First Cow peut se lire comme une étude de la masculinité occidentale, de ses tensions et de ses perspectives. Le personnage au centre de la première partie, doux et réservé, fait ressortir par contraste l'agressivité (connivente, misogyne, hiérarchisante) prégnante dans les rapports entre les hommes dont il croise la route. Dans un second temps, ledit personnage se lie d'amitié avec un autre homme (lui-même marginalisé pour des raisons qui se devinent en filigrane du scénario), et la rencontre aboutit à un ménage à la fois pragmatique et attendrissant. Mises en regard avec l'absence d'une quelconque dimension sexuelle, la confiance commune et l'empathie réciproque dessinent une affection qui échappe aux schémas prévalents. Sous la sobriété narrative, cette relation porte le message radical selon lequel les éléments oppressifs de la masculinité, et non l'orientation sexuelle, sont les premiers freins contre la formation de couples homogenrés.
La richesse thématique du film ne s'arrête pas à cette interprétation féministe, puisqu'il se prête aussi à une lecture marxiste. Soumis à la précarité d'un avant-poste colonial perdu dans le nord-ouest américain, les protagonistes voient dans la vente de biscuits une opportunité économique pour s'émanciper. Ils disposent d'un double savoir-faire, culinaire et commercial, qui pourrait leur apporter une certaine stabilité... sauf que cette force est inutile sans l'accès au lait de la vache importée par l'intendant du camp (la première de la région, d'où le titre). Écrit et interprété avec un plaisir satirique, cet archétype de la bourgeoisie anglaise détient les moyens de production et coordonne le travail ; au cours d'un dialogue avec un commandant en villégiature, il se livre sur les stratagèmes déployés pour désamorcer les contestations et tenir le prolétariat local sous contrôle. Son érudition a une valeur performative, qui s'oppose aux connaissances pratiques des héros (par ailleurs contraints à la réclusion ou au silence). Il faut l'entendre se délecter de sa propre commande d'un clafoutis (articulé en français, pour une distinction maximale).
Beaucoup pourrait ensuite être dit sur les fonctions disparates du langage, mais je ne prendrai pas le risque d'amoindrir encore plus les qualités intrinsèques de la mise en scène caractéristique de Kelly Reichardt et de son dir-photo Christopher Blauvelt (un proche collaborateur depuis Meek's Cutoff) : les compositions 4:3 créatives, la lumière feutrée et le grain chaleureux, l'attention émotionnelle portée aux personnages secondaires, l'humour furtif qui se fond dans le déroulement de l'action... Autant d'éléments dont l'assemblage instille une sérénité caractéristique des films de la réalisatrice, et qui ouvrent un espace de répit et de réflexion, entre solitude heureuse et intimité partagée.
First Cow peut se lire comme une étude de la masculinité occidentale, de ses tensions et de ses perspectives. Le personnage au centre de la première partie, doux et réservé, fait ressortir par contraste l'agressivité (connivente, misogyne, hiérarchisante) prégnante dans les rapports entre les hommes dont il croise la route. Dans un second temps, ledit personnage se lie d'amitié avec un autre homme (lui-même marginalisé pour des raisons qui se devinent en filigrane du scénario), et la rencontre aboutit à un ménage à la fois pragmatique et attendrissant. Mises en regard avec l'absence d'une quelconque dimension sexuelle, la confiance commune et l'empathie réciproque dessinent une affection qui échappe aux schémas prévalents. Sous la sobriété narrative, cette relation porte le message radical selon lequel les éléments oppressifs de la masculinité, et non l'orientation sexuelle, sont les premiers freins contre la formation de couples homogenrés.
La richesse thématique du film ne s'arrête pas à cette interprétation féministe, puisqu'il se prête aussi à une lecture marxiste. Soumis à la précarité d'un avant-poste colonial perdu dans le nord-ouest américain, les protagonistes voient dans la vente de biscuits une opportunité économique pour s'émanciper. Ils disposent d'un double savoir-faire, culinaire et commercial, qui pourrait leur apporter une certaine stabilité... sauf que cette force est inutile sans l'accès au lait de la vache importée par l'intendant du camp (la première de la région, d'où le titre). Écrit et interprété avec un plaisir satirique, cet archétype de la bourgeoisie anglaise détient les moyens de production et coordonne le travail ; au cours d'un dialogue avec un commandant en villégiature, il se livre sur les stratagèmes déployés pour désamorcer les contestations et tenir le prolétariat local sous contrôle. Son érudition a une valeur performative, qui s'oppose aux connaissances pratiques des héros (par ailleurs contraints à la réclusion ou au silence). Il faut l'entendre se délecter de sa propre commande d'un clafoutis (articulé en français, pour une distinction maximale).
Beaucoup pourrait ensuite être dit sur les fonctions disparates du langage, mais je ne prendrai pas le risque d'amoindrir encore plus les qualités intrinsèques de la mise en scène caractéristique de Kelly Reichardt et de son dir-photo Christopher Blauvelt (un proche collaborateur depuis Meek's Cutoff) : les compositions 4:3 créatives, la lumière feutrée et le grain chaleureux, l'attention émotionnelle portée aux personnages secondaires, l'humour furtif qui se fond dans le déroulement de l'action... Autant d'éléments dont l'assemblage instille une sérénité caractéristique des films de la réalisatrice, et qui ouvrent un espace de répit et de réflexion, entre solitude heureuse et intimité partagée.