Quand tout le monde dort (2018)

Jérôme Clément-Wilz cède à l'urgence de témoigner sur les collectifs à l'origine des free parties parisiennes. Séduit par la liberté qu'ils poursuivent, une liberté qui brille et brûle à travers les grillages et les autorisations préfectorales, il se fond dans l'action et fait de la caméra une extension de son corps. La joie naît bien sûr de l'euphorie partagée de la fête, mais aussi de la transgression permanent…

La Favorite (2019)

De Canine à Mise à mort du cerf sacré, les succès de Yorgos Lanthimos reposaient jusqu'ici sur son sens grinçant et ludique de la sociologie. Le virage en costume de La Favorite était pour le moins inattendu... C'est que le réalisateur, pour la première fois, s'est emparé d'un scénario qui ne portait pas son nom. Bien lui en a pris : sa grammaire cinématographique s'en retrouve élargie et fortifiée. Appuyée par u…

Le docteur Jivago (1965)

Comme son personnage principal, le scénario se veut acte de poésie, et se place au-dessus des réalités politiques. Le succès de cette histoire d'adultère plaquée sur la révolution russe tient alors à la résonance entre les privilèges du docteur éponyme et ceux du public, animés par un même idéalisme pacifiste mais aussi par une certaine complaisance dans un confort dispendieux et inégalitaire. La reconstitution des …

Love and Wolbachia (2017)

Organisé sous la forme de portraits successifs, ce documentaire japonais montre que les délimitations entre transidentité féminine, travestissement et mélange des genres, ne sont pas moins fluctuantes et subjectives qu'à l'époque des Funérailles des roses. En plus de témoigner du ressenti intérieur de ses sujets, le film s'intéresse aux dynamiques sociales induites par ces caractères non-normés, dont l'expression af…

Night in the Woods (2017)

Le désenchantement américain post-industriel à travers les yeux écarquillés d'une dropout de 20 ans en mal de soutien psychiatrique, sur fond d'enquête mystérieuse et d'horreur cosmique. Kentucky Route Zero meets Twitter. Les sentiments passent un peu par les décors, beaucoup par les dialogues : les personnages sont bien mis en relief, mais sur la durée, cette interaction polyphonique m'a un peu usée. Par contre la …

L'ange (1982)

Masks, optics, research, craftsmanship. And stairs. Lots of stairs. The right pose shall be more faithful to movement than movement itself. I shall guide, I shall split, I shall reveal.

Glass (2019)

Hélas, Glass tend plus vers le quitte que le double. Acteurs moyennement inspirés, scénario boîteux et soliloquant, image plate, décors inexistants... D'ailleurs, il faut du culot pour critiquer à demi-mots Marvel, et en même temps filmer un climax sur un parking ! Le sous-texte n'émerge qu'à la dernière demi-heure, et même si son idéalisme fait chaud au cœur, il s'agit peu ou prou d'une redite de La jeune fille de …

La Caste des Méta-Barons (1992)

L'univers graphique de Jodorowsky ne se laisse pas facilement réduire —moins encore que celui qu'il révèle par ses films. Liens du sang, sexisme, transidentité (si si), sacrifice, poésie, tout s'emmêle dans un capharnaüm épique. Et les dessins de Gimenez, étonnamment, parviennent à soutenir cette exaltation permanente. À souhaiter que les producteurs de science-fiction s'y penchent un jour... quand les technologies …

Detox or Die (2004)

David Graham Scott, cinéaste, raconte son rapport à l'héroïne et la méthadone, et son ultime recours à l'ibogaïne pour se débarrasser de son addiction. La première moitié du documentaire montre brièvement le quotidien de quelques junkies à Glasgow, entre petites combines et injections tristes. Le ton naturaliste et l'authenticité du témoignage font mentir le titre tapageur (et ridiculisent aussi nombre de dramatisat…

Un berger et deux perchés à l'Élysée ? (2019)

J'écrivais : [...] le fossé qui sépare, en termes d'encensement public, Les nouveaux chiens de garde et Fin de concession (ou Hollande, DSK, etc.), n'a rien d'un mystère. Qu'il soit trop punk, trop amer ou trop fauché, Pierre Carles ne verse pas dans les animations divertissantes et l'humour travaillé. Plus équilibré, son travail passe paradoxalement pour plus militant et plus confidentiel, parce qu'il se soucie …

Le pays où rêvent les fourmis vertes (1984)

