Pluie noire (1989)

L'adaptation d'Imamura dévie significativement du roman d'origine. La mise en retrait du bombardement d'Hiroshima permet au réalisateur de rejoindre un de ses thèmes de prédilection : les parias et les oublié·e·s de la société japonaise, à travers les victimes des retombées radioactives de l'attaque (et aussi un soldat atteint de PTSD). L'impact des cadavres carbonisés et des chairs disloquées dans un champ de ru…

Bitter Lake (2015)

Le collage pratiqué comme mise en scène donne au documentaire une variété de tons qui confirme la complexité des enjeux économiques, politiques et sociaux avec lesquels jonglent les dirigeants de tous pays. Mais je ne pense plus avoir besoin de compléments sur l'histoire combinée de l'Afghanistan, des États-Unis et de l'Arabie Saoudite, pour savoir que le monde occidental est aussi sale que le reste des acteurs de c…

Into the Inferno (2016)

Dans son plus récent documentaire, Herzog reste fidèle à ses convictions : poursuivre des vérités qui transcendent l'individualité, et les saupoudrer d'images envoûtantes, à la limite de l'abstraction. La dimension internationale du projet est particulièrement impressionnante : Herzog et son comparse volcanologue, Clive Oppenheimer, se déplacent nonchalamment de l'Islande à l'Indonésie, de l'Éthiopie à la Corée du N…

L'œuf de l'ange (1985)

La symbolique chrétienne relève à nouveau du coffre à exotisme, babioles vides de sens, que l'animation japonaise réouvre trop régulièrement. Mais après tout, pourquoi pas ? L'œuf de l'ange est un poème libre plus qu'une histoire, ou même un conte ; et l'ombre d'un dieu vengeur s'accorde avec l'organique damné autant qu'avec le futurisme aliéné. J'en viens à regretter un peu que la putrescence de l'atmosphère soit e…

L’Empereur Tomato-Ketchup (1971)

Les enfants prennent le pouvoir, envoient les adultes récalcitrants en camps de concentration, et se vautrent dans l'oisiveté. Ce film japonais rebelle tourne en ridicule les empereurs ou les soldats qui brandissent leur autorité arbitraire pour rappeler leur suprématie, alors que, le reste du temps, ils n'éprouvent et ne manifestent qu'une indifférence totale à l'égard des autres, absorbés qu'ils sont par leur r…

Meurtre dans un jardin anglais (1982)

Le deuxième long-métrage de Peter Greenaway laisse penser que son inimitable style baroque avait déjà trouvé une maturité dans le développement des multiples courts-métrages qui ont précédé son passage au grand écran. Les dialogues, codifiés dans leurs tournures précieuses et leurs scansions uniformes, se disputent aux actions des personnages, festival de vices a priori inavouables. Même dans les situations où l'…

Manon des Sources (1963)

Le cadre déjà mis en place, l'action file dans le second tome de L'Eau des collines. Pagnol parvient d'ailleurs à formuler l'ardeur de Manon et les remords d'Ugolin avec une intensité qui fait oublier la naïveté et le manichéisme des portraits originaux. Le rythme du roman surmonte même le contenu des dernières pages, qui lorgne de façon amusante (avec le prisme de l'expérience provençale) du côté de la grande tragé…

Les garçons sauvages (2018)

La cinématographie est stimulante, avec des bouts de La Chambre interdite autant que de Il est difficile d'être un Dieu. Par contre sur le fond, je trouve que c'est un naufrage complet. Malgré la transgression de façade (on montre des organes, wouuuh), la pensée de Mandico est franchement embrigadée, que ce soit sur les questions de genre (le genre se définit par les attributs sexuels, la fluidité est un échec, etc.…

Phantom Thread (2018)

I tried to, but it seems working can only feel meaningful if it takes on my health
I have to leave some parts of me behind
It may worry me but
I like spitting blood
I like that my knee cracks whenever I go up some stairs
I like to feel on the brink of crying from exhaustion
I like that it may take so much energy to soothe you
And to fear that you might not be safe, and to wish so hard for you to be
I like hu…

La forme de l'eau (2018)

Un témoignage de plus contre une industrie embourbée dans ses codes stériles : une romance artificielle, une créature déjà vue cent fois, et une formule mastiquée au moins depuis le King Kong de 1933. Au-delà des premières scènes, del Toro ne cherche plus à surprendre par ses décors, et déroule ses péripéties en mode automatique, un œil derrière la caméra pendant que l'autre surveille le manuel des histoires de gent…

Woyzeck (1979)

