Resident Evil : Chapitre final

Resident Evil: The Final Chapter

un film de Paul W.S. Anderson (2016)

vu le 4 février 2017 à l'UGC Les Halles

Evil Rant

J'ai déjà écrit des textes mesurés en défense de films bassement notés, et même contre les notes tout court, alors je vais me permettre ce soir de commencer par dire que j'emmerde sans concession tous ceux qui sont incapables de me prendre au sérieux quand je parle en bien de films à mauvaise réputation. Je le fais pas pour amuser la galerie, et encore moins par esprit de contradiction. C'est juste que je reste capable d'accorder un brin de considération à tout ce qui me tombe sous la main, là où d'autres étouffent toute marque de respect avec ce réflexe craintif du « mauvais goût ». Je n'ai pas moins idée de ce en quoi consiste le Persona d'Ingmar Bergman que Le Cœur des hommes 3 de Marc Esposito, et je suis curieux de pouvoir juger les deux. Je vénère Paul Thomas Anderson et j'aime Paul W.S. Anderson. Pourquoi ce serait si aberrant ? Quels commandements des tables de la Cinéphilie aurais-je bafoués ?

J'ai vu Moonlight hier, réalisé par un certain Barry Jenkins. Le type ne peut pas s'empêcher de farcir ses scènes de ralentis, de silences, de regards spectraux perdus sur la toile d'araignée au fond de la pièce lugubre derrière le canapé moisi. Quelle originalité ! Quel talent ! La composition du héros de son scénario tourne autour d'une branlette que celui-ci reçoit à quinze ans (ne me parlez pas de ses interactions avec la drogue, un ressort bateau déjà vu mille fois et largement débandé). Non content de définir un personnage par son homosexualité, au centre du scandale, l'homosexualité est définie par une pauvre pougnette en hors-champ. Quel progressisme ! Quelle profondeur !

Et donc un gars comme Barry Jenkins reçoit une nomination pour l'Oscar de la mise en scène, la sphère critique américaine lui lèche le cul jusqu'à l'intestin grêle, pendant que juger Paul W.S. Anderson en tant qu'auteur passe pour une attitude ridicule et intenable. Jenkins aligne les plans étirés et creux, et Anderson n'aurait pas le droit d'utiliser un montage intense et hyper-dynamique ? Pourtant ce montage reste toujours facilement compréhensible tout en faisant résonner l'action avec fracas. Est-ce que ce n'est pas une manifestation essentielle de cinéma que de parvenir à faire ressentir des images que le système optique a tout juste le temps d'analyser ?

D'autres réalisateurs de blockbusters sont salement illisibles, mais ici avec Anderson c'est clair et ça demande juste un poil d'investissement. Quand les aficionados de plans interminables signés Apichatpong Weerasethakul, Hou Hsiao-hsien, Krzysztof Kieslowski et le reste du club des noms imblairables, ce public cinéphile censément hardcore qui parle d'exigence pour évoquer à la fois sa capacité de concentration et, sans le reconnaître, son laxisme face à l'incompréhension occasionnelle et l'indifférence régulière ; quand cette élite crache instinctivement sur les montages rapides alors qu'elle déploie ses efforts en d'autres circonstances et sans plus se remettre en question, elle étale avant tout une mauvaise volonté et une fermeture d'esprit dignes des pires formatages. C'est du snobisme arbitraire et vaniteux, presque du mépris de classe. Et il y a des fois, ça me fout la haine.

L'individualité de Paul W.S. Anderson, son caractère, cette touche de magie artistique que peinent à témoigner même les visiteurs de Sundance et de Cannes qui tombent un à un d'une épidémie de cacadémisme vaseux, elle pourrait se décliner d'autant plus longuement qu'il a déjà une quinzaine de long-métrages à son actif. Pourtant personne, absolument personne ne s'y aventure. Même pas parce qu'il faudrait faire le tri entre les contraintes commerciales auxquelles il s'est plié et ce qui lui tient vraiment à cœur (laissons ce privilège à Ridley Scott, à Brad Bird, à M. Night Shyamalan, etc.), mais surtout parce qu'il a tourné des adaptations de jeux vidéo en se moquant de la finesse et du réalisme de ses scénarios, un choix apparemment impardonnable (tant qu'il n'est pas servi par les meilleurs techniciens du milieu et un porte-monnaie plus rebondi, comme chez George Miller ou James Cameron).

