Sous vos yeux ébahis, je vais maintenant réaliser cette critique en un seul paragraphe. Autant l'annoncer tout de suite, le procédé n'éclairera aucun propos du texte. Les différentes sections ont été pensées séparément, mais elles seront collées les unes aux autres avec des transitions artificielles. Le résultat ne procure pas plus d'immersion qu'un article nettement structuré, et l'effet est même contre-productif dans la mesure où il n'offre plus aucune surprise après les premières lignes, en plus des coupures maquillées qui se laissent attendre et distraient du contenu, mais hé, peut-être que je générerai un peu d'attention. Et puis, il y a des chances que ça masque le fait que mes arguments ont déjà été exposés avec bien plus de finesse et de verve par d'autres cinéphiles. Ce qui ne va pas trop peser sur ma conscience, car après tout, j'ose, j'invente, je fais partie des derniers défenseurs de l'Art avec un A mégajuscule, non mais. Qui sait, ça pourrait même me valoir un Pulitzer. Bon, pour éviter que mes chevilles n'explosent, je vais arrêter d'essayer de me mettre à la place d'Iñárritu. En plus, il est difficile de lui en vouloir profondément, car le type est sincère dans sa volonté de proposer une expérience cinématographique originale. Mais il lui manque le tas de neurones d'inventivité qui lui permettraient de renouveler un concept étalé sur deux heures (s'il tient tant que ça à s'y accrocher), ainsi que les deux ou trois synapses qui suffisent pour comprendre que lier la forme au fond, c'est vraiment la base du cinéma. Ou alors c'est l'humilité qui lui fait surtout défaut, celle qui aurait dû le pousser à revoir sa copie plutôt qu'adopter un jusqu'au-boutisme complètement vain. Mais qu'importe. Qu'importent les effets numériques qui permettent d'accomplir sans trop d'efforts ce que certains prennent pour un miracle de mise en scène. Qu'importent les cadrages élémentaires et sans charme. Qu'importent les prises de la caméra qui tournoie et tangue sans cesse autour des acteurs, trop effrayée qu'elle est de rompre l'illusion d'un récit dynamique et habité, exactement à l'image des blockbusters méprisés. Et ce qui vaut pour l'image reste valable pour l'accompagnement musical, une piste de batterie contemporaino-bullshitesque qui tient réveillé mais ne signifie pas grand-chose dans le contexte. À ce niveau, il faut s'estimer chanceux d'avoir un éclairage assez correct. En effet, pourquoi se fatiguer, alors qu'il est si simple de ne choyer qu'une seule idée joujou, et que la critique est si aisément séduite par ce registre d'expériences ostentatoires ? Il n'y a pas besoin d'aller chercher plus loin que le format carré de Mommy, ou les dialogues en langue des signes non sous-titrés de The Tribe. Comme Iñárritu, Dolan et [un ukrainien au nom imprononçable, et qui ne méritait de toute façon pas d'être retenu] sont convaincus d'être dans leur bon droit, sous prétexte qu'ils se démarquent. L'ukrainien ne remettait jamais en question la vacuité interstellaire de son propos. Quant au freluquet québécois, sa caméra retranscrivait par moment une claustrophobie pertinente, mais il existe bien d'autres techniques pour susciter cette anxiété. Le jeu n'en valait pas la chandelle d'un bout à l'autre de la mèche, et rien n'excuse cette prétention à se plaindre de ne pas avoir été nominé aux Oscars. D'ailleurs, quelques dernières gouttes de venin, lieux communs qui n'en sont pas moins justes : si le garçon avait un minimum d'authenticité à défendre, il ne serait sans doute pas en train de fantasmer à propos de l'industrie hypocrite et arbitraire qui orchestre l'attribution des statuettes dorées. En passant. Pour revenir au sujet Birdman, le seul avantage de la dissociation entre forme et fond est de gracieusement me permettre de faire le tour du premier en évoquant à peine le second, qu'il est certes temps d'aborder.* D'autant plus que sa complexité est inversement proportionnelle à l'idée unique qui sous-tend la technique du film. Autrement dit, c'est un vaste bordel. Pour rappel, Michael Keaton incarne Riggan Thomson, ex-star d'une franchise de super-héros qui tente de se reconvertir en metteur en scène et comédien sur planches. L'histoire est moins construite sur le récit du comeback que sur les personnages et la succession de scénettes qui les voient interagir à deux ou trois. En tant que moteurs du projet et incarnations trop assujetties au message dénonciateur que veut partager le mexicain, ils ne génèrent que peu d'empathie. L'autre raison à ça, c'est qu'en dépit de leurs quelques qualités, ils ont tous l'air horriblement pénibles à côtoyer. Pour écrire ses personnages, Iñárritu a dû se poser devant une feuille puis cracher en quelques secondes tout ce qui lui hérisse le poil dans l'industrie du cinéma. Il égratigne au passage le milieu du théâtre, mais les deux critiques rentrent bien sûr facilement en intersection. Tout le monde en prend pour son grade, acteurs égocentriques, don Juan désabusés, actrices sous anxiolytiques, producteurs sans âme, jeunesse oisive et ingrate, public débile qui oublie l'œuvre dès qu'il ne l'a plus