L'esthétique de The Neon Demon, dès son générique huileux et glacé, m'envoûte. L'ouverture me rappelle celle de Dancer in the Dark, un manifeste à base de toiles abstraites statiques et de symphonies pompeuses, en lequel je n'avais pas su lire à temps un avertissement de mon incompatibilité avec Lars von Trier. Mais les néons, la saturation, les basses, composent depuis Enter the Void un profil d'univers dans lequel je me prélasse, je me plonge, je m'abandonne dans une déliquescence bienheureuse. Ici, n'importe quel décor est transformé en un fantastique terrain de jeu expressionniste. Rien n'échappe à cette invasion multicolore, outrée et arbitraire, mais dont je partage la passion exaltée. Ça parle ou ça parle pas.
Derrière la question sensorielle, il y a un scénario qui, bien qu'il ne vise rien de précis, s'avère en définitive plus frappant que l'essentiel des productions qui s'auto-proclament subversives. Qu'importe si NWR l'a truffé de dialogues simples, antipathiques dans leur naturel. Il fallait s'y attendre, The Neon Demon ne constitue pas plus un mémoire sociologique sur les arènes californiennes de la mode que Valhalla Rising n'était le portrait naturaliste d'un héros viking. En fait, TND ne m'intéresse même pas du point de vue de ce qu'il pourrait raconter par rapport à la beauté physique.
Il faut voir plus large, recadrer le personnage d'Elle Fanning dans un contexte artistique nettement plus universel. J'y ai vu tour à tour le génie du créateur, et l'incarnation du sublime. Un génie pas forcément explicable, ni nécessairement conscient de son pouvoir, mais qui suscite dans tous les cas autant d'admiration que de jalousie et de dégoût. Et le sublime, celui qui étrangle et submerge, qui fait ouvrir grand les yeux et déglutir : ai-je vraiment assisté à ça ? est-il possible d'avoir été gratifié, moi simple humain, de cette vision sidérante ? Un sentiment de révélation transie qui accompagne sourdement Jesse partout où elle passe, et est susceptible d'éclater dans l'ingénuité comme dans la vanité. Le parallèle entre les sortilèges de cette nymphe et les coups d'éclat stylistiques d'un NWR réputé pour être aussi fier qu'ambitieux est, dès lors, évident.
Le monde tracé par le scénario carbure à l'admiration ; l'extase reste permise, mais tant qu'elle n'éclot pas, la fausseté et les fantasmes priment. C'est la source de l'esprit baroque de TND, qui tache de sang les peaux diaphanes, et double d'un érotisme irrépressible la nécrophilie la plus repoussante. Gigi et Sarah, reptiliennes, méthodiques, répriment leur convoitise derrière des masques obséquieux. Ruby, encore plus imbue d'elle-même, s'attribue le crédit d'un amour en puissance là où ne se trouvait qu'une amitié prudente. La gente mâle n'est pas épargnée : Hank, manager de l'hôtel, ne renie jamais une perversité vicieuse qui tranche avec son rôle d'hôte, et même Dean, le candide petit ami de Jesse, tombe dans un piège qui teinte toute leur relation d'une superficialité malséante.
Malséante, mais peut-être pas blâmable : une suggestion controversée, surprenante de la part d'un réalisateur établi, mais qui pourrait bien se nicher au cœur de The Neon Demon. L'amitié peut-elle se départir de toute admiration ? Et de la jalousie qui s'y associe par instinct ? Enfin quand l'envie s'installe, même sans qu'elle constitue une finalité pour la relation, n'en accomplit-elle pas un aspect essentiel lorsqu'elle flatte l'orgueil de celui qui en est le sujet ? Autant de pensées inavouables pour une société qui chante incessamment la vertu idyllique des amitiés désintéressées. Comptez-moi parmi les salauds s'il le faut, mais j'y vois une vérité perçante rarement formulée.
Envieuse, Jesse devient enviée, et s'enivre d'une assurance qui fleurit magistralement lors de la scène du défilé. Mais NWR sait qu'on punit et, sans doute, qu'il faut punir, les egos démesurés. Un mois après Bruno Dumont, il verse dans le cannibalisme : toujours pas pour jouer sur le gore ni même pour parler bêtement de survie, mais cette fois pour signifier l'appropriation de la puissance de l'ennemi, à l'image d'anciens rituels mésoaméricains ou mélanésiens. Et quand arrive l'ultime séquence, il faut se rappeler le fondu qui avait été monté entre le disque de la pleine lune et l'œil de Jesse. Car si quelqu'un réussissait à décrocher la lune, il serait aberrant de la laisser traîner sur le carrelage de la salle de bains.
