À force d'user le mot, on peut oublier ce que désigne vraiment la générosité. City Lights et Charlot, humbles et transparents, en sont les représentations essentielles. Ce langage est touchant, parce que compris de tous mais trop rarement utilisé sans compromis, sans intérêt sous-jacent. Charlot offre sa bonté au monde, qui ne l'écoute pas ; en ça le spectateur se sent la dernière oreille, l'ultime espoir pour préserver ce message élevant.
L'autre ambition du film, rapidement établie par la mise en scène de Chaplin, c'est de n'être ni dans le muet, ni dans le parlant. City Lights, c'est du cinéma sonore, prêt à exploiter la nouvelle technologie pour donner du relief au spectacle (j'allais dire : lui faire gagner en couleurs), mais refusant les dialogues. Ou bien trop littéraires, ou bien trop réels, ils n'ont pas de place dans le monde immédiat de sensations et d'émotions que parvient à déployer le film (à l'image de Charlot, qui vit avec insouciance dans un présent direct, et dont l'expressivité passera toujours avant tout par une présence physique).
Je continue ma lecture du Dictionnaire de la pensée du cinéma, un recueil d'articles particulièrement enrichissant. Plusieurs d'entre eux commentent les positions de nombreux critiques, et je n'arrivais pas à prendre conscience du débat qu'a pu générer l'émergence du parlant dans les années 30. Avec City Lights, les enjeux esthétiques me sont enfin accessibles, bien au-delà de la question naïve de l'enregistrement des dialogues (toujours cette influence de la narration dans certains de mes réflexes d'appréciation critique...)
Le muet était une contrainte, comme a pu l'être le noir et blanc, mais qui définissait un cadre bien distinct du théâtre notamment, et qui a permis au cinéma de trouver une motivation artistique loin de cette tentation de reproduire le réel (ou de copier sur les autres arts voisins). Je ne vais pas partir en croisade contre le son, parce que ça constitue un autre terrain de jeu pour les metteurs en scène, d'autres outils pour composer un nouveau langage. Mais tout de même, le fait de faire coller les voix et les bruitages avec les images, et quelques autres procédés "réalistes", c'est une porte qui s'est fermée dans l'histoire du cinéma commercial.
Et il ne faut pas avoir peur de comparer cette évolution technologique avec le poids dans la 3D dans les grosses productions actuelles (et même, soyons fous : avec l'apparition de la 4DX, ce procédé coréen qui sera un jour poursuivi pour plagiat par le Futuroscope). Le procédé semble stagner, n'arrive plus à progresser au-delà d'une certaine part de marché (certes déjà conséquente). Serait-ce dû à la résistance des grands réalisateurs contemporains, qui se reconnaissent comme défenseurs du cinéma, a contrario des metteurs en scène comme Hitchcock qui ne se considéraient pas comme auteurs, et qui évoluaient dans un contexte où le cinéma n'était pas encore sacralisé par les institutions et les cinéphiles ?
Ou bien faut-il plutôt sentir le désintérêt du grand public qui a pris conscience que les producteurs traitent globalement ce nouvel outil comme un gadget pour appâter le chaland et une excuse pour ne plus chercher à émerveiller, à faire imaginer en dehors du réel ? Après tout Cameron, Godard et Herzog ont très bien montré le potentiel disparate et iconoclaste de la 3D, mais la réussite de leurs projets respectifs tient à l'évolution non triviale de leurs langages cinématographiques (que l'on considère ensuite qu'à part Gravity, les productions 3D n'ont pas fait autre chose que recracher de grises copies de l'identité d'Avatar). Il ne s'agit pas de filmer le relief avec une grammaire plate, tout comme il ne s'agissait pas (ou plutôt : il aurait été préférable qu'il ne s'agisse pas...) de filmer le son avec une grammaire muette.
L'histoire tend à nous dire que les solutions brandies par les studios sont adoptées par le public et ses salles. Et si l'adoption très tiède de la 3D était le marqueur, par rapport aux années 30, du partage silencieux de certains principes cinéphiles, si larvés soient-ils ? Le procédé rencontre nettement moins de succès en Europe qu'en Asie, le pays des Cahiers ne voie plus qu'esbroufe là où la Chine continue d'être transie, et ça vient de quelque part. Doit-on cette conscience esthétique aux critiques ? La cinéphilie est-elle en fait entendue ? Douces pensées...
