Psychanalyse – Séances 6 à 8

Pour tenter de déjouer ma dépression, ma psychiatre m'a conseillé de prendre contact avec une psychologue, dont la démarche s'appuie sur des principes de psychanalyse. Je garderai ici une trace sommaire des cheminements de pensée et des avancées apparentes, d'abord pour tenter d'ancrer tout progrès en moi, mais aussi pour permettre, selon ce qui vous intéresse, d'appréhender mon parcours personnel ou bien la démarche générale.

Trigger warning: automutilation.

Séance 6

L'examen d'une longue lettre à M. et l'échange de quelques messages avec L. ne m'ont pas beaucoup éclairée sur la construction de mon rapport à l'autre. Je reconnais ne pas avoir mené assez en profondeur ces recherches, car elles prennent du temps et de l'énergie, et le déménagement (ainsi que la synthèse des séances précédentes) ont rendu ces ressources rares. Le fait est que je me sentais déjà très distante des élèves qui m'entouraient, mais je n'avais pas pour autant, comme aujourd'hui, la volonté plutôt inconditionnelle d'aider.

Il faut sans doute remonter un peu plus loin que la période du lycée. Au collège, j'évalue rétrospectivement que j'avais une « fascination » pour S., qui se mutilait avec des lames de rasoir. Une fois, à sa demande, je lui ai prêté en classe un compas qu'elle a utilisé pour se blesser. Est-ce que j'en dérive une culpabilité ? Je ne parviens pas à me souvenir si c'est à la suite de cet incident, ou bien d'un autre, qu'elle a été hospitalisée. Mes souvenirs sont incertains, mais ça ne veut pas dire pour autant que les évènements n'ont pas pesé sur moi.

D'après C., avec qui j'ai reparlé de cette époque, j'étais plutôt intégrée à la classe, qui est restée presque inchangée pendant quatre ans. Un déménagement entre le collège et le lycée, motivé par mon père, m'a coupée de mes amitiés. De là (et j'en ai toujours été consciente), je me suis construite une personnalité sarcastique et cynique au lycée, et ce mode de défense n'a pas tardé à devenir une identité sociale. C'est à cette période que je situe mes premières envies suicidaires. Plus tard, j'ai déconstruit et rejeté (mais à quel point ?) cette négativité satisfaite qui me collait à la peau.

Je quitte la séance avec une certaine frustration de ne pas avoir pu aborder des sujets plus immédiats, notamment l'expression de masculinité de X., mon souhait muri d'une augmentation mammaire, et la façon dont A. garde trace de nos séances. Par ailleurs, les personnes dont j'ai convoqué les souvenirs pendant la séance me laissent avec l'impression de ne rien avoir d'exceptionnel pour moi. La dépression comme refuge d'une identité délaissée : est-ce une piste à remonter pour en rectifier la source, ou une nouvelle illusion d'autodépréciation ?

Séance 7

J'ai dû reporter cette séance d'une semaine parce que la séparation d'avec L. occupait l'essentiel de mon temps de cerveau. L'impression de ne pas m'appartenir se traduit aussi en une certaine impatience vis-à-vis de la psychanalyse. Je fais part à A. de mes doutes quant à l'intérêt de retrouver des souvenirs précis de mon passage au collège (bien qu'elle ne me l'ait pas demandé), et plus largement de construire une histoire qui aboutisse à mon identité actuelle. En substance, A. me répond qu'il s'agit surtout d'établir une logique qui me permette de cheminer ailleurs. Je garde pour moi cette traduction enfantine : je boude, elle me dit de faire un effort.

Je n'ai pas pris de notes après la séance, et un mois très dense s'est écoulé depuis. Je me souviens être revenue sur la façon dont j'appréhende les liens avec mes proches. Comme il y a deux ans, j'aborde une période qui va être rythmée par des voyages et des séjours en famille ou chez des ami·e·s. La première fois, j'avais envisagé ces allers et venues d'abord comme un arrangement logistique après être partie de mon appartement. Mais aujourd'hui, le choix est plus délibéré, c'est une façon de vivre qui m'attire plus que la sédentarité qui prévaut socialement.