Eye Candy
L'esthétique de The Neon Demon, dès son générique huileux et glacé, m'envoûte. L'ouverture me rappelle celle de Dancer in the Dark, un manifeste à base de toiles abstraites statiques et de symphonies pompeuses, en lequel je n'avais pas su lire à temps un avertissement de mon incompatibilité avec Lars von Trier. Mais les néons, la saturation, les basses, composent depuis Enter the Void un profil d'univers dans lequel je me prélasse, je me plonge, je m'abandonne dans une déliquescence bienheureuse. Ici, n'importe quel décor est transformé en un fantastique terrain de jeu expressionniste. Rien n'échappe à cette invasion multicolore, outrée et arbitraire, mais dont je partage la passion exaltée. Ça parle ou ça parle pas.
Derrière la question sensorielle, il y a un scénario qui, bien qu'il ne vise rien de précis, s'avère en définitive plus frappant que l'essentiel des productions qui s'auto-proclament subversives. Qu'importe si NWR l'a truffé de dialogues simples, antipathiques dans leur naturel. Il fallait s'y attendre, The Neon Demon ne constitue pas plus un mémoire sociologique sur les arènes californiennes de la mode que Valhalla Rising n'était le portrait naturaliste d'un héros viking. En fait, TND ne m'intéresse même pas du point de vue de ce qu'il pourrait raconter par rapport à la beauté physique.
Il faut voir plus large, recadrer le personnage d'Elle Fanning dans un contexte artistique nettement plus universel. J'y ai vu tour à tour le génie du créateur, et l'incarnation du sublime. Un génie pas forcément explicable, ni nécessairement conscient de son pouvoir, mais qui suscite dans tous les cas autant d'admiration que de jalousie et de dégoût. Et le sublime, celui qui étrangle et submerge, qui fait ouvrir grand les yeux et déglutir : ai-je vraiment assisté à ça ? est-il possible d'avoir été gratifié, moi simple humain, de cette vision sidérante ? Un sentiment de révélation transie qui accompagne sourdement Jesse partout où elle passe, et est susceptible d'éclater dans l'ingénuité comme dans la vanité. Le parallèle entre les sortilèges de cette nymphe et les coups d'éclat stylistiques d'un NWR réputé pour être aussi fier qu'ambitieux est, dès lors, évident.
Le monde tracé par le scénario carbure à l'admiration ; l'extase reste permise, mais tant qu'elle n'éclot pas, la fausseté et les fantasmes priment. C'est la source de l'esprit baroque de TND, qui tache de sang les peaux diaphanes, et double d'un érotisme irrépressible la nécrophilie la plus repoussante. Gigi et Sarah, reptiliennes, méthodiques, répriment leur convoitise derrière des masques obséquieux. Ruby, encore plus imbue d'elle-même, s'attribue le crédit d'un amour en puissance là où ne se trouvait qu'une amitié prudente. La gente mâle n'est pas épargnée : Hank, manager de l'hôtel, ne renie jamais une perversité vicieuse qui tranche avec son rôle d'hôte, et même Dean, le candide petit ami de Jesse, tombe dans un piège qui teinte toute leur relation d'une superficialité malséante.
Malséante, mais peut-être pas blâmable : une suggestion controversée, surprenante de la part d'un réalisateur établi, mais qui pourrait bien se nicher au cœur de The Neon Demon. L'amitié peut-elle se départir de toute admiration ? Et de la jalousie qui s'y associe par instinct ? Enfin quand l'envie s'installe, même sans qu'elle constitue une finalité pour la relation, n'en accomplit-elle pas un aspect essentiel lorsqu'elle flatte l'orgueil de celui qui en est le sujet ? Autant de pensées inavouables pour une société qui chante incessamment la vertu idyllique des amitiés désintéressées. Comptez-moi parmi les salauds s'il le faut, mais j'y vois une vérité perçante rarement formulée.
Envieuse, Jesse devient enviée, et s'enivre d'une assurance qui fleurit magistralement lors de la scène du défilé. Mais NWR sait qu'on punit et, sans doute, qu'il faut punir, les egos démesurés. Un mois après Bruno Dumont, il verse dans le cannibalisme : toujours pas pour jouer sur le gore ni même pour parler bêtement de survie, mais cette fois pour signifier l'appropriation de la puissance de l'ennemi, à l'image d'anciens rituels mésoaméricains ou mélanésiens. Et quand arrive l'ultime séquence, il faut se rappeler le fondu qui avait été monté entre le disque de la pleine lune et l'œil de Jesse. Car si quelqu'un réussissait à décrocher la lune, il serait aberrant de la laisser traîner sur le carrelage de la salle de bains.