sous les yeux, et j'en passe. Cette bile éclabousse aussi les blockbusters, et d'autant plus allègrement qu'il faut faire ressortir par contraste combien Birdman est un film Alternatif Et Très Important. Je dirais même : un film ArternArtif. Dans une certaine mesure, cette galerie de monstres n'est pas une caricature excessive, et le déballage est plutôt mérité. Mais tirer à boulets rouges sur tout à la fois et espérer accoucher d'une critique pertinente, quelle naïveté ! Cette attaque contre Hollywood parvient à être à la fois plus sérieuse et moins subtile que celle guidée par Cronenberg dans le déjà maladroit Maps to the Stars. La satire est féroce, mais ô combien facile, improductive, et annihilatrice d'émotion. Parler d'une collection de portes enfoncées ne suffit pas, il faut s'imaginer les encadrures parties avec, et quelques bouts de mur supplémentaires. Pourtant, une complexité étrange se cache derrière cette grâce éléphantesque. Pour commencer, le casting en lui-même est très méta. Birdman est à Riggan ce que Batman est à Keaton (et ce que Captain Obvious est à l'auteur de ce texte), mais le passif de l'acteur principal devient encore plus tordu quand on apprend qu'il a refusé le rôle principal de la série Lost, alors qu'il aurait probablement pu enrayer sa période à vide, renouer avec le succès, et brûler presque 10 ans plus tôt que Kevin Spacey dans House of Cards le cordon sanitaire qui séparait bêtement ciné et séries. Et quand on sait qu'Hollywood a bel et bien offert son comeback à Keaton en 2014, qui plus est dans les machines probablement décérébrées qu'étaient Need for Speed et RoboCop (à la fois un remake et un reboot, putain !), il y a de quoi se dire que ce Birdman est foutrement schizo, bien au-delà du rôle écrit dans le scénario. Les compagnons de Keaton ne sont d'autre part pas en reste, entre Edward Norton réputé pour son exigence, Naomi Watts qui a percé aux US en incarnant pour Mulholland Drive (ou pour elle-même ?) le fantasme de sa propre vie, et Zach Galifianakis qui risque la gueule de bois du succès s'il ne trouve pas rapidement la suite de sa carrière post-Hangover. Des portes que pourrait justement lui ouvrir sa belle prestation dans Birdman. Cette confusion vertigineuse ne concerne pas seulement les acteurs, mais parcourt vraiment l'ensemble du film. Avec tous ces effets de manche, télékinésie, lévitation, visions pyrotechniques fulgurantes, présents dès la première scène et de plus en plus marqués à mesure que le dénouement se rapproche, est-ce qu'Iñárritu n'est pas en train de s'opposer à son premier niveau de lecture, en rendant hommage aux idoles que sont les techniques tapageuses du blockbuster ? Est-ce que ce n'est pas aussi le sens de cette bande-annonce attrape-nigauds, toute découpée et pas du tout plan-séquence, qui soutenait des valeurs moquées au cours du film complet ? Et la salle finale qui applaudit sans rien comprendre au drame du type qui a manqué de se suicider sur scène, est-ce que ce n'est pas dans sa pensée un gros doigt d'honneur dans la tronche du public de dégénérés venus voir Birdman ? Et cette traversée de Times Square en slip, et ce monologue grotesque et cliché vociféré par Emma Stone, et cette scène lesbienne tellement sortie de nulle part et surjouée qu'elle ressemble à un troll, ce voyeurisme et ce sensationnalisme, est-ce qu'ils sont approuvés, est-ce qu'ils sont accusés ? Est-ce que le film s'auto-dénonce ? Est-ce qu'il s'auto-sabote ? Est-ce qu'Iñárritu a la putain de moindre idée de ce qu'il raconte, somme toute ? Sils Maria serpentait élégamment dans la brume des Alpes suisses pour exprimer toute la complexité de la condition d'actrice contemporaine. Sur ce plan, Birdman est une pelote de nœuds imbitable, avec des fils qui dépassent de partout mais aucun qui accepte de s'en détacher quand on tire dessus. Alors autant prendre un revolver pour trancher l'histoire et lui permettre de se conclure dans un hôpital. Gordias n'a qu'à bien se tenir. L'épilogue de rédemption suggère que le réalisateur soutient et glorifie bel et bien le personnage de Riggan. L'oiseau moqueur disparaît définitivement dans les toilettes. Peut-être qu'il sera remplacé par un double de Riggan en slip, cicatrice de sa nouvelle célébrité virale après l'incident vaudevillesque du peignoir. Peut-être que, comme lui dit son ex-femme, cette célébrité ne vaut rien, et il ne comprend même pas ce qu'il met en scène. Retour dans la méta-spirale infernale. S'il y a une chose à tirer de tout ça, c'est que Riggan représente moins Keaton qu'Iñárritu. Et c'est bien la raison pour laquelle le film n'est jamais aussi hargneux que face à la critique de théâtre Tabitha Dickinson, campée par une Lindsay Duncan pète-sec et parfaite. Elle n'est même pas apparue dans le champ de la caméra qu'elle se retrouve déjà avec un « dick » dans son nom, et le personnage de Norton, dont les performances reçoivent pourtant ses faveurs, n'hésite pas à la décrire dans son dos comme une femme « qui aurait léché le cul d'un SDF ». Pourquoi tant de bassesse dans le scénario ? Parce qu'Iñárritu est un gamin complètement