Voyage of Time : Au fil de la vie (2016)

J'aimerais pouvoir faire comprendre aux sceptiques la rupture fondamentale entre le "créateur" et sa création, somme toute la même qui anime la pensée camusienne, et encore celle dont Cioran se désole indéfiniment. Mais c'est une tension qui se vit, puis qui s'apprivoise ; on ne peut pas l'apprendre par les mots. Quand bien même c'était le cas, quelle cruauté ce serait que d'imposer la conscience de ce tourment fond…

Vampiros Lesbos (1971)

Jess Franco a du caractère, mais je peux pas me sortir de la tête que tous les efforts qu'il déploie pour Vampyros Lesbos sont au service d'un érotisme stérile. C'est dommage pour le sens du cadre, dommage pour la bande-son psychédélique, mais vraiment les relents de soft porn s'infiltrent partout et court-circuitent le plaisir cinéphile que j'aurais pu éprouver devant cet objet bizarre. Quant à savoir si c'est l'ér…

Poetry (2010)

Au cinéma, la "poésie", c'est comme la contemplation et l'humanisme : on l'invoque dix fois pour une, parce que c'est plus facile de parler en des termes un peu creux que de chercher à comprendre, et oser juger, des valeurs plus profondes. Poetry, malgré son titre ronflant, n'est pas le désastre que l'on pouvait craindre, mais échoue quand même à transformer sa promesse en autre chose qu'un portrait doux-amer généri…

La règle du jeu (1939)

J'avais constaté la maîtrise de Renoir dans son adaptation de La Bête humaine, mais il aura fallu La Règle du jeu pour que je l'apprécie pleinement, loin de toute prétention naturaliste. Même 80 ans plus tard, ça reste un plaisir impertinent et tendre. L'écriture des personnages est un modèle encore moderne, la chorégraphie des acteurs et de la caméra est brillante, le menuet du montage est captivant. Une bulle de c…

Un singe en hiver (1962)

Le film me fait sentir trop jeune, ou peut-être trop vieux. Jeune parce que je ne suis pas sensible à ce duel monumental Gabin-Belmondo, et que la valse ciselée des dialogues d'Audiard ne m'émeut pas plus. Vieux parce que le thème de l'alcoolisme n'a sans doute plus beaucoup à me révéler, la mécanique de l'addiction, l'engourdissement comme échappatoire aux angoisses ou à la routine, etc. J'en suis pas encore à prôn…

Belle de jour (1967)

Catherine Deneuve se découvre des tendances masochistes et, plus largement, Buñuel proteste tranquillement contre la répression sexuelle au sein de la bourgeoisie. Autant sur la nature du projet que dans sa narration assez démonstrative, le cinéaste se fait donneur de leçon. Il ne s'érige pas *pour* quelque chose, mais *contre* ce dans quoi il ne se reconnaît pas. Un camp adverse dont il grossit d'ailleurs les trait…

Diva (1981)

Un polar français plutôt inattendu. L'écriture des personnages et les interprétations prêtent au film une atmosphère mélancolique et langoureuse assez rare. Par contre l'enquête ne se prive pas de quelques facilités honteuses. Mais c'est surtout la direction artistique (ou quel que soit le titre utilisé à l'époque) qui interpelle : d'un côté, on constate un grand amour pour Paris doublé d'un sens pictural affûté, ma…

Hana-bi - Feux d'artifice (1997)

Je n'ai rien d'un expert sur Kitano, mais j'ai eu l'impression d'un film encore plus clair que Kikujiro et Sonatine sur les motivations de son auteur. Si l'homme d'honneur mutique et intouchable n'est pas un cliché chez lui, c'est grâce à sa recontextualisation du personnage en tant qu'enfant désabusé. La violence exacerbée qu'il affronte avec flegme dans la fiction, c'est tous les obstacles minables mais pesants qu…

Monsters (2010)

Sur le papier, un croisement entre Cloverfield et District 9. À l'écran : des dialogues atroces, un couple principal inexistant, des péripéties sans queue ni tête... Le production design, c'est 50% de synthèse pas belle et 50% d'affiches "/!\ MONSTERS /!\" placardées sur des panneaux publicitaires mexicains. Gareth Edwards ne touche à aucun moment cette note surhumaine qui m'avait fait apprécier des bouts de Godz…

NWR (2012)

Un portrait qui déterre deux-trois archives intéressantes, mais manque visiblement de valeur ajoutée. NWR cabotine devant la caméra, agitant son personnage de génie nerd et mégalo, et le réalisateur du documentaire ne cherche jamais à le provoquer (ni par ses questions, ni par son montage) pour gratter la surface. Les minutes les plus mémorables viennent sans doute de Mads Mikkelsen, qui explique que, contraireme…

