Pour tenter de déjouer ma dépression, ma psychiatre m'a conseillé de prendre contact avec une psychologue, dont la démarche s'appuie sur des principes de psychanalyse. Je garderai ici une trace sommaire des cheminements de pensée et des avancées apparentes, d'abord pour tenter d'ancrer tout progrès en moi, mais aussi pour permettre, selon ce qui vous intéresse, d'appréhender mon parcours personnel ou bien la démarche générale.
Séance 9
le confinement nous force à poursuivre l'analyse par téléphone. mais ça marche bien.
insomnie la veille. à cause de another lost phone ? violence psychologique de L. climat d'intimidation et de pression "inexcusables", même si j'entends son mal-être. difficulté à rompre l'isolement. frustration (?) de ne pas savoir comment (à qui ?) exprimer cette colère.
glissement sur les textes du blog que j'avais invité A. à lire. impossible de décrire des pensées qui vont trop vite, mais A. fait valoir que c'est quand même un progrès. construction du texte en deux pôles. négation non pas morale mais systématique de qui je suis.
Séance 10
légère angoisse d'avoir à me justifier, montrer que je fais des efforts pour me comprendre, comptes à rendre à A. à la limite, parler de la négativité systématique mis au jour la semaine passée ?
finalement, retour de ma mère, proximité avec mes frères et soeurs, liens rééquilibrés après le "pivot" du LSD. autre pivot, demande A. ? rêve lucide. consultation du carnet de rêve à propos du rêve sur mon amour pour L., vecteur d'expression artistique, respecter mes sentiments. satisfaction et potentiel de ramener des éléments de l'inconscient à la surface. "équilibre" entre sentiments ressentis et sentiments exprimés, qui me rappelle (et se substitue peut-être) à l'équilibre dans mes liens/ma communication avec mes proches.
mot de la fin : temporalité. il y a des temps d'accès à l'inconscient, et le reste. je ne cherche pas à être constamment sous lsd ou en rêve. enfin, c'est ce que j'ai dit, mais je n'y crois pas.
fatigue physique à la fin de la séance.
Séance 11
deux jours de déprime suite à de nouveaux éléments qui pourraient me mener à remettre en question mon THS. discussion/rétrospective THS. je fais de l'exposition... mais c'est nécessaire.
frustration de la perspective de report de l'augmentation mammaire. frustration plus globale de ne pas avoir atteint l'équilibre de genre que je poursuis. s'investir toujours plus ou essayer de se contenter de ce que j'ai : je n'ai pas la réponse. certitude que je voudrais passer à autre chose, me concentrer sur d'autres projets.
Séance 12
transition à nouveau. dossier pour le changement de mention de sexe assemblé en quelques jours et envoyé au TJ de Nantes. A. pense que la symbolique est forte. je réponds que non, il s'agit surtout pour moi d'une problème administratif. mon genre n'est pas défini par mes papiers. l'adoption de mon prénom était un passage plus fort. je l'ai fait reconnaître légalement trois mois après l'avoir annoncé sur fb.
adoption rapide et assez spontanée du prénom. on m'a demandé pourquoi oriane, et j'ai répondu qu'il n'y avait pas de signification particulière, mais il y a quand même une genèse. oriane de guermantes, personnage admiré par le narrateur de la Recherche, progressivement dévoyée car elle se sert de son sens critique pour l'élévation sociale (plutôt que pour une quête artistique). je ne m'associe pas au personnage, mais plutôt au basculement de la compréhension des limites de l'activité critique. je suis à la fois le personnage et son juge...
rapidité aussi du changement de voix (exposition à nouveau : la T fait baisser la voix chez les mecs trans, mais les femmes trans passent plus souvent par l'orthophonie). je fais rarement traîner les choses, même s'il y a un travail de fond latent (par exemple, émergence de l'envie de l'augmentation mammaire). A. voit dans toutes ces évolutions un désir très fort.
Séance 13
je mets sur la table le sujet de la négativité et des réticences, déjà évoqué au cours des séances précédentes, et que je cherchais particulièrement à aborder depuis 3 semaines. réticences à réfléchir sur moi-même, à fournir le travail pour aller mieux, à aborder les séances avec A., même si une fois que je suis dedans, la résistance consciente s'efface et je tache de ne pas me retenir. un peu pareil avec la photographie, difficile de me mettre à m'exprimer, mais beaucoup moins de résistance une fois enclenchée.
à quoi bon ? A. fait le parallèle avec ce qu'elle sait du déroulement de ma transition. je suis sceptique quant à l'idée d'en faire le sujet central. A. fait noter que j'ai lancé plusieurs changements significatifs, et qu'il y a des répercussions qui demandent à être digérées (dans mes mots).
j'ai dormi avant, j'ai dormi après : souvenirs confus et mal reliés. dommage car j'avais l'impression d'une avancée. je redemanderai la semaine prochaine.