immature qui n'a pas digéré l'accueil un peu tiède de son précédent film, Biutiful. Du coup, la séquence de Terrence Malick raté qui ouvre Birdman et est reproduite juste après le coup de feu, construction extrêmement proche de ce qui se trouve au début puis à la fin de Biutiful : s'agit-il de la marque d'un réalisateur en panne d'inspiration, ou bien a-t-on affaire à un « fuck you » de la part d'un malicieux capricieux vaniteux, qui est convaincu que son idée minable sera cette fois tolérée de part et d'autre de l'irrésistible plan ininterrompu, et veut se prouver que c'est une critique arbitraire et arriérée qui juge son travail ? Aucune des deux options n'est à exclure, et il y a vraiment une chance pour que cet Oscar du meilleur réalisateur soit l'aboutissement méprisant de la plus grande masquarade machiavélique de l'histoire du cinéma. Frissons. De dégoût ou de plaisir ? Une seule certitude : Birdman possède le super-pouvoir de griller des cervelles... En repensant au charme rugueux d'Amours Chiennes, son premier et meilleur film à ce jour, suivie de l'incursion de stars hollywoodiennes dans sa mécanique chorale au cours de 21 Grammes puis Babel, parachevée avec ce Birdman psychotique et narcissique, il y a de quoi se dire qu'Iñárritu a été bouffé tout cru par l'industrie américaine. Le jour, il met un point d'honneur à ignorer son voisin d'en face, Big Bad Blockbuster. Et la nuit, il sort son masque, traverse la rue en catimini, partage quelques bières, puis rentre en titubant avec les outils à spectacle que son pote pas chiant, pas complexé, lui a prêtés. Certains parviennent à convoquer incomparablement plus d'émotion en un plan-séquence d'une minute ou deux, mais ce genre de sale hippie de moins en moins fréquentable préfère la mer aux quartiers résidentiels du cinéma, et se moque bien de ce qui se dit à son propos. Quoi qu'il en soit, si Iñárritu considère globalement que le succès, c'est passer d'une célébrité en collants et à plumes dans un studio, à une célébrité en slip et à poil dans une rue, il ne devrait pas trop peiner à pondre un second film creux et foutraque, qui séduira encore facilement. Et qui, surtout, flattera un peu plus son ego. Y a-t-il une chance qu'il disparaisse pendant vingt ans entre les deux ?
*Comme je me targue de ne pas avoir la fierté déplacée évoquée quelques lignes plus haut, et que ce paragraphe monolithique me semble franchement imbuvable, j'ai sommairement redécoupé le texte, et je vous laisse choisir votre version préférée.
Sous vos yeux ébahis, je vais maintenant réaliser cette critique en un seul paragraphe. Autant l'annoncer tout de suite, le procédé n'éclairera aucun propos du texte. Les différentes sections ont été pensées séparément, mais elles seront collées les unes aux autres avec des transitions artificielles. Le résultat ne procure pas plus d'immersion qu'un article nettement structuré, et l'effet est même contre-productif dans la mesure où il n'offre plus aucune surprise après les premières lignes, en plus des coupures maquillées qui se laissent attendre et distraient du contenu, mais hé, peut-être que je générerai un peu d'attention. Et puis, il y a des chances que ça masque le fait que mes arguments ont déjà été exposés avec bien plus de finesse et de verve par d'autres cinéphiles. Ce qui ne va pas trop peser sur ma conscience, car après tout, j'ose, j'invente, je fais partie des derniers défenseurs de l'Art avec un A mégajuscule, non mais. Qui sait, ça pourrait même me valoir un Pulitzer.
Bon, pour éviter que mes chevilles n'explosent, je vais arrêter d'essayer de me mettre à la place d'Iñárritu. En plus, il est difficile de lui en vouloir profondément, car le type est sincère dans sa volonté de proposer une expérience cinématographique originale. Mais il lui manque le tas de neurones d'inventivité qui lui permettraient de renouveler un concept étalé sur deux heures (s'il tient tant que ça à s'y accrocher), ainsi que les deux ou trois synapses qui suffisent pour comprendre que lier la forme au fond, c'est vraiment la base du cinéma. Ou alors c'est l'humilité qui lui fait surtout défaut, celle qui aurait dû le pousser à revoir sa copie plutôt qu'adopter un jusqu'au-boutisme complètement vain.
Mais qu'importe. Qu'importent les effets numériques qui permettent d'accomplir sans trop d'efforts ce que certains prennent pour un miracle de mise en scène. Qu'importent les cadrages élémentaires et sans charme. Qu'importent les prises de la caméra qui tournoie et tangue sans cesse autour des acteurs, trop effrayée qu'elle est de rompre l'illusion d'un récit dynamique et habité, exactement à l'image des blockbusters méprisés. Et ce qui vaut pour l'image reste valable pour l'accompagnement musical, une piste de batterie contemporaino-bullshitesque qui tient réveillé mais ne signifie pas grand-chose dans le contexte. À ce niveau, il faut s'estimer chanceux d'avoir un éclairage assez correct. En effet, pourquoi se fatiguer, alors qu'il est si simple de ne choyer qu'une seule idée joujou, et que la critique est si aisément séduite par ce registre d'expériences ostentatoires ?
