Le lac aux oies sauvages (2019)

Il aura fallu une vingtaine d'années pour qu'un metteur en scène fasse suite aux recherches de Wong Kar-wai sur le spleen urbain. Délaissant la piste évasive et vaporeuse de 2046, le héros désenchanté de Diao Yi'nan se plonge à corps perdu dans un labyrinthe de rues et d'intrigues dangereuses. Traqué par ses pairs, captif de la ville, sa déambulation entre les ombres formule un onirisme nouveau (partagé néanmoins av…

Séjour dans les monts Fuchun (2020)

Avec quelques plans-séquences portés en douceur, une écriture quasi naturaliste des personnages, ainsi qu'une gestion marquée du passage des saisons, Gu Xiagong parvient à transposer au cinéma l'équilibre fluide des rouleaux peints de la tradition asiatique. Entre feuilleton familial et témoignage de mœurs, le scénario rappelle le maître taïwanais Edward Yang, mais avec un sens géographique en plus, un souci de prés…

ANIMA (2019)

Damien Jalet, chorégraphe, avait déjà contribué à Suspiria. Tarik Barri, responsable des projections graphiques, sévit comme VJ pour les concerts de Thom Yorke. Quant au directeur photo, Darius Khondji, c'est un vétéran du cinéma, depuis Delicatessen il y a trente ans. Tout ce beau monde, sous la houlette d'un PTA désormais bien familier de Radiohead et consorts, sonde non sans humour notre routine urbaine, à la rec…

Finding Phong (2018)

Le documentaire trouve son origine dans le journal vidéo personnel de Phong, et cette implication directe d'une femme transgenre en fait sans surprise un des témoignages les plus justes sur le sujet des transitions. Alors que le cinéma de fiction privilégie encore des obstacles dramatiques violents (de la dysphorie individuelle au rejet social), Finding Phong dresse avec naturel un panorama d'enjeux bien plus vaste …

First Love, le dernier Yakuza (2020)

La mise en scène et l'écriture, un peu indistinctes de la part d'un cinéaste vétéran, rappellent le détachement complice des premiers Tarantino, divertissant mais aussi plutôt dépassé, sans doute pour le cinéma en 2020, et à tout le moins dans mes goûts actuels. Miike n'a même pas pour lui de subvertir un minimum les rôles clichés du cinéma d'action : un héros taciturne et puissant, une princesse fébrile, un yakuza …

Nomad: In the Footsteps of Bruce Chatwin (2019)

Après une première moitié qui ouvrait petit à petit l'aura panthéiste de Chatwin, le documentaire glisse plus explicitement vers l'introspection. Herzog semble s'étonner de retrouver un parallèle puissant entre sa propre œuvre, ses films, ses voyages, sa quête de vérités, et le bourdonnement multiforme de son camarade aventurier. Sans doute le projet n'a-t-il pas consciemment été conçu ainsi, mais il s'agit finaleme…

Meeting Gorbachev (2019)

Le cours encyclopédique, malgré les notes d'humour, ennuie tout de même un peu sur la durée. C'est que Herzog attendait le dernier quart d'heure pour abattre ses cartes : par son rôle pivot dans l'histoire moderne des relations internationales, Gorbatchev a acquis, sans le savoir, une dimension tragique. L'acteur public et l'individu privé ne sont pas réconciliés, ils sont transcendés par un récit, une histoire qui …

Millenium Actress (2001)

La technique de superposition narrative entre récit rapporté et flashback rappelle évidemment Perfect Blue, et pourtant je suis restée à côté, sans pouvoir dire si je dois m'en prendre à la mise en scène décidément plus dédiée à l'effet de symbiose qu'au bon sens, ou bien à une certaine lassitude de ma part face à cette écriture typique du tournant du millénaire. Mais peut-être alors le film est-il, par sa cristalli…

Brooklyn Affairs (2019)

Il aurait bien fallu trois protagonistes en moins pour éviter à Motherless Broolyn de s'empêtrer dans une intrigue à la fois trop alambiquée et trop décousue. Les classiques dont le scénario s'inspire s'en seraient d'ailleurs affranchi sans hésitation : de Fritz Lang à Billy Wilder, les enquêtes n'ont jamais importé que pour jouer de la confusion morale du personnage principal. Mais il n'y a ici d'intensité psycholo…

La Cordillère des songes (2019)

De façon assez incroyable, La Cordillère des songes est le deuxième film de l'année à me piéger devant les exactions du régime de Pinochet. Il partage avec Santiago, Italia le même titre métaphorico-géographique trompeur, la même affiche non représentative d'un homme face aux Andes, et la même indignation de salon contre les atteintes aux droits de l'homme (on est loin, notamment, du diptyque The Act of Killing / Th…