Séance 14
projets à venir : semaines à paris, lyon, clermont, st ju. à clermont : chez mamie, rendre une maison habitable et agréable pour proposer des résidences à des artistes précaires et émergent.e.s. j'avais un pied là-dedans étant enfant, mais à contre-coeur, car je ne partageais pas la motivation de mes parents pour les travaux (utiles ?) et le jardin. je cherche, d'une part à participer à un travail porteur de sens, et d'autre part à retrouver l'expérience d'une vie en communauté.
semaine dans le Lot et vie en communauté, bien-être, équilibre. groupe issu d'écoles d'ingé, sédentaire, et groupe plus nomade et hippie. une fois le premier parti, développement de grandes affinités avec la douzaine de personnes qui restaient. possibilité de choisir avec qui interagir. bonheur de sentir une place dans le groupe vis-à-vis des activités communes (aussi bien ménage et cuisine que jeux et photo)
est-ce que j'en avais fait l'expérience ailleurs ? dans une certaine mesure oui, avec la résidence étudiante. association de gestion du réseau, d'intendance/répartition des chambres, hébergement hebdomadaire des nuits de rédaction du journal étudiant. est-ce que j'avais eu ce travail d'écriture avant ? non. parallèle avec le blog. série d'articles "la fontaine de fiel" dont notamment celui sur l'homophobie ordinaire et sur ma bisexualité. pivot dans la visibilité des LGBT à l'école... ou en tout cas dans ma perception de moi-même au sein de la communauté ? création de l'asso LGBT un an plus tard, plus d'ouverture, en tout cas de ce que j'en ai perçu. pression de la majorité pour étouffer les questions sociales et d'identité, au nom du "fais-toi plaisir", du maintien de l'hédonisme.
on m'a demandé si j'allais bien, après publication du texte. mais c'est l'écriture qui m'a fait aller mieux, j'avais dit ce que j'avais à dire, comme avec les articles de blog. le public a des réactions que je n'ai pas envie de gérer, même si je n'ai jamais écrit autrement qu'avec la perspective d'une publication (pas de journal intime, pas de texte au fond des tiroirs). d'ailleurs l'écriture consiste moins en la présentation de mes idées qu'en leur synthèse, c'est le travail d'écriture qui m'aide à me comprendre. je reconnais ouvertement que je fais partie de mon propre public. "j'écris sans chercher à être jugée, mais à être reconnue." A. fait remarquer le parallèle avec le travail d'analyse, le fait de s'affirmer devant un autre. je seconde : l'autre est un outil plutôt qu'une finalité.
bonnes questions-virages de la part de A.
réflexion suite à ces notes : je serai satisfaite quand l'écriture sera morte. si effectivement l'autre n'est pas le destinataire principal de mon écriture, alors le fait que je m'autorise à publier des notes non nettoyées est un progrès. j'ai dit ce que j'avais à dire pour me reconnaître, et dans ce processus il n'y a pas un besoin fondamental de m'asservir à l'autre / aux standards d'écriture.
Séance 15
mes grand-parents, chez qui je réside quelques jours, me mégenrent ou me deadnament par erreur ; ça n'en est pas moins pénible. leur présence quand j'étais enfant, leurs gardes régulières. mention de ma nourrice, pour qui mes souvenirs ne me laissent pas un attachement particulier. un seul souvenir surnage : un mélange de colère et de tristesse, au volant de sa voiture, peu après avoir appris que nos parents nous retiraient, mes adelphes et moi, de sa garde. la vulnérabilité exprimée en ce moment, un critère de lien identifié au cours des précédentes séances. il me semble me rappeler que ce n'était pas une manifestation spontanée de la part de ma nourrice, mais une réponse à ma question. je n'étais pas seulement spectatrice, j'étais déjà actrice.
rêve
j'ai fait un rêve doux, cette nuit. j'étais de retour au lycée, comme souvent. j'étais proche de mes amours de lycée. elles se souciaient de moi. j'aimais leur souci, je recevais leur contact simple et je l'acceptais. j'aimerais revivre mon adolescence, non pas dans l'insouciance, mais avec la connaissance désormais consciente de qui j'étais, de ce qui me faisait du bien, de ce que j'espérais. j'ai du mal à faire le deuil de cette jeunesse que je n'ai pas vécue.
je me détachais de la salle de classe. j'explorais et je découvrais. un homme inconnu parle de rêves lucides, d'états de conscience. j'envie son savoir. j'aimerais me plonger à nouveau dans le monde des rêves, le ressentir pleinement. jouer et être surprise par les rêves lucides, et comprendre et absorber pourquoi je les recherche tant. ce n'est pas une échappatoire, je ne crois pas. c'est ce basculement de l'inconscient vers le conscient, du latent vers l'actif.
j'aimerais oublier le sentiment d'avoir à me justifier d'exister.