garde-fou post-opératoire

Souviens-toi, essaie de te souvenir, du sourire irrépressible suscité à l'approche de cette opération.

En dépit des lacunes d'accompagnement du système de santé français, et du chaos des témoignages anonymes qui, seuls, pouvaient guider une décision ; en dépit des risques d'une chirurgie complexe ; en dépit de l'anxiété liée à un voyage à l'autre bout du monde, dans un pays inconnu, et à l'interaction avec une clinique anglophone ; en dépit de la farce administrative qu'était l'édition d'un nouveau passeport ; en dépit des arrangements domestiques et professionnels à mettre en œuvre ; en dépit de cette voix intérieure récurrente qui voudrait ignorer la dysphorie et se contenter d'un status quo ; en dépit du décalage social que l'expérience de transition entretient avec l'essentiel de ton entourage ; en dépit de tout ça, tu t'es engagée, tu as cherché, tu as persisté. Tu l'as fait parce que tu étais convaincue que ça en valait la peine.

Tu l'as fait. Ça a été une motivation cardinale depuis ta tentative de suicide. Faire disparaître la gêne constante, ou la peur, que cette bosse idiote génère de l'attention. Cesser de convoquer maladroitement un point aveugle dans le reflet des miroirs. Réduire la dissonnance, irrationnelle mais tristement tenace, qui flanque chaque relation sexuelle. En un mot de poète, chercher à atténuer, peut-être même à résoudre, mon humiliation.

Quand tu seras immobilisée à l'hôpital, puis quand tu seras occupée par les soins post-opératoires, quand tu seras anxieuse des nouvelles choses à assimiler, et frustrée du temps et de l'énergie que ce projet prend sur d'autres, c'est là qu'il faudra se souvenir de ces sentiments, de cette volonté.

Tu te sais vulnérable à des épisodes dépressifs. Tu vas sans doute être découragée, et refuser d'accorder de la valeur à tes décisions passées. Mais souviens-toi de ces efforts déployés, et tâche d'accepter les désagréments présents. Ils se résoudront progressivement. Ne crains pas non plus de prendre ou de demander l'aide de tes proches. Accepte leurs interventions, reçois leur soutien.

Souviens-toi de ce sourire irrépressible, et de l'enthousiasme qui s'est fait jour dans les semaines qui ont précédé l'opération. Un sentiment sans précédent, profondément euphorisant, si étrange qu'il en paraissait suspect. Daigne t'attribuer la clairvoyance d'avoir pris un chemin difficile, mais juste. Fais-toi confiance, et apprécie le voyage.