The Irishman (2019)

Il y a pas dix façons de le dire : le dernier Scorsese est nul. Une histoire de crime comme il savait en filmer, mais qui sent le moisi aujourd'hui, avec ses criminels sans épaisseur psychologique, des vieux mecs blancs tous clônes les uns des autres, et des conflits d'intérêt dont on se moque d'autant plus qu'on sait dès le départ que ça les mènera à leur perte. La dernière demi-heure, dont certains prétendent qu'e…

Psychomagie, un art qui guérit (2019)

Relecture appliquée de la psychanalyse, la psychomagie de Jodorowsky est censée alléger patientes et patients de leurs troubles respectifs, via des célébrations poétiques et individualisées. La mise en scène est minimaliste, et l'analyse critique est nulle : Jodo pourrait tout aussi bien être un gourou ayant ruiné des dizaines de personnes, son docu n'en laisserait rien paraître. Ceci étant, la suite de success stor…

Le Traître (2019)

Le Traître est un maillon manquant entre Le Parrain et Gomorra, mais alors un maillon que personne n'aurait pensé à demander. Il ne se démarque ni par son côté épique essoufflé, ni par ses transgressions trop sages. Dommage que la mise en scène n'ait pas choisi son camp ; elle laisse sur les bras un film bien écrit et bien joué, mais dont je reste gênée de ne pas pouvoir extraire une identité.

Les enfants d'Isadora (2019)

Il y a cette idée fondamentale que chaque geste renferme une beauté impondérable, qu'il soit chiffré sur papier, rejoué cent ans plus tard, ou enregistré avec un smartphone sur la plage. Damien Manivel, l'air de rien, poursuit la même grâce transcendante que Miguel Gomes dans Les mille et une nuits, ou Bruno Dumont dans Jeannette. Et il la frôle d'ailleurs de plus près que le père Dumont, car sa mise en scène se pré…

Ad Astra (2019)

James Gray adapte le monomythe avec une rigueur qui touche parfois à l'autodérision. À mi-chemin entre les méandres de High Life et les tribulations d'Interstellar, son scénario aborde la dépression avec un objectif maximaliste, et conclut radicalement (quoique dans un vide abstrait) en faveur de la vie.

Roubaix, une lumière (2019)

Sur tous les plans, c'est le grand écart entre polar et naturalisme. Le chef de police est une figure paternelle omnipotente et rassurante, mais on le voit aussi déléguer les missions, distribuer les dossiers, nourrir ses chats. Son jeune lieutenant est à la source d'une voix-off emblématique des films noirs, mais ses confessions révèlent une candeur et une foi désarmantes d'authenticité. Les effets de style photogr…

Parasite (2019)

Le dernier Bong Joon-ho tient plus de la farandole hitchcockienne que du brûlot social. Sa gentille satire des classes écorche encore moins que The Square, et ridiculiser la richesse sans en montrer la violence symbolique est une impasse. Il n'y a même pas d'ironie dans la reconnaissance critique attribuée unanimement par le jury du royaume du glamour : à ce niveau, il s'agit plutôt d'une mascarade en bande organisé…

Permaculture, la voie de l'autonomie (2019)

Un tour d'Asie à la rencontre de diverses techniques de permaculture, variant selon les contraintes climatiques et sociétales de chaque région. Dénué d'ambitions auteuriales, le documentaire n'en est que plus éclairant. Si la « voie » du titre reconnaît les limites actuelles de cette dynamique, je regrette toutefois que le film (certes court) ne les discute pas plus : implantation dans les pays en développement, sta…

Santiago, Italia (2019)

Le documentaire n'a pas répondu aux attentes que son affiche avaient suscitées chez moi. Le titre, déjà, est largement trompeur. L'essentiel du film retrace l'historique (ou refait le procès) du coup d'État contre Allende, et l'intervention de l'ambassade italienne n'est relatée que sur le tard. Les témoignages des réfugiés, peu au fait des tensions politiques et internationales qui ont pu se nouer, m'ont laissée…

Sunset (2019)

Dans les yeux d'Irisz, tant de rage, de révolte, d'usure, de détermination... Pas de retentissement historique ou social à chercher, même si la reconstitution était soignée et sublime sur cette pellicule vaporeuse. Il s'agit d'abord d'une expérience de mystère puis d'effondrement, un peu comme Le fils de Saul était une expérience de survie. En quelque sorte, un travail d'ambiance par l'action. Il y a ce mouvem…