Il n'y a pas besoin d'aller chercher plus loin que le format carré de Mommy, ou les dialogues en langue des signes non sous-titrés de The Tribe. Comme Iñárritu, Dolan et [un ukrainien au nom imprononçable, et qui ne méritait de toute façon pas d'être retenu] sont convaincus d'être dans leur bon droit, sous prétexte qu'ils se démarquent. L'ukrainien ne remettait jamais en question la vacuité interstellaire de son propos. Quant au freluquet québécois, sa caméra retranscrivait par moment une claustrophobie pertinente, mais il existe bien d'autres techniques pour susciter cette anxiété. Le jeu n'en valait pas la chandelle d'un bout à l'autre de la mèche, et rien n'excuse cette prétention à se plaindre de ne pas avoir été nominé aux Oscars. D'ailleurs, quelques dernières gouttes de venin, lieux communs qui n'en sont pas moins justes : si le garçon avait un minimum d'authenticité à défendre, il ne serait sans doute pas en train de fantasmer à propos de l'industrie hypocrite et arbitraire qui orchestre l'attribution des statuettes dorées. En passant.
Pour revenir au sujet Birdman, le seul avantage de la dissociation entre forme et fond est de gracieusement me permettre de faire le tour du premier en évoquant à peine le second, qu'il est certes temps d'aborder. D'autant plus que sa complexité est inversement proportionnelle à l'idée unique qui sous-tend la technique du film. Autrement dit, c'est un vaste bordel.
Pour rappel, Michael Keaton incarne Riggan Thomson, ex-star d'une franchise de super-héros qui tente de se reconvertir en metteur en scène et comédien sur planches. L'histoire est moins construite sur le récit du comeback que sur les personnages et la succession de scénettes qui les voient interagir à deux ou trois. En tant que moteurs du projet et incarnations trop assujetties au message dénonciateur que veut partager le mexicain, ils ne génèrent que peu d'empathie. L'autre raison à ça, c'est qu'en dépit de leurs quelques qualités, ils ont tous l'air horriblement pénibles à côtoyer. Pour écrire ses personnages, Iñárritu a dû se poser devant une feuille puis cracher en quelques secondes tout ce qui lui hérisse le poil dans l'industrie du cinéma. Il égratigne au passage le milieu du théâtre, mais les deux critiques rentrent bien sûr facilement en intersection. Tout le monde en prend pour son grade, acteurs égocentriques, don Juan désabusés, actrices sous anxiolytiques, producteurs sans âme, jeunesse oisive et ingrate, public débile qui oublie l'œuvre dès qu'il ne l'a plus sous les yeux, et j'en passe. Cette bile éclabousse aussi les blockbusters, et d'autant plus allègrement qu'il faut faire ressortir par contraste combien Birdman est un film Alternatif Et Très Important. Je dirais même : un film ArternArtif.
Dans une certaine mesure, cette galerie de monstres n'est pas une caricature excessive, et le déballage est plutôt mérité. Mais tirer à boulets rouges sur tout à la fois et espérer accoucher d'une critique pertinente, quelle naïveté ! Cette attaque contre Hollywood parvient à être à la fois plus sérieuse et moins subtile que celle guidée par Cronenberg dans le déjà maladroit Maps to the Stars. La satire est féroce, mais ô combien facile, improductive, et annihilatrice d'émotion. Parler d'une collection de portes enfoncées ne suffit pas, il faut s'imaginer les encadrures parties avec, et quelques bouts de mur supplémentaires.
Pourtant, une complexité étrange se cache derrière cette grâce éléphantesque. Pour commencer, le casting en lui-même est très méta. Birdman est à Riggan ce que Batman est à Keaton (et ce que Captain Obvious est à l'auteur de ce texte), mais le passif de l'acteur principal devient encore plus tordu quand on apprend qu'il a refusé le rôle principal de la série Lost, alors qu'il aurait probablement pu enrayer sa période à vide, renouer avec le succès, et brûler presque 10 ans plus tôt que Kevin Spacey dans House of Cards le cordon sanitaire qui séparait bêtement ciné et séries. Et quand on sait qu'Hollywood a bel et bien offert son comeback à Keaton en 2014, qui plus est dans les machines probablement décérébrées qu'étaient Need for Speed et RoboCop (à la fois un remake et un reboot, putain !), il y a de quoi se dire que ce Birdman est foutrement schizo, bien au-delà du rôle écrit dans le scénario. Les compagnons de Keaton ne sont d'autre part pas en reste, entre Edward Norton réputé pour son exigence, Naomi Watts qui a percé aux US en incarnant pour Mulholland Drive (ou pour elle-même ?) le fantasme de sa propre vie, et Zach Galifianakis qui risque la gueule de bois du succès s'il ne trouve pas rapidement la suite de sa carrière post-Hangover. Des portes que pourrait justement lui ouvrir sa belle prestation dans Birdman.
