First Cow (2020)

First Cow peut se lire comme une étude de la masculinité occidentale, de ses tensions et de ses perspectives. Le personnage au centre de la première partie, doux et réservé, fait ressortir par contraste l'agressivité (connivente, misogyne, hiérarchisante) prégnante dans les rapports entre les hommes dont il croise la route. Dans un second temps, ledit personnage se lie d'amitié avec un autre homme (lui-même marginal…

The Path (2009)

Puisque le contenu ludique ne saurait se limiter à ramasser des collectibles en déambulant dans un bois, il faut bien faire porter l'intérêt sur le déchiffrement du message éparpillé en métaphores visuelles. Sauf que le jeu n'agit ni comme révélateur ni comme amplificateur d'idées ; en premier lieu, il camoufle, pour enrayer tout débat de pertinence, et surtout pour légitimer sa propre existence en tant que clé du s…

Divide by Sheep (2015)

Dans la mesure où Divide by Sheep et ses opérations mathématiques m'ennuient, je ne peux m'empêcher de voir et de mépriser les décisions de design qui visent à capturer l'attention : des nouvelles mécaniques introduites fréquemment, pas toujours cohérentes, combinées en mode salade-de-fruits plutôt que menées une à une à leurs extrémités respectives, et puis des tableaux et des zones débloquées au compte-gouttes, ac…

Dujanah (2017)

Islam contemporain, concerts punk, empathie transculturelle, antimilitarisme, shitpost cinéphilique, bornes d'arcade glitchées, androïdes, deuil... Dujanah réfute sans excuses ni orgueil l'apolitisme ambiant tout en brisant les frontières entre les genres. L'écriture multiforme (dans le sens où elle reconnaît à la fois son ambition sociale sincère et l'interaction complexe entre créateur et public) s'inscrit avec un…

Petite fille (2020)

Un des rares alliés français dans la lutte pour les droits LGBT (un des rares cinéastes engagés socialement, pourrait-on dire tout court), Sébastien Lifshitz signe pour Arte un docu grand public sur une gamine trans. Tellement grand public que je n'y ai pas une seule fois entendu le terme de « transidentité », effacé par « fille née dans un corps de garçon »... Je suis très partagée entre le b…

Journey (2012)

En dépit d'une mise en scène élégante, les contrôles flous (sous l'excuse d'être secondaires) et la narration vaporeuse (sous l'excuse de la pOéSiE) me ramènent à ces mots de droqen : I want to make a game where the characters travel well-worn paths that you see plainly laid out ahead of you; where your actions have personal consequences not buried in the sand of abstract systems or dispensed as a breathable aero…

BLACKTRANSARCHIVE (2020)

Exposé au Tate Modern, ce projet web fait bien plus que documenter les tensions et les aspirations éprouvées en 2020 par des personnes trans et racisées : tout comme Pose dans l'audiovisuel, il met en évidence la possibilité et le soulagement euphorique d'un espace médiatique safe lorsqu'un groupe opprimé dispose d'une plateforme d'expression.

Corrypt (2012)

Corrypt démarre comme un Sokoban classique, mais son intérêt réel se révèle après la résolution d'une poignée de puzzles. L'expérience est courte mais substantielle du fait d'altérations de design profondes, en particulier la présence de puzzles dynamiques non procéduraux (c'est la personne qui joue qui provoque leur création), qui va de pair avec une tolérance quant à la mise en danger du jeu lui-même (le softlock …

Langage et pouvoir symbolique (2001)

Extraits du chapitre 2.2, Les rites d'institution : Parler de rite d'institution, c'est indiquer que tout rite tend à consacrer ou à légitimer, c'est-à-dire à faire méconnaître en tant qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire ; ou, ce qui revient au même, à opérer solennellement, c'est-à-dire de manière licite et extra-ordinaire, une transgression des limites constitutiv…

Gambling, Gods and LSD (2002)

Confronté à certaines limites cinématographiques (en particulier les contraintes d'écriture du film de voyage), cet essai documentaire cherche moins à représenter des modes de transcendance qu'à documenter celles et ceux qui s'y adonnent. C'est une pirouette qui permet de s'abstraire du problème de la définition (il y a en effet presque autant de voies de transcendance que de personnes qui tendent cahin-caha à un ce…

Sokobond (2013)

