Opinion sur la Pride en 2019

L'article suivant consiste en la synthèse, tout juste mise en forme, d'une conversation tenue le 29 juin 2019, jour de la Marche des fiertés à Paris. Le chapeau est emprunté à un entretien avec Gianfranco Rebucini.


J'ai croisé la Pride en rentrant du ciné, il y a plus de drapeaux et de marchandises que dans mes souvenirs, et aussi moins de revendications.

Pendant que les gens affichent leur joie et/ou leur bonne conscience dans la rue, mon endocrino m'a confirmé ce matin qu'il n'existait pas d'étude sur les effets de la progestérone sur les personnes trans, qu'elle n'en prescrivait pas avant deux ans de traitement hormonal, et qu'en gros on est dans l'empirisme le plus total pour l'utilisation de produits créés et testés pour les femmes cis.

Je parle pas de la psychiatrisation des trans, du changement de genre à l'état civil qui doit toujours passer devant les tribunaux, des pénuries de testostérone pour les mecs trans, ni bien sûr des intersexes dont 1% de la population sait de quoi il retourne. Mais c'est bien, défilez, défilez.

Pour sa couverture de la Marche, le Huff Post sous-titre : Les lesbiennes, les grandes oubliées des luttes LGBT, prendront la tête du cortège. C'est sûr, quand on pense même pas à mettre le I dans l'acronyme...

La revendication principale porte sur des bisbilles administratives pour des enfants, quand l'intégrité des corps d'autres personnes est directement et violemment bafouée. Et oui je considère que cette intégrité passe avant les affaires de filiation. Je me permets de grossir le trait parce que la hiérarchie morale est très claire pour moi, mais je dirais que c'est comme si une famille militait pour installer une piscine alors que d'autres crèvent devant le portail. En fait, ça n'a rien d'exagéré.

Parmi toutes les lettres, je trouve assez objectif de dire que les intersexes sont de loin le groupe le plus bafoué. Ça me concerne pas directement, mais quand tu lèves le bout de ton nez de ta propre situation, que tu sois G, T ou A, le débat me semble assez rapidement réglé.

La santé des intersexes figure d'ailleurs au premier rang de cet appel à une Pride de nuit à Lyon en mixité choisie. Je ne sais pas à quel point il est lié aux problèmes que la Pride officielle de l'Inter-LGBT a connu il y a deux semaines ; les organisateurs ont dit ne pas avoir défilé à cause « d'un groupe anarcho-queer, fasciste, aux revendications incompréhensibles, dont le seul but était de nuire à la Pride » (paye ta rhétorique En Marche). En tout cas, il rejoint en bien des points le dernier communiqué de l'Existrans, et je partage cette indignation et ces revendications.

Je rappelle, si ça n'était pas évident, que ce n'est pas parce que les lettres portent le même poids unitaire dans l'acronyme, que chaque groupe (aux frontières par ailleurs plus ou moins poreuses) a obtenu les mêmes droits fondamentaux. Donc dire « chacun son tour, tout est relatif, pourquoi pas les lesbiennes plutôt que les intersexes cette année » relève du sophisme.

Soit dit en passant, l'ouverture de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes célibataires est la revendication centrale, et presque unique, de toutes les prides françaises depuis l'obtention du mariage homo en 2013... Même la politique du chacun-son-tour n'est pas respectée.

De toute manière, l'existence même de l'acronyme témoigne de l'intersectionnalité des luttes (en thèmes, et en union affichée). Les revendications devraient tenir compte de l'intégration sociale de l'ensemble des minorités chapeautées, alors que depuis plusieurs années, elles ne dépassent plus guère les besoins administratifs des familles homoparentales. Il y a un mot pour ça : bourgeois.

Ainsi, dans son statut de fanfare aussi subversive que Manu aux dernières présidentielles, la Pride ne fait-elle que récolter les fruits de sa mollesse politique et sociale.