Cobra Verde (1987)

Parvenus à leur ultime collaboration, Kinski crépitait de ses dernières étincelles, mais Herzog restait alerte comme à ses premiers projets. Peut-être encore plus, du fait de tourner sur ce continent africain qui l'intrigue, lui résiste et le malmène (la production de Fata Morgana demeure édifiante à ce niveau). Le personnage de Cobra Verde, bandit acide dont les premiers déboires brésiliens n'étaient pas sans rappe…

Night Is Short, Walk On Girl (2017)

Masaaki Yuasa récidive avec un long-métrage dérivé de l'anime The Tatami Galaxy. Même si je grimace un peu par rapport au rôle qu'y tient l'alcool, la fanfare hédoniste de cette nuit à Kyōto est irrésistible, à la fois drôle et palpitante, exaltante presque comme si on y était. Ici, toute aventure est bonne à prendre, et l'inaction serait un gâchis. Ici, vivre c'est explorer, essayer, découvrir, avec le parachute ra…

Slacker (1991)

En fait, la persistance de Slacker ne tient pas à son défilé d'énergumènes hors normes, mais bien plutôt à l'absence de toute norme perceptible. Il suffit à Linklater de vignettes de deux ou trois minutes pour tirer toute une vie de chaque interprète. Le film persiste parce que, dans leur diversité collective et leur incomplétude individuelle, les personnages persistent dans la diégèse, au-delà de leur disparition i…

Mon frère (2018)

Un petit essai d'inspiration autobiographique où, par un jeu d'alternance entre chapitres à la première personne et extraits de la nouvelle Bartleby de Melville, Daniel Pennac met en regard la complicité et l'incompréhension qui le rattachaient à son frère aîné. L'identification au notaire du texte rapporté, qui cherche sans succès à percer l'apathie apparente du personnage éponyme, est rapidement évidente. Une lect…

L'Arabe du futur (2014)

Sous une perspective enfantine, mais pas moins sérieuse, Riad Sattouf assemble un témoignage social de premier ordre autour des thèmes de la famille et de la transnationalité (il manque un mot pour désigner ce tiraillement entre deux cultures), ainsi que du racisme, de l'antisémitisme et du patriarcat. À titre plus personnel, j'ai aussi trouvé très éclairantes ses explications, menées en filigrane, autour de la géop…

La cravate (2020)

À l'image de son sujet, le documentaire, malgré ses airs sympathiques, n'accomplit pas grand-chose de bon. Avec juste ce qu'il faut de neutralité pour ne pas paraître mener un procès d'intention, mais tout de même pas au point de s'interdire une ironie de connivence, le film confortera les gauchos qui ont accès aux cinémas art et essai dans leur dédain pour l'électorat lepéniste, tandis que chez les droitiers qui en…

L'Écriture ou la Vie (1994)

Entre l'essai psychologique et l'autobiographie romanesque, L'Écriture ou la Vie retranscrit une expérience de retour des camps nazis. Retour social, par l'arrivée de l'armée américaine à Buchenwald, et le corps qui retrouve un état de liberté fébrile et sonnée, mais surtout retour à « l'appréhension du vécu ». Cette vivencia (à défaut de correspondance française satisfaisante) s'oppose à la traversée du système con…

Ouvrez (1997)

Moins emballée que par Les Fruits d'Or. Sarraute donne littéralement la parole aux mots ; dans un espace imaginaire qui s'étire avant et après le dialogue réel, les non-dits observent et commentent pour nous leurs congénères effectivement prononcés. La dispositif lasse d'autant plus vite que, sans mouvement apparent d'un chapitre à l'autre, sans progression de rythme ni de réflexion, l'expérience de lecture en devie…

Merveilles à Montfermeil (2020)

L'idée de départ, une municipalité qui passe à gauche et déploie une nouvelle politique, a déjà montré son potentiel comique dans Parks and Recreation. Le problème, ici, c'est que le scénario semble n'avoir suivi aucune relecture, et la plupart des gags tombent à plat. La direction d'acteurs, pas du tout unifiée, ajoute à la confusion et à l'occasionnelle gêne. Hibou aussi était sincère, ça n'en était pas moins une …

Le lac aux oies sauvages (2019)

Il aura fallu une vingtaine d'années pour qu'un metteur en scène fasse suite aux recherches de Wong Kar-wai sur le spleen urbain. Délaissant la piste évasive et vaporeuse de 2046, le héros désenchanté de Diao Yi'nan se plonge à corps perdu dans un labyrinthe de rues et d'intrigues dangereuses. Traqué par ses pairs, captif de la ville, sa déambulation entre les ombres formule un onirisme nouveau (partagé néanmoins av…