Pour autant, je perçois bien l'intérêt d'avoir un chez-soi, surtout pour une question de confort. Je parle de mon nomadisme comme un « sacrifice » nécessaire pour me lier aux proches auxquels je rends visite. Je reconnais avec émotion que je ne parviens pas à valoriser mes relations autrement que par le partage d'un lieu de vie... Il me semble à ce moment que tout autre mode de relation est voué à l'incomplétude, à une amitié inachevée. Je ne sais pas comment me lier aux gens autrement. Mais j'aimerais réussir à borner ce sentiment, afin de m'extraire d'une errance sans fin.

La prochaine séance sera la dernière avant mon départ de la région parisienne. Afin de poursuivre notre travail, je suggère l'option d'entretiens vidéo, mais A. n'y est pas particulièrement favorable. Compte tenu de mes projets de retours réguliers sur Paris, elle propose plutôt que nous essayions de nous voir pour deux séances par mois, calées un même jour. Cette solution me paraît aussi préférable à l'échange à distance. Elle fait valoir que ce repère mensuel peut répondre en partie au besoin de fixité, d'équilibre face à l'itinérance, que j'ai exprimé auparavant.

Séance 8

Le carnet sur le bureau de A. me motive à lui demander de quelle façon elle garde trace de nos séances. La question semble la prendre de court, mais je ne parviens pas à reconnaître s'il s'agit de surprise face à une requête inusitée, ou bien de gêne à la perspective de partager une méthodologie personnelle, ou encore d'appréhension à l'idée que mon incursion de son côté vienne biaiser l'analyse. Peut-être tout ça à la fois, ou toute autre chose. Quoi qu'il en soit, bien que mes articles brisent le secret professionnel qui pourrait couvrir ces séances, ils l'ont brisé jusqu'ici dans un sens qui, je crois, n'engageait que moi, et je préfère omettre de publier la réponse de A., aussi simple soit-elle.

J'explique que, de mon côté, les résumés que j'ai rédigés et mis en ligne visent une certaine fluidité de lecture, même si l'écriture est un cheminement souvent pénible. Je bute plusieurs fois sur le mot juste avant de le saisir, je reviens en arrière pour rééquilibrer des sons, je rationne les paragraphes pour en sculpter la progression... C'est au prix de la spontanéité, c'est par ce constant polissage, que je construis une histoire qui me satisfait. Un récit cohérent, dans mes critères du moins, qui flatte certainement mon orgueil, mais qui me permet surtout de solder mes idées du moment, stagnantes, et de franchir un pas supplémentaire en direction des vérités élusives de mon introspection.

Une bouffée d'air, un peu d'espace, avant de sombrer dans un style ampoulé. Ce qui m'ennuie, dans toute cette démarche, c'est la contradiction apparente entre mon recours à l'écriture pour m'affirmer, et la méfiance que j'éprouve face aux limites de ce que la raison peut exprimer. Après tout, si j'ai entrepris une activité photographique, c'est parce que mon cheminement critique m'avait convaincue que les vérités les plus profondes se trouvent dans la création et dans l'indicible. Pourquoi mon esthétique se place-t-elle en travers de ma personne ?

Nous laissons cette piste reposer pour le moment. Après avoir mentionné que ma dernière maraude au bois de Vincennes avait eu lieu la veille, le sujet de mon bénévolat s'installe. Depuis un an, j'allais à la rencontre des personnes du bois, sans colis alimentaire (« mains nues », comme il se dit au Secours Catholique), essentiellement dans le but de rompre leur solitude, d'encourager leurs projets, de créer du lien social. À vrai dire, dès le début ou presque, la place de l'association dans les actions de notre petite équipe s'est révélée minime. Je rends visite à ces personnes comme je pourrais rendre visite à des voisins, certains réguliers, d'autres récemment installés ; c'est le dialogue qui importe.

Mais s'agit-il bien d'un dialogue ? Car derrière le projet affiché d'échange, la réciprocité n'a rien d'évident. En effet, j'écoute plus que ne suis écoutée, j'accueille les épreuves mais je partage rarement les miennes. Cependant ces relations me paraissent équilibrées, et non incomplètes, par contraste avec les exigences sous lesquelles je place mes amitiés et mes liens de famille. Je ne crois pas que mon engagement associatif, qui demande une tolérance préalable, suffise à expliquer ma garde baissée. Il y a une réponse à trouver au-delà de cette disparité, mais je ne l'ai pas encore atteinte...