Cette confusion vertigineuse ne concerne pas seulement les acteurs, mais parcourt vraiment l'ensemble du film. Avec tous ces effets de manche, télékinésie, lévitation, visions pyrotechniques fulgurantes, présents dès la première scène et de plus en plus marqués à mesure que le dénouement se rapproche, est-ce qu'Iñárritu n'est pas en train de s'opposer à son premier niveau de lecture, en rendant hommage aux idoles que sont les techniques tapageuses du blockbuster ? Est-ce que ce n'est pas aussi le sens de cette bande-annonce attrape-nigauds, toute découpée et pas du tout plan-séquence, qui soutenait des valeurs moquées au cours du film complet ? Et la salle finale qui applaudit sans rien comprendre au drame du type qui a manqué de se suicider sur scène, est-ce que ce n'est pas dans sa pensée un gros doigt d'honneur dans la tronche du public de dégénérés venus voir Birdman ? Et cette traversée de Times Square en slip, et ce monologue grotesque et cliché vociféré par Emma Stone, et cette scène lesbienne tellement sortie de nulle part et surjouée qu'elle ressemble à un troll, ce voyeurisme et ce sensationnalisme, est-ce qu'ils sont approuvés, est-ce qu'ils sont accusés ? Est-ce que le film s'auto-dénonce ? Est-ce qu'il s'auto-sabote ? Est-ce qu'Iñárritu a la putain de moindre idée de ce qu'il raconte, somme toute ? Sils Maria serpentait élégamment dans la brume des Alpes suisses pour exprimer toute la complexité de la condition d'actrice contemporaine. Sur ce plan, Birdman est une pelote de nœuds imbitable, avec des fils qui dépassent de partout mais aucun qui accepte de s'en détacher quand on tire dessus. Alors autant prendre un revolver pour trancher l'histoire et lui permettre de se conclure dans un hôpital. Gordias n'a qu'à bien se tenir.
L'épilogue de rédemption suggère que le réalisateur soutient et glorifie bel et bien le personnage de Riggan. L'oiseau moqueur disparaît définitivement dans les toilettes. Peut-être qu'il sera remplacé par un double de Riggan en slip, cicatrice de sa nouvelle célébrité virale après l'incident vaudevillesque du peignoir. Peut-être que, comme lui dit son ex-femme, cette célébrité ne vaut rien, et il ne comprend même pas ce qu'il met en scène. Retour dans la méta-spirale infernale.
S'il y a une chose à tirer de tout ça, c'est que Riggan représente moins Keaton qu'Iñárritu. Et c'est bien la raison pour laquelle le film n'est jamais aussi hargneux que face à la critique de théâtre Tabitha Dickinson, campée par une Lindsay Duncan pète-sec et parfaite. Elle n'est même pas apparue dans le champ de la caméra qu'elle se retrouve déjà avec un « dick » dans son nom, et le personnage de Norton, dont les performances reçoivent pourtant ses faveurs, n'hésite pas à la décrire dans son dos comme une femme « qui aurait léché le cul d'un SDF ». Pourquoi tant de bassesse dans le scénario ? Parce qu'Iñárritu est un gamin complètement immature qui n'a pas digéré l'accueil un peu tiède de son précédent film, Biutiful. Du coup, la séquence de Terrence Malick raté qui ouvre Birdman et est reproduite juste après le coup de feu, construction extrêmement proche de ce qui se trouve au début puis à la fin de Biutiful : s'agit-il de la marque d'un réalisateur en panne d'inspiration, ou bien a-t-on affaire à un « fuck you » de la part d'un malicieux capricieux vaniteux, qui est convaincu que son idée minable sera cette fois tolérée de part et d'autre de l'irrésistible plan ininterrompu, et veut se prouver que c'est une critique arbitraire et arriérée qui juge son travail ? Aucune des deux options n'est à exclure, et il y a vraiment une chance pour que cet Oscar du meilleur réalisateur soit l'aboutissement méprisant de la plus grande masquarade machiavélique de l'histoire du cinéma. Frissons. De dégoût ou de plaisir ? Une seule certitude : Birdman possède le super-pouvoir de griller des cervelles...
En repensant au charme rugueux d'Amours Chiennes, son premier et meilleur film à ce jour, suivie de l'incursion de stars hollywoodiennes dans sa mécanique chorale au cours de 21 Grammes puis Babel, parachevée avec ce Birdman psychotique et narcissique, il y a de quoi se dire qu'Iñárritu a été bouffé tout cru par l'industrie américaine. Le jour, il met un point d'honneur à ignorer son voisin d'en face, Big Bad Blockbuster. Et la nuit, il sort son masque, traverse la rue en catimini, partage quelques bières, puis rentre en titubant avec les outils à spectacle que son pote pas chiant, pas complexé, lui a prêtés. Certains parviennent à convoquer incomparablement plus d'émotion en un plan-séquence d'une minute ou deux, mais ce genre de sale hippie de moins en moins fréquentable préfère la mer aux quartiers résidentiels du cinéma, et se moque bien de ce qui se dit à son propos. Quoi qu'il en soit, si Iñárritu considère globalement que le succès, c'est passer d'une célébrité en collants et à plumes dans un studio, à une célébrité en slip et à poil dans une rue, il ne devrait pas trop peiner à pondre un second film creux et foutraque, qui séduira encore facilement. Et qui, surtout, flattera un peu plus son ego. Y a-t-il une chance qu'il disparaisse pendant vingt ans entre les deux ?
'You're not interesting, get used to it.'