Combien savent que Paul W.S. Anderson et Milla Jovovich doivent leur mariage à une rencontre fortuite en 2001, pour le tournage même du premier épisode de Resident Evil ? Anderson ayant aidé en six films à ériger sa femme en tant que figure badass incontournable, il ne tient qu'au critique de relire cette saga bariolée sous l'angle de la plus grotesque lettre d'amour jamais écrite. Et combien encore ont noté que la Red Queen est interprétée par la fille aînée du couple, née quelques jours après la sortie du troisième opus ? Il suffit de s'intéresser à un peu de contexte, amené par à peine plus de respect, pour être particulièrement interpellé par la « Trinity of Bitches » d'un des derniers plans, qui réunit la fille, sa mère, et puis sa mère numériquement grimée en petite vieille, dans un portrait qui évoque à la fois la ténacité des liens du sang, l'émancipation féminine, ou encore une tendre auto-dérision. Une vision de la famille qui ne mérite pas moins d'attention que chez Tim Burton avec sa ritournelle mickey-gothique.

Sans doute la plus grande incompréhension autour du cinéma d'Anderson règne-t-elle sur son humour. Nonobstant les insécurités de ceux qui se demandent s'il est de bon ton ou non de lâcher un rire devant un film qu'ils considèrent débile sans même en avoir vu une image (quelle ironie), il faut dire que le potentiel de Resident Evil: The Final Chapter se démarque des types de comique consacrés par le théâtre. S'il y a un comique de mots, il ne s'agit évidemment pas de piques ciselées et cocasses, ni même des vannes forcées et misérables des zozos de Marvel. Ce comique est indissociable du montage, par exemple lors de la séquence de debriefing où Alice apprend la situation de la résistance, une stichomythie classique rendue bouffonne par une alternance de plans qui ne ménage aucun temps de réaction au personnage.

C'est une aberration physique semblable qui élève le comique de caractère lorsque la simulation de combat du Dr Isaacs, une projection de réalité augmentée qui prend le cadre en otage, enchaîne les scénarios de meurtre froids et impitoyables pour finalement se conclure sur le bad guy fier et bienheureux, un verre de whisky à la main et un fin sourire au visage. Il est inutile de faire le tour des gags pour comprendre que la plupart sont intimement liés à des techniques de cinéma, et diffèrent de l'humour élémentaire qui est communément valorisé. Le film ne propose pas de rire avec lui, ni même contre lui (quoique je ne trouve aucun mal à ça ailleurs), mais de lui. Si déboussolante puisse-t-elle être, il s'agit à nouveau d'une expression essentielle de cinéma, qu'il est assez regrettable d'ignorer, et dont il serait franchement stupide de se moquer.

J'ai un tas de bonnes raisons de penser et de dire du bien de Resident Evil: The Final Chapter, et si j'ai pas fait bouger votre désapprobation d'un iota, partagé entre la pitié et l'agacement, je m'apprête à vous laisser mariner dans votre fange poisseuse et étriquée. Mais je tenais ultimement à faire remarquer que, quand bien même votre nature restait platement réfractaire à la vision de Paul W.S. Anderson parce que ça vous semblait naïvement plus intelligent de ne jamais traiter avec sérieux d'un divertissement, le fait de prendre automatiquement de haut un commentateur, avant même d'être dans le débat de fond, est encore plus révélateur d'une étroitesse d'esprit affligeante. Comme un mioche qui braille et court se planquer pour ne pas avoir à entendre ce que veulent lui proposer ses parents.

Sur ce, tels le héros de Moonlight, je vous laisse vous palucher sur les films bienséants, qu'ils soient nécessaires, humanistes, nihilistes, je m'en tamponne le coquillard, avec leur palanquée d'histoires inutiles, que vous connaissez déjà et que vous ne vivrez jamais. Je retourne m'amuser ; j'ai à découvrir.