D'un côté je pourrais parler du scepticisme et de la méfiance sociale de Woyzeck, qui le poussent à lire des signes n'importe où autour de lui, et puis Kinski est au bout du rouleau et son jeu est impressionnant. De l'autre, ce serait de la mauvaise foi d'ignorer les grandes lignes : un passif qui psychote et s'énerve contre une femme qui ne l'aime pas, jusqu'à la charcuter. Adaptation théâtrale ou non, j'ai bien du…

Mai 67, ne tirez pas sur les enfants de la République (2017)

Un épisode oublié, enfoui, de la Glorieuse Nation Française : la mort de dizaines de guadeloupéens au cours d'une manifestation ouvrière, il y a cinquante ans, sous le feu des forces de l'ordre. Les institutions restent globalement dans l'indifférence ou le silence face à ce déni de citoyenneté, de dignité, privant par là les populations concernées de la reconnaissance qui soulagerait le traumatisme. Une commission …

Contes du lundi (1873)

Daudet aurait peut-être la côte en école primaire pour son patriotisme exalté et ses descriptions claires et imagées, mais les tons pathétiques qui se transmettent d'une vignette à l'autre rendent leur assemblage difficile à avaler. Les premières nouvelles, dépeignant le conflit franco-prussien par le prisme de multiples acteurs (mais jamais d'actrices, la guerre c'est un truc d'hommes), prennent des airs aussi reva…

Le sermon de Huie (1981)

Vu à la suite de Fric et foi, Le sermon de Huie voit Herzog s'effacer encore plus derrière sa caméra, retranscrivant une messe de façon quasi ininterrompue. Aucune facétie dans le montage, mis à part la brève insertion de travellings sur des quartiers déshérités. De quoi donner une saveur opiacée au sermon filmé, qui se lamente d'une humanité gangrénée par l'argent ? Pas de quoi s'enthousiasmer... Je suis tentée …

Fric et foi (1981)

Herzog filme le télévangéliste Gene Scott avec une distance vaguement complaisante. Sans compter la voix-off qui double l'essentiel des personnages de façon assez fastidieuse, le réalisateur ne s'exprime guère que par une poignée de plans tenus légèrement plus que la normale, sur tel ou tel détail qu'il a vite fait de passer sous silence ensuite. Si cette objectivité apparente était sans doute le prix à payer pou…

NaissanceE (2014)

Dès lors qu'une œuvre se montre capable de convoquer des sentiments aussi complexes et étourdissants que ceux qui m'habitent quand j'explore un lieu interdit, tel que les catacombes, il semble bien vain de vouloir la réduire par des mots. La griserie des espaces mystérieux, le risque constant mais maîtrisable, l'omniprésence de fantômes silencieux... NaissanceE est une ode à la découverte, un déraisonnable simula…

The New York Trilogy (1986)

Un remâchage du registre détective, au nom d'un post-modernisme plutôt stérile. La première nouvelle, City of Glass, reste intéressante pour sa mise en exergue de l'influence, chapitre après chapitre, du style de l'auteur sur les impressions du lecteur (autrement dit, le poids du langage dans notre perception du monde). Auster parvient à développer ces thèmes autour d'un mystère directement concerné par eux ; l'a…

The Body Keeps the Score: Brain, Mind, and Body in the Healing of Trauma (2014)

Une étude qui dépasse le cadre des PTSD, dense en informations, mais rendue facile à lire grâce à un style fluide et narratif. Bessel van der Kolk retrace les étapes et les rencontres qui ont modelé sa conception actuelle des traumatismes, et liste les différents modes de thérapie qui l'ont aidé dans l'accompagnement de ses patients. La description de l'impact à long terme d'un évènement traumatique sur certains …

The Beginner's Guide (2015)

The Stanley Parable s'amusait du conditionnement des joueur·euses. Voir le média s'ouvrir au post-modernisme était exaltant, mais avec le recul et le flou des souvenirs, le jeu me semble en définitive plus concerné par la complicité potache qu'il peut établir avec la personne derrière l'écran, que par les façons dont il pourrait la faire réfléchir sur son environnement. Le tir est rectifié avec The Beginner's Gui…

Gorogoa (2017)

Gorogoa exprime la sensibilité de son créateur avec une authenticité rare. Plus que les dessins tracés à la main, c'est le choix d'un symbolisme omniprésent et d'une narration onirique qui fait le caractère de la direction artistique. Mais le revers de la médaille est particulièrement pesant. La peinture diffuse du monde intérieur de Jason Roberts, visuelle et presque jamais narrative, est dans l'ensemble indéchi…