Sous vos yeux ébahis, je vais maintenant réaliser cette critique en un seul paragraphe. Autant l'annoncer tout de suite, le procédé n'éclairera aucun propos du texte. Les différentes sections ont été pensées séparément, mais elles seront collées les unes aux autres avec des transitions artificielles. Le résultat ne procure pas plus d'immersion qu'un article nettement structuré, et l'effet est même contre-productif dans la mesure où il n'offre plus aucune surprise après les premières lignes, en plus des coupures maquillées qui se laissent attendre et distraient du contenu, mais hé, peut-être que je générerai un peu d'attention. Et puis, il y a des chances que ça masque le fait que mes arguments ont déjà été exposés avec bien plus de finesse et de verve par d'autres cinéphiles. Ce qui ne va pas trop peser sur ma conscience, car après tout, j'ose, j'invente, je fais partie des derniers défenseurs de l'Art avec un A mégajuscule, non mais. Qui sait, ça pourrait même me valoir un Pulitzer. Bon, pour éviter que mes chevilles n'explosent, je vais arrêter d'essayer de me mettre à la place d'Iñárritu. En plus, il est difficile de lui en vouloir profondément, car le type est sincère dans sa volonté de proposer une expérience cinématographique originale. Mais il lui manque le tas de neurones d'inventivité qui lui permettraient de renouveler un concept étalé sur deux heures (s'il tient tant que ça à s'y accrocher), ainsi que les deux ou trois synapses qui suffisent pour comprendre que lier la forme au fond, c'est vraiment la base du cinéma. Ou alors c'est l'humilité qui lui fait surtout défaut, celle qui aurait dû le pousser à revoir sa copie plutôt qu'adopter un jusqu'au-boutisme complètement vain. Mais qu'importe. Qu'importent les effets numériques qui permettent d'accomplir sans trop d'efforts ce que certains prennent pour un miracle de mise en scène. Qu'importent les cadrages élémentaires et sans charme. Qu'importent les prises de la caméra qui tournoie et tangue sans cesse autour des acteurs, trop effrayée qu'elle est de rompre l'illusion d'un récit dynamique et habité, exactement à l'image des blockbusters méprisés. Et ce qui vaut pour l'image reste valable pour l'accompagnement musical, une piste de batterie contemporaino-bullshitesque qui tient réveillé mais ne signifie pas grand-chose dans le contexte. À ce niveau, il faut s'estimer chanceux d'avoir un éclairage assez correct. En effet, pourquoi se fatiguer, alors qu'il est si simple de ne choyer qu'une seule idée joujou, et que la critique est si aisément séduite par ce registre d'expériences ostentatoires ? Il n'y a pas besoin d'aller chercher plus loin que le format carré de Mommy, ou les dialogues en langue des signes non sous-titrés de The Tribe. Comme Iñárritu, Dolan et [un ukrainien au nom imprononçable, et qui ne méritait de toute façon pas d'être retenu] sont convaincus d'être dans leur bon droit, sous prétexte qu'ils se démarquent. L'ukrainien ne remettait jamais en question la vacuité interstellaire de son propos. Quant au freluquet québécois, sa caméra retranscrivait par moment une claustrophobie pertinente, mais il existe bien d'autres techniques pour susciter cette anxiété. Le jeu n'en valait pas la chandelle d'un bout à l'autre de la mèche, et rien n'excuse cette prétention à se plaindre de ne pas avoir été nominé aux Oscars. D'ailleurs, quelques dernières gouttes de venin, lieux communs qui n'en sont pas moins justes : si le garçon avait un minimum d'authenticité à défendre, il ne serait sans doute pas en train de fantasmer à propos de l'industrie hypocrite et arbitraire qui orchestre l'attribution des statuettes dorées. En passant. Pour revenir au sujet Birdman, le seul avantage de la dissociation entre forme et fond est de gracieusement me permettre de faire le tour du premier en évoquant à peine le second, qu'il est certes temps d'aborder.* D'autant plus que sa complexité est inversement proportionnelle à l'idée unique qui sous-tend la technique du film. Autrement dit, c'est un vaste bordel. Pour rappel, Michael Keaton incarne Riggan Thomson, ex-star d'une franchise de super-héros qui tente de se reconvertir en metteur en scène et comédien sur planches. L'histoire est moins construite sur le récit du comeback que sur les personnages et la succession de scénettes qui les voient interagir à deux ou trois. En tant que moteurs du projet et incarnations trop assujetties au message dénonciateur que veut partager le mexicain, ils ne génèrent que peu d'empathie. L'autre raison à ça, c'est qu'en dépit de leurs quelques qualités, ils ont tous l'air horriblement pénibles à côtoyer. Pour écrire ses personnages, Iñárritu a dû se poser devant une feuille puis cracher en quelques secondes tout ce qui lui hérisse le poil dans l'industrie du cinéma. Il égratigne au passage le milieu du théâtre, mais les deux critiques rentrent bien sûr facilement en intersection. Tout le monde en prend pour son grade, acteurs égocentriques, don Juan désabusés, actrices sous anxiolytiques, producteurs sans âme, jeunesse oisive et ingrate, public débile qui oublie l'œuvre dès qu'il ne l'a plus sous les yeux, et j'en passe. Cette bile éclabousse aussi les blockbusters, et d'autant plus allègrement qu'il faut faire ressortir par contraste combien Birdman est un film Alternatif Et Très Important. Je dirais même : un film ArternArtif. Dans une certaine mesure, cette galerie de monstres n'est pas une caricature excessive, et le déballage est plutôt mérité. Mais tirer à boulets rouges sur tout à la fois et espérer accoucher d'une critique pertinente, quelle naïveté ! Cette attaque contre Hollywood parvient à être à la fois plus sérieuse et moins subtile que celle guidée par Cronenberg dans le déjà maladroit Maps to the Stars. La satire est féroce, mais ô combien facile, improductive, et annihilatrice d'émotion. Parler d'une collection de portes enfoncées ne suffit pas, il faut s'imaginer les encadrures parties avec, et quelques bouts de mur supplémentaires. Pourtant, une complexité étrange se cache derrière cette grâce éléphantesque. Pour commencer, le casting en lui-même est très méta. Birdman est à Riggan ce que Batman est à Keaton (et ce que Captain Obvious est à l'auteur de ce texte), mais le passif de