Cobra Verde

un film de Werner Herzog (1987)

Parvenus à leur ultime collaboration, Kinski crépitait de ses dernières étincelles, mais Herzog restait alerte comme à ses premiers projets. Peut-être encore plus, du fait de tourner sur ce continent africain qui l'intrigue, lui résiste et le malmène (la production de Fata Morgana demeure édifiante à ce niveau). Le personnage de Cobra Verde, bandit acide dont les premiers déboires brésiliens n'étaient pas sans rappeler l'élégie mystique El Topo, est expédié en Afrique de l'Ouest après une esclandre de trop. Sa mission insensée, qu'il accepte dans l'indifférence, moins par contrainte que par désœuvrement : pacifier les tribus du royaume de Dahomey afin de restaurer le trafic d'esclaves.

Sans répondre à l'objection selon laquelle il serait de bon ton de laisser les peuples d'Afrique raconter leur propre histoire, et que l'élévation d'un esclavagiste, même au rang d'anti-héros, se situe dans ce contexte au bord de l'injure, il faut reconnaître à Herzog une inversion fondamentale des tropes scénaristiques, qui a d'ailleurs sans nul doute joué dans la réception ambivalente du film. En effet, Cobra Verde évolue aux antipodes du white savior : sa mission est morbide, sa passion est destructrice, et il s'avilit sans scrupule dans le seul but de répondre à son ennui, c'est-à-dire à l'orgueil de ses ambitions mégalomaniaques.

Mieux encore, les tribus rencontrées n'ont nul besoin d'être sauvées. Si le bandit parvient ultimement à tirer son épingle du jeu, il n'en est pas moins dupé par un autre prétendant au pouvoir, un autochtone dont le parcours en arrière-plan du récit moquerait presque notre attention capturée par une crapule désabusée. Même isolément, pour quelques minutes, la mise en scène cadre avec noblesse et respect la culture rencontrée : processions festives monumentales, femmes guerrières, bellâtres hypnotiques et chanteuses envoûtantes...