbeth, Fargo) pour éviter de batailler avec un cerveau qui tourne à vide. Le contexte n'était en tout cas toujours pas favorable aux explorations oniriques ou hypnagogiques. Je n'ai pas repris de suivi psy — je poursuivrai peut-être certaines pistes, mais je me sens à peu près autonome, et j'ai l'impression que m'imposer des séances relèverait de l'introspection excessive et de la surmédicalisation.
Le coup de pouce pour me faire sortir de ce circuit, ou plutôt le coup de coude dans les côtes, aura été le refus de la MDPH** quant à l'attribution d'une PCH** pour le remboursements de séances psy. La seule chose que j'aurai obtenue de l'administration au terme de ces longues procédures, c'est une RQTH** valable un an, comme si la condition avec laquelle je négocie depuis mon enfance n'était qu'un mauvais rhume sur le point de s'évaporer spontanément... Je crois que je me serais sentie moins injuriée si je n'avais rien obtenu du tout. Les médecins qui avaient établi mon diagnostic d'autisme recommandaient pourtant un accompagnement sur plusieurs années, mais je récolte juste un label périmable et, dans ma situation, essentiellement symbolique. Mon erreur est peut-être de n'avoir pas fait appel de la décision, mais je n'ai plus envie de me battre à ce niveau.
En toile de fond de tous ces évènements, mais au premier plan de mon quotidien, se trouvait mon partenaire Nico. Soutien indéfectible face aux épreuves, complice de jeuxj et compagnon de routine, notre union a fleuri au-delà des premières idylles. Il y a, bien sûr, quelques frustrations qui se sont développées, des accrocs dans la trame des jours (tel projet qui tarde à progresser à mon goût, telle contradiction qui m'inspire du jugement), et pourtant les nuages de dispute qui éclataient auparavant entre nous se sont comme évanouis. Nous savons certainement mieux communiquer qu'à nos débuts. Mon opération a rebattu les cartes de notre sexualité, et il a su — il sait — m'accompagner avec plus de patience et de curiosité que je ne m'en accorde à moi-même. J'espère, à terme, disposer d'une room of my own pour cultiver plus facilement ma créativité, mais le bien-être que m'apporte cette union dépasse déjà ce que je croyais possible.
Par contraste, cette année chargée ne m'aura pas laissé beaucoup de place pour faire de nouvelles rencontres ou renforcer des amitiés. (Mon investissement dans certaines communautés Discord était un pas délibéré en ce sens, mais ultimement j'aspire à autre chose que des liens à distance.) De façon générale, je ne me suis pas beaucoup laissée aller cette année ; je n'étais pas dans les meilleures dispositions pour m'ouvrir à d'autres personnes. Dans les contextes professionnels ou dans celui de ma convalescence, j'ai entretenu un état d'esprit rigoureux, cartésien, qui m'a un peu plus éloignée d'une partie de mes valeurs : l'euphorie de la surprise, l'écho des mystères, les volutes du malaise, l'ivresse de la distinction. Ma créativité et mon image de moi-même, faute de les exercer autant que je le voudrais, n'en sont pas moins en mouvement, et je sens que la fin de ma transition et l'apaisement de mon quotidien referment des portes de douleur sur un espace nouveau, inconnu mais libre. J'aimerais témoigner de certaines expériences avant d'en oublier définitivement les saveurs (l'économie de la volonté qui accompagne une condition dépressive, l'humilité de la raison face à la dysphorie, etc.), mais après tout j'arrive enfin à poursuivre des projets que je peux, que je veux dire miens, et mon cap sera de continuer à vivre au présent.
Puissent ces derniers points listés m'excuser de ma logorrhée :
- se perdre dans le labyrinthe Lorelei and the Laser Eyes ;
- lier l'instinct et l'extase dans le Flow ;
- ancrer mes articles de blog avec des liens archivés, à contre-temps ;
- recueillir une sœur trans en galère, sans garantie d'avenir ;
- siroter le soleil couchant dans un bassin des Alpilles ;
- revenir par les Cévennes et être ravi·es par Florac.
*SRS, CRS, GAS, vaginoplastie : autant d'acronymes opaques ou de termes maladroits pour désigner un ensemble de procédures chirurgicales liées à une transidentité. Je parle un peu plus de mon intervention ici.
**MDPH : Maison départementale pour les personnes handicapées. PCH : Prestation de compensation du handicap. RQTH : Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.
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