Cette fiction, à la mise en scène réservée, s'avère plus ouvertement militante que n'importe quel documentaire de Herzog (on sait cependant son indifférence à définir toute frontière entre les deux registres). Bruce Spence y joue de façon convaincante un homme blanc qui prend la mesure des injustices subies par les aborigènes, en premier lieu desquelles, l'expropriation de leurs territoires ancestraux, entérinée par…

Le président (2010)

Rejoignez, le temps d'un film, le club des vieux mecs blancs et riches ! Un monde fabuleux où l'on peut prétendre incarner le renouvellement après 40 ans de mandats publics, et où l'autorité prévaut sans complexe sur les idées. Aux abois, les médias cherchent l'homme fort providentiel, et les directeurs de campagne s'empressent de remaquiller le grand Frêche pour le rôle, tout en grimaçant à chaque dérapage qui éven…

On revient de loin (2016)

Oscillant entre la revue de presse et le recueil d'interviews, Les ânes ont soif s’inscrivait dans la filmographie de Pierre Carles sans faire trop de vagues. La seconde partie du diptyque consacré à Rafael Correa, par contre, déjoue allègrement les attentes : avec l’appui décisif de Nina Faure, le portrait politique du président et de son administration se déroule désormais sur place, en Équateur. Le documentaire a…

Les ânes ont soif (2015)

Les ânes ont soif, premier volet du diptyque Opération Correa consacré au président de l'Équateur de 2007 à 2017, ne déroge pas à la formule critique que Pierre Carles privilégie depuis Pas vu, pas pris : nous n'y reviendrons pas. Tout juste pourrait-on noter une certaine mauvaise foi quant à la dénonciation d'une prétendue censure française du projet de l'administration Correa, ancré à gauche, alors que les sujets …

Derniers jours à Shibati (2018)

Ce n'est pas seulement le sujet qui interpelle, mais aussi l'immédiateté avec laquelle il est saisi. La distance émotionnelle entre le public et le film est d'autant plus réduite que le documentariste erre presque seul, avec un équipement minimal et sans programme esthétique ; quant aux personnes rencontrées (« interrogées » serait encore trop intentionnel), elles n'incarnent pas une expertise, une profession, ou mê…

Roma (2018)

With lavish photography and luscious sound design, Cuarón's nostalgia-infused rendition of '70s Mexico City also feels self-indulgent. His story focuses on the maid of an upper middle class family, but the starry-eyed resilience on display hides a more somber social naivete: apart from the grossly sexist pregnancy arc, the character barely exists outside of her dedication to her job. Seeing as the film moves from he…

Suspiria (2018)

Quoique les chorégraphies développées nourrissent une esthétique de sorcellerie tortueuse et intrigante, le montage multiforme qui les reflète est forcé et balourd. L'insistance du scénario à vouloir inscrire son intrigue (vaguement) féministe dans un contexte historique hagard, à la longue, n'est pas moins pesante. Refaire Suspiria sans ses atours de giallo saturé, pourquoi pas ; mais prétendre qu'il s'agit de b…

Les nouveaux chiens de garde (2012)

Adapté de l'essai éponyme de Serge Halimi, ce pamphlet cinématographique dénonce avec vigueur une certaine frange médiatique qui sert les intérêts du grand capital. Avec vigueur, mais aussi avec maladresse : à vouloir combattre sur tous les fronts de la critique des médias, à vouloir exhiber le plus d'ennemis possible, le documentaire oublie de se structurer, s'enlise dans du name-dropping redondant. Pour qui connaî…

On a mal à la dette (2015)

Le problème de la dette publique, largement réservé à la sphère économique jusqu'au début de la crise grecque en 2010, constitue désormais un argument récurrent de la classe politique pour justifier de la réduction des droits sociaux. Concis et à peine pamphlétaire, On a mal à la dette se donne une demi-heure pour contester le choix de l'austérité. Le documentaire et ses intervenant·e·s reprennent dans les grande…

Six portraits XL (2018)

Les six portraits, tournés sur une dizaine d'années, ont été rétrospectivement arrangés en trois diptyques qui portent tour à tour sur le travail, la solitude, puis le spectacle. Sans doute Alain Cavalier s'est-il plu à côtoyer ses sujets dans leur intimité, mais ce naturel désinvolte n'est pas aussi stimulant ou révélateur que ses précédentes expérimentations, notamment Vies. Agnès Varda avait par ailleurs déjà pra…