L'homophobie ordinaire

Cet article a été publié en janvier 2013, à quelques modifications près, dans le journal étudiant de l'École des mines de Paris. Les élèves y sont traditionnellement appelé·e·s « mineurs » ou « minettes ».


« Les mineurs sont… des homosexuels ! Des homosexuels ! Des homosexuels. Les mineurs sont… » Vous ne vous souvenez pas ? Vous n’étiez peut-être pas là. Quand bien même vous étiez là, vous avez toutes les chances d’avoir oublié. Les élèves de Supélec avaient investi les couloirs de notre belle et grande école, déclenchant des alarmes, scandant des chants provocateurs, et jouant les débiles pour faire la promotion d’une quelconque soirée, leur gala peut-être, ça importe peu.

« X. est… un homosexuel ! Un homosexuel ! Un homosexuel. X. est… » [X. était étudiant aux Mines] J’imagine qu’un peu plus de monde s’en rappelle, mais pour nombre de mineurs il s'agit sans doute d'un refrain trop usé, délavé, pour évoquer un moment bien particulier. En ce qui me concerne, je revois précisément la scène, la salle L108 qui scande en cœur son hymne juste avant l’amphi de présentation du WEI [week-end d'intégration]. Parce qu’elle s’ennuie. Parce qu’elle n’a rien à dire mais veut l’exprimer en équipe. Je me souviens avoir pensé sortir de la salle. Et puis j’ai lâché quelques rires, pour faire comme tout le monde. Je m’en suis voulu, et je m’en veux encore.

Cet article ne débattra pas du mariage gay, et je n’ai aucune prétention à représenter tout autre élève homo (ou bi, en ce qui me concerne), encore moins à partager des ressentiments qui pourraient être éprouvés par d’autres. N’empêche que, n’en déplaise à la GLAM [association étudiante Gays et Lesbiennes à la Mine], initiative aussi louable qu’est regrettable son actuel silence, il me semble que la Mine est encore loin d’abriter l’environnement de tolérance qu’on voudrait spontanément associer à son prestige. En débarquant à Paris, à côtoyer les esprits censément parmi les plus éclairés de France, j’ai été franchement déçue, et honnêtement plutôt choquée, de perdre l’environnement rétrospectivement plutôt sain de mon humble prépa nantaise.

Il faut sans doute que j’essaye de vous convaincre un peu plus fort que tous ces mots qui ne portent prétendument pas à mal, pèsent tout de même au quotidien. Enfin bon, si vous ne m’aimez pas, je peinerai bien à vous persuader de quoi que ce soit, mais vu qu’on se trouve dans la rubrique des causes perdues, je n’hésiterai pas plus longtemps. Je pourrais partir des vidéos des deux dernières listes en lice pour l'élection du bureau des élèves (et de toutes les listes précédentes ?) qui décrochaient leurs plus grands rires quand elles cédaient à la blague convenue du « il est gay, haha ». Ou encore, plus généralement, puisqu’on devrait pouvoir parler entre adultes, de la tendance à décrédibiliser via la plaisanterie toute relation sexuelle homo.

Mais je commenterai plutôt dans les (trop peu nombreuses) lignes qui me restent la locution « pas pédé » partagé à la Mine depuis l'équipe de rugby jusqu’à Y. [un étudiant out] –quand je vous disais que je n’exprimais pas nécessairement un avis général. Non que je sois radicale au point de ne pas apprécier quelqu’un sur la base de quelques habitudes de langage, mais quand Z. a conscience de me gêner en disant que telle chose, « c’est pas un truc de pédé », persiste tout de même à le dire, et croit s’excuser en expliquant « qu’il faut comprendre “pédé” dans le sens “lâche, faible” », je me demande s'il est bien capable d’une seule seconde d’objectivité ou d’empathie.

Sérieusement. S’assumer dans une société marquée de normes hétéros, se faire insulter à répétition lors de dérapages hypocrites, se faire rejeter par ses parents, lire que des gamins continuent de se suicider des suites de harcèlement… C’est ça, être faible ? Pas besoin de statuer sur la question de l’inné et de l’acquis pour y répondre. Enfin bref, de la même façon que j’ose espérer que vous ne vous faites jamais la réflexion « pas juif » ou « pas nègre », j’attends la disparition du langage commun de tout mot à caractère homophobe. J’espère. Ce serait un début.