Minimaliste sur le plan graphique, Sokobond se garde pourtant de toute aridité : la courbe de difficulté est en pente douce et chaleureuse, et la plupart des puzzles contiennent des marges de manœuvre « raisonnables », c'est-à-dire dans cette zone agréable à égale distance de l'optimisation étouffante et de la toile blanche vertigineuse. Edit: You know, it's been two days since I solved it, but I keep replaying '…

Ori and the Will of the Wisps (2020)

Pour cette suite tristement calibrée, le studio a pompé les décisions de design bloated de Hollow Knight tout en misant sur un maximalisme graphique éreintant (ni mes yeux ni ma carte graphique ne s'en sont encore remis). « On pouvait le faire, alors on l'a fait », comme si chaque curseur devait être poussé à fond et que toute demande éructée par un gamer lambda était bonne à être satisfaite. Il est loin, le sans-so…

LSD : Dream Emulator (1998)

Adaptation interactive du journal de rêves d'un des concepteurs du jeu, cette curiosité de l'époque PS1 recèle encore de quoi surprendre. Le contraste est marqué entre certains éléments loufoques et d'autres franchement sombres ; les modèles et les textures amusent ou écœurent —souvent les deux à la fois. La comparaison avec Yume Nikki est inévitable, mais Dream Simulator y perd plutôt : déjà parce que le caractère …

Recursed (2016)

Concis et équilibrés, les puzzles de Recursed rivalisent d'ingéniosité et de facétie avec ceux de Stephen's Sausage Roll. Et la courbe de progression est aussi agréable que dans Baba Is You, sinon plus (pas de bourrage de contenu qui dilue la fin). Visuellement, le jeu est d'une pauvreté assez rare, mais pour le reste, c'est une vraie gemme du genre.

Da 5 Bloods (2020)

Da 5 Bloods oscille constamment entre action flick 80s et militantisme contemporain. Des tropes hollywoodiens surannés et un accompagnement musical désastreux encrassent la volonté urgente de contribuer à l'émancipation des afro-américains. Le film trouve son équilibre après la première heure, en assumant pleinement l'héritage du premier Rambo, notamment grâce à la performance remarquable de Delroy Lindo.

Parade (1974)

Militant jusqu'au bout du rire et de la générosité, Jacques Tati termine sa carrière cinématographique avec la captation d'un spectacle de cirque. Monté avec trois bouts de ficelle, mais avec le concours d'artistes qui s'effacent devant leur performance, le film rejette positivement la glorification des stars autant que l'assujettissement du cinéma à une quelconque morale. Le public est invité à participer, le clown…

Devotion (2019)

Devotion méritait d'autant moins une censure qu'il n'a pas la portée historique et politique de Detention, le précédent jeu du studio taïwanais. J'aurais tout de même voulu me mettre en contact avec une représentation socio-culturelle étrangère, qui avait l'air minutieusement écrite et mise en scène, mais les jump scares me sont trop désagréables.

Flower (2009)

Tant que le jeu ne cherchait pas à réenchanter-la-ville™ en versant dans l'iconographie manichéenne de la-nature-multicolore-triomphe-sur-l'industrie-noir-charbon, j'ai aimé virevolter d'une fleur à l'autre, guidée avec juste ce qu'il faut de douceur pour me sentir libre sans être perdue. L'accompagnement symphonique et ses motifs bucoliques, intégrés dans un design sonore d'une fluidité remarquable, amènent à des e…

Lux Æterna (2020)

C'est la moitié pénible de Gaspar Noé qui prédomine ici : non pas la fougue adolescente, mais l'ambition belliqueuse. La démarche artistique est ramenée à un jeu de pouvoir. Il faut glorifier les réalisateurs établis, projeter de la sagesse en pontifiant en lettres romaines, et écraser ces « morts-vivants » qui n'auraient pas les moyens ou l'envie de dominer la culture. Le reste, dialogues improvisés, split screens,…

Return of the Obra Dinn (2018)

Comme dans un parc d'attractions, tous les éléments de Return of the Obra Dinn sont au service du public. Les fragments de l'histoire éclatée s'emboîtent avec un déclic assez plaisant, mais l'absence de pièces supplémentaires sonne aussi un peu faux. Il y a conflit, ici, entre l'envie de fluidifier l'expérience ludique et le besoin de caractériser les personnages. Cet équilibre précaire se retrouve dans la résolutio…