Séjour dans les monts Fuchun (2020)

Avec quelques plans-séquences portés en douceur, une écriture quasi naturaliste des personnages, ainsi qu'une gestion marquée du passage des saisons, Gu Xiagong parvient à transposer au cinéma l'équilibre fluide des rouleaux peints de la tradition asiatique. Entre feuilleton familial et témoignage de mœurs, le scénario rappelle le maître taïwanais Edward Yang, mais avec un sens géographique en plus, un souci de prés…

ANIMA (2019)

Damien Jalet, chorégraphe, avait déjà contribué à Suspiria. Tarik Barri, responsable des projections graphiques, sévit comme VJ pour les concerts de Thom Yorke. Quant au directeur photo, Darius Khondji, c'est un vétéran du cinéma, depuis Delicatessen il y a trente ans. Tout ce beau monde, sous la houlette d'un PTA désormais bien familier de Radiohead et consorts, sonde non sans humour notre routine urbaine, à la rec…

Finding Phong (2018)

Le documentaire trouve son origine dans le journal vidéo personnel de Phong, et cette implication directe d'une femme transgenre en fait sans surprise un des témoignages les plus justes sur le sujet des transitions. Alors que le cinéma de fiction privilégie encore des obstacles dramatiques violents (de la dysphorie individuelle au rejet social), Finding Phong dresse avec naturel un panorama d'enjeux bien plus vaste …

First Love, le dernier Yakuza (2020)

La mise en scène et l'écriture, un peu indistinctes de la part d'un cinéaste vétéran, rappellent le détachement complice des premiers Tarantino, divertissant mais aussi plutôt dépassé, sans doute pour le cinéma en 2020, et à tout le moins dans mes goûts actuels. Miike n'a même pas pour lui de subvertir un minimum les rôles clichés du cinéma d'action : un héros taciturne et puissant, une princesse fébrile, un yakuza …

Nomad: In the Footsteps of Bruce Chatwin (2019)

Après une première moitié qui ouvrait petit à petit l'aura panthéiste de Chatwin, le documentaire glisse plus explicitement vers l'introspection. Herzog semble s'étonner de retrouver un parallèle puissant entre sa propre œuvre, ses films, ses voyages, sa quête de vérités, et le bourdonnement multiforme de son camarade aventurier. Sans doute le projet n'a-t-il pas consciemment été conçu ainsi, mais il s'agit finaleme…

Meeting Gorbachev (2019)

Le cours encyclopédique, malgré les notes d'humour, ennuie tout de même un peu sur la durée. C'est que Herzog attendait le dernier quart d'heure pour abattre ses cartes : par son rôle pivot dans l'histoire moderne des relations internationales, Gorbatchev a acquis, sans le savoir, une dimension tragique. L'acteur public et l'individu privé ne sont pas réconciliés, ils sont transcendés par un récit, une histoire qui …

Sortir de l'autisme (2008)

La psychanalyse n'a pas bonne presse chez les personnes autistes, mais la France en reste le bastion. C'est ainsi par l'intermédiaire d'une journaliste française que je découvre par hasard, mais de façon bienvenue, l'approche analytique du problème. Jacqueline Berger, mère de deux jumelles ayant présenté des troubles du développement, défend l'idée d'une dépression précoce qui, comme un cercle vicieux, isole de p…

Millenium Actress (2001)

La technique de superposition narrative entre récit rapporté et flashback rappelle évidemment Perfect Blue, et pourtant je suis restée à côté, sans pouvoir dire si je dois m'en prendre à la mise en scène décidément plus dédiée à l'effet de symbiose qu'au bon sens, ou bien à une certaine lassitude de ma part face à cette écriture typique du tournant du millénaire. Mais peut-être alors le film est-il, par sa cristalli…

Mortel (2019)

Une première saison très engageante ! Le récit, original, s'efforce de déjouer les clichés de la cité sans pour autant verser dans un naturalisme moralisant. Indécise mais toujours nerveuse, la mise en scène reflète efficacement l'état d'esprit des personnages ados. Réussite moins attendue mais encore plus remarquable, la sélection musicale, résolument moderne, fait preuve d'autant d'éclectisme que de goût. Je signe…

Brooklyn Affairs (2019)

Il aurait bien fallu trois protagonistes en moins pour éviter à Motherless Broolyn de s'empêtrer dans une intrigue à la fois trop alambiquée et trop décousue. Les classiques dont le scénario s'inspire s'en seraient d'ailleurs affranchi sans hésitation : de Fritz Lang à Billy Wilder, les enquêtes n'ont jamais importé que pour jouer de la confusion morale du personnage principal. Mais il n'y a ici d'intensité psycholo…