l'acteur principal devient encore plus tordu quand on apprend qu'il a refusé le rôle principal de la série Lost, alors qu'il aurait probablement pu enrayer sa période à vide, renouer avec le succès, et brûler presque 10 ans plus tôt que Kevin Spacey dans House of Cards le cordon sanitaire qui séparait bêtement ciné et séries. Et quand on sait qu'Hollywood a bel et bien offert son comeback à Keaton en 2014, qui plus est dans les machines probablement décérébrées qu'étaient Need for Speed et RoboCop (à la fois un remake et un reboot, putain !), il y a de quoi se dire que ce Birdman est foutrement schizo, bien au-delà du rôle écrit dans le scénario. Les compagnons de Keaton ne sont d'autre part pas en reste, entre Edward Norton réputé pour son exigence, Naomi Watts qui a percé aux US en incarnant pour Mulholland Drive (ou pour elle-même ?) le fantasme de sa propre vie, et Zach Galifianakis qui risque la gueule de bois du succès s'il ne trouve pas rapidement la suite de sa carrière post-Hangover. Des portes que pourrait justement lui ouvrir sa belle prestation dans Birdman. Cette confusion vertigineuse ne concerne pas seulement les acteurs, mais parcourt vraiment l'ensemble du film. Avec tous ces effets de manche, télékinésie, lévitation, visions pyrotechniques fulgurantes, présents dès la première scène et de plus en plus marqués à mesure que le dénouement se rapproche, est-ce qu'Iñárritu n'est pas en train de s'opposer à son premier niveau de lecture, en rendant hommage aux idoles que sont les techniques tapageuses du blockbuster ? Est-ce que ce n'est pas aussi le sens de cette bande-annonce attrape-nigauds, toute découpée et pas du tout plan-séquence, qui soutenait des valeurs moquées au cours du film complet ? Et la salle finale qui applaudit sans rien comprendre au drame du type qui a manqué de se suicider sur scène, est-ce que ce n'est pas dans sa pensée un gros doigt d'honneur dans la tronche du public de dégénérés venus voir Birdman ? Et cette traversée de Times Square en slip, et ce monologue grotesque et cliché vociféré par Emma Stone, et cette scène lesbienne tellement sortie de nulle part et surjouée qu'elle ressemble à un troll, ce voyeurisme et ce sensationnalisme, est-ce qu'ils sont approuvés, est-ce qu'ils sont accusés ? Est-ce que le film s'auto-dénonce ? Est-ce qu'il s'auto-sabote ? Est-ce qu'Iñárritu a la putain de moindre idée de ce qu'il raconte, somme toute ? Sils Maria serpentait élégamment dans la brume des Alpes suisses pour exprimer toute la complexité de la condition d'actrice contemporaine. Sur ce plan, Birdman est une pelote de nœuds imbitable, avec des fils qui dépassent de partout mais aucun qui accepte de s'en détacher quand on tire dessus. Alors autant prendre un revolver pour trancher l'histoire et lui permettre de se conclure dans un hôpital. Gordias n'a qu'à bien se tenir. L'épilogue de rédemption suggère que le réalisateur soutient et glorifie bel et bien le personnage de Riggan. L'oiseau moqueur disparaît définitivement dans les toilettes. Peut-être qu'il sera remplacé par un double de Riggan en slip, cicatrice de sa nouvelle célébrité virale après l'incident vaudevillesque du peignoir. Peut-être que, comme lui dit son ex-femme, cette célébrité ne vaut rien, et il ne comprend même pas ce qu'il met en scène. Retour dans la méta-spirale infernale. S'il y a une chose à tirer de tout ça, c'est que Riggan représente moins Keaton qu'Iñárritu. Et c'est bien la raison pour laquelle le film n'est jamais aussi hargneux que face à la critique de théâtre Tabitha Dickinson, campée par une Lindsay Duncan pète-sec et parfaite. Elle n'est même pas apparue dans le champ de la caméra qu'elle se retrouve déjà avec un « dick » dans son nom, et le personnage de Norton, dont les performances reçoivent pourtant ses faveurs, n'hésite pas à la décrire dans son dos comme une femme « qui aurait léché le cul d'un SDF ». Pourquoi tant de bassesse dans le scénario ? Parce qu'Iñárritu est un gamin complètement immature qui n'a pas digéré l'accueil un peu tiède de son précédent film, Biutiful. Du coup, la séquence de Terrence Malick raté qui ouvre Birdman et est reproduite juste après le coup de feu, construction extrêmement proche de ce qui se trouve au début puis à la fin de Biutiful : s'agit-il de la marque d'un réalisateur en panne d'inspiration, ou bien a-t-on affaire à un « fuck you » de la part d'un malicieux capricieux vaniteux, qui est convaincu que son idée minable sera cette fois tolérée de part et d'autre de l'irrésistible plan ininterrompu, et veut se prouver que c'est une critique arbitraire et arriérée qui juge son travail ? Aucune des deux options n'est à exclure, et il y a vraiment une chance pour que cet Oscar du meilleur réalisateur soit l'aboutissement méprisant de la plus grande masquarade machiavélique de l'histoire du cinéma. Frissons. De dégoût ou de plaisir ? Une seule certitude : Birdman possède le super-pouvoir de griller des cervelles... En repensant au charme rugueux d'Amours Chiennes, son premier et meilleur film à ce jour, suivie de l'incursion de stars hollywoodiennes dans sa mécanique chorale au cours de 21 Grammes puis Babel, parachevée avec ce Birdman psychotique et narcissique, il y a de quoi se dire qu'Iñárritu a été bouffé tout cru par l'industrie américaine. Le jour, il met un point d'honneur à ignorer son voisin d'en face, Big Bad Blockbuster. Et la nuit, il sort son masque, traverse la rue en catimini, partage quelques bières, puis rentre en titubant avec les outils à spectacle que son pote pas chiant, pas complexé, lui a prêtés. Certains parviennent à convoquer incomparablement plus d'émotion en un plan-séquence d'une minute ou deux, mais ce genre de sale hippie de moins en moins fréquentable préfère la mer aux quartiers résidentiels du cinéma, et se moque bien de ce qui se dit à son propos. Quoi qu'il en soit, si Iñárritu considère globalement que le succès, c'est passer d'une célébrité en collants et à plumes dans un studio, à une célébrité en slip et à poil dans une rue, il ne devrait pas trop peiner à pondre un second film creux et foutraque, qui séduira encore facilement. Et qui, surtout, flattera un peu plus son ego. Y a-t-il une chance qu'il disparaisse pendant vingt ans entre les deux ?
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*Comme je me targue de ne pas avoir la fierté déplacée évoquée quelques lignes plus haut, et que ce paragraphe monolithique me semble franchement imbuvable, j'ai sommairement redécoupé le texte, et je vous laisse choisir votre version préférée.
Sous vos yeux ébahis, je vais maintenant réaliser cette critique en un seul paragraphe. Autant l'annoncer tout de suite, le procédé n'éclairera aucun propos du texte. Les différentes sections ont été pensées séparément, mais elles seront collées les unes aux autres avec des transitions artificielles. Le résultat ne procure pas plus d'immersion qu'un article nettement structuré, et l'effet est même contre-productif dans la mesure où il n'offre plus aucune surprise après les premières lignes, en plus des coupures maquillées qui se laissent attendre et distraient du contenu, mais hé, peut-être que je générerai un peu d'attention. Et puis, il y a des chances que ça masque le fait que mes arguments ont déjà été exposés avec bien plus de finesse et de verve par d'autres cinéphiles. Ce qui ne va pas trop peser sur ma conscience, car après tout, j'ose, j'invente, je fais partie des derniers défenseurs de l'Art avec un A mégajuscule, non mais. Qui sait, ça pourrait même me valoir un Pulitzer.
Bon, pour éviter que mes chevilles n'explosent, je vais arrêter d'essayer de me mettre à la place d'Iñárritu. En plus, il est difficile de lui en vouloir profondément, car le type est sincère dans sa volonté de proposer une expérience cinématographique originale. Mais il lui manque le tas de neurones d'inventivité qui lui permettraient de renouveler un concept étalé sur deux heures (s'il tient tant que ça à s'y accrocher), ainsi que les deux ou trois synapses qui suffisent pour comprendre que lier la forme au fond, c'est vraiment la base du cinéma. Ou alors c'est l'humilité qui lui fait surtout défaut, celle qui aurait dû le pousser à revoir sa copie plutôt qu'adopter un jusqu'au-boutisme complètement vain.
Mais qu'importe. Qu'importent les effets numériques qui permettent d'accomplir sans trop d'efforts ce que certains prennent pour un miracle de mise en scène. Qu'importent les cadrages élémentaires et sans charme. Qu'importent les prises de la caméra qui tournoie et tangue sans cesse autour des acteurs, trop effrayée qu'elle est de rompre l'illusion d'un récit dynamique et habité, exactement à l'image des blockbusters méprisés. Et ce qui vaut pour l'image reste valable pour l'accompagnement musical, une piste de batterie contemporaino-bullshitesque qui tient réveillé mais ne signifie pas grand-chose dans le contexte. À ce niveau, il faut s'estimer chanceux d'avoir un éclairage assez correct. En effet, pourquoi se fatiguer, alors qu'il est si simple de ne choyer qu'une seule idée joujou, et que la critique est si aisément séduite par ce registre d'expériences ostentatoires ?
Il n'y a pas besoin d'aller chercher plus loin que le format carré de Mommy, ou les dialogues en langue des signes non sous-titrés de The Tribe. Comme Iñárritu, Dolan et [un ukrainien au nom imprononçable, et qui ne méritait de toute façon pas d'être retenu] sont convaincus d'être dans leur bon droit, sous prétexte qu'ils se démarquent. L'ukrainien ne remettait jamais en question la vacuité interstellaire de son propos. Quant au freluquet québécois, sa caméra retranscrivait par moment une claustrophobie pertinente, mais il existe bien d'autres techniques pour susciter cette anxiété. Le jeu n'en valait pas la chandelle d'un bout à l'autre de la mèche, et rien n'excuse cette prétention à se plaindre de ne pas avoir été nominé aux Oscars. D'ailleurs, quelques dernières gouttes de venin, lieux communs qui n'en sont pas moins justes : si le garçon avait un minimum d'authenticité à défendre, il ne serait sans doute pas