I'm Still Here (2010)

En fait c'est raté comme projet. S'il s'agissait de montrer qu'Hollywood est impitoyable : bah non, Joaquin Phoenix singe un débile vaniteux et arrogant, ça paraît normal de s'éloigner de lui dans de telles conditions. S'il s'agissait de faire rire : les raps de 'J.P.' sont trop acides pour ça, et le reste, vomi, zobs à l'air et tutti quanti, ça va un moment quoi. On se rappelle au bout d'une demi-heure que les plus…

Les fantômes d'Ismaël (2017)

Le kaléidoscope infernal de Desplechin. Ce langage a creusé son sillon dans l'esprit du spectateur curieux, reprenant vie avec toujours plus de force à chaque nouvel épisode. Mais Les Fantômes d'Ismaël ne se contentent plus de la dévotion infinie de leur prétendant, refusent de glisser éternellement entre ses doigts, et grondent d'insatisfaction. Desplechin veut déverser toute sa confusion géniale, toute sa folie ef…

Les proies (2017)

Je culpabilise de pas plus apprécier ce sur quoi j'ai un peu salivé pendant quelques semaines, et ce que certains conçoivent toujours comme un haut privilège, mais ma première journée à Cannes était d'un ennui mortel. Après le film ACID et la Cinéfondation (qui contenait les cinq seules minutes valables de cinéma de la journée, de l'animation française qui parlait d'anxiété ; le reste no comment), le dernier Sofia C…

Good Time (2017)

Une longue nuit qui n'en finit pas de foirer, dans la veine du After Hours de Scorsese (d'ailleurs en tête de liste des remerciements au générique). Le projet n'est cependant pas aussi solide ni jubilatoire. D'une part les frères Safdie troquent l'humour new-yorkais contre une violence plutôt vaine et désagréable, mais cette intensité rauque est en décalage avec la dimension cauchemardesque du périple. D'autre part,…

L'amant double (2017)

Ozon plus fidèle à lui-même que jamais, avec sa vision de la femme insidieusement rétrograde et son scénario aux dix mille tiroirs inutiles. L'ajout de sexe et de violence plus graphiques que d'habitude contribue aussi à mon exaspération : les dialogues ont beau se perdre dans des méandres psychologiques censément intellos, si une part du public refuse d'y voir un salmigondis prétentieux et vide, c'est à cause des c…

Mise à mort du cerf sacré (2017)

J'abandonne l'idée de vraiment rendre justice au quatrième long-métrage de Lanthimos, en lui accordant plusieurs heures de recherche et d'écriture... Mais si je ne devais retenir qu'un seul film de Cannes, ce serait celui-là. L'ambition de Lanthimos, justement récompensée par un prix de scénario, est de replacer la tragédie antique dans un contexte esthétique ultra-moderne, au bord du futurisme. Redistribuant les…

Okja (2017)

À la question de savoir s'il est permis de faire un film militant qui puisse aussi susciter l'excitation d'un film d'aventure (quasi) familial, Bong Joon-ho ne s'attarde pas trop et fonce dans le projet tête baissée. Et ça marche plutôt bien : on suit les péripéties assez candides de la petite Mija et de son cochon-OGM, tout en se laissant égratigner par des dénonciations de greenwashing, de vénalité, de corruption,…

Les lumières de la ville (1931)

À force d'user le mot, on peut oublier ce que désigne vraiment la générosité. City Lights et Charlot, humbles et transparents, en sont les représentations essentielles. Ce langage est touchant, parce que compris de tous mais trop rarement utilisé sans compromis, sans intérêt sous-jacent. Charlot offre sa bonté au monde, qui ne l'écoute pas ; en ça le spectateur se sent la dernière oreille, l'ultime espoir pour prése…

La grande extase du sculpteur sur bois Steiner (1974)

Le premier indice se situe dans le titre du docu : pourquoi mentionner Steiner en tant que sculpteur sur bois, alors que les images et le commentaire abordent presque exclusivement son activité de saut/vol à ski ? Moi c'est à la conclusion que je saute, mais il faut voir que Herzog s'attache à dépeindre Steiner comme un authentique martyr. Divers éléments en ce sens : la dimension presque miraculeuse de ses performa…

Le pays du silence et de l'obscurité (1971)

Je dois dire que je ne suis pas bien d'accord avec la plupart des avis que j'ai lus sur ce documentaire. Trop de regards posés sur ces sourds-aveugles, quoique bien intentionnés, me semblent toujours apitoyés. Or Herzog ne fait preuve d'aucune pitié envers ces individus, les filme de la façon la plus neutre qui soit. (Il manipule toujours un peu en coulisses, mais son absence complète de second degré de lecture est …