Babil
À force d'user le mot, on peut oublier ce que désigne vraiment la générosité. City Lights et Charlot, humbles et transparents, en sont les représentations essentielles. Ce langage est touchant, parce que compris de tous mais trop rarement utilisé sans compromis, sans intérêt sous-jacent. Charlot offre sa bonté au monde, qui ne l'écoute pas ; en ça le spectateur se sent la dernière oreille, l'ultime espoir pour préserver ce message élevant.
L'autre ambition du film, rapidement établie par la mise en scène de Chaplin, c'est de n'être ni dans le muet, ni dans le parlant. City Lights, c'est du cinéma sonore, prêt à exploiter la nouvelle technologie pour donner du relief au spectacle (j'allais dire : lui faire gagner en couleurs), mais refusant les dialogues. Ou bien trop littéraires, ou bien trop réels, ils n'ont pas de place dans le monde immédiat de sensations et d'émotions que parvient à déployer le film (à l'image de Charlot, qui vit avec insouciance dans un présent direct, et dont l'expressivité passera toujours avant tout par une présence physique).
Je continue ma lecture du Dictionnaire de la pensée du cinéma, un recueil d'articles particulièrement enrichissant. Plusieurs d'entre eux commentent les positions de nombreux critiques, et je n'arrivais pas à prendre conscience du débat qu'a pu générer l'émergence du parlant dans les années 30. Avec City Lights, les enjeux esthétiques me sont enfin accessibles, bien au-delà de la question naïve de l'enregistrement des dialogues (toujours cette influence de la narration dans certains de mes réflexes d'appréciation critique...)
Le muet était une contrainte, comme a pu l'être le noir et blanc, mais qui définissait un cadre bien distinct du théâtre notamment, et qui a permis au cinéma de trouver une motivation artistique loin de cette tentation de reproduire le réel (ou de copier sur les autres arts voisins). Je ne vais pas partir en croisade contre le son, parce que ça constitue un autre terrain de jeu pour les metteurs en scène, d'autres outils pour composer un nouveau langage. Mais tout de même, le fait de faire coller les voix et les bruitages avec les images, et quelques autres procédés "réalistes", c'est une porte qui s'est fermée dans l'histoire du cinéma commercial.
Et il ne faut pas avoir peur de comparer cette évolution technologique avec le poids dans la 3D dans les grosses productions actuelles (et même, soyons fous : avec l'apparition de la 4DX, ce procédé coréen qui sera un jour poursuivi pour plagiat par le Futuroscope). Le procédé semble stagner, n'arrive plus à progresser au-delà d'une certaine part de marché (certes déjà conséquente). Serait-ce dû à la résistance des grands réalisateurs contemporains, qui se reconnaissent comme défenseurs du cinéma, a contrario des metteurs en scène comme Hitchcock qui ne se considéraient pas comme auteurs, et qui évoluaient dans un contexte où le cinéma n'était pas encore sacralisé par les institutions et les cinéphiles ?
Ou bien faut-il plutôt sentir le désintérêt du grand public qui a pris conscience que les producteurs traitent globalement ce nouvel outil comme un gadget pour appâter le chaland et une excuse pour ne plus chercher à émerveiller, à faire imaginer en dehors du réel ? Après tout Cameron, Godard et Herzog ont très bien montré le potentiel disparate et iconoclaste de la 3D, mais la réussite de leurs projets respectifs tient à l'évolution non triviale de leurs langages cinématographiques (que l'on considère ensuite qu'à part Gravity, les productions 3D n'ont pas fait autre chose que recracher de grises copies de l'identité d'Avatar). Il ne s'agit pas de filmer le relief avec une grammaire plate, tout comme il ne s'agissait pas (ou plutôt : il aurait été préférable qu'il ne s'agisse pas...) de filmer le son avec une grammaire muette.
L'histoire tend à nous dire que les solutions brandies par les studios sont adoptées par le public et ses salles. Et si l'adoption très tiède de la 3D était le marqueur, par rapport aux années 30, du partage silencieux de certains principes cinéphiles, si larvés soient-ils ? Le procédé rencontre nettement moins de succès en Europe qu'en Asie, le pays des Cahiers ne voie plus qu'esbroufe là où la Chine continue d'être transie, et ça vient de quelque part. Doit-on cette conscience esthétique aux critiques ? La cinéphilie est-elle en fait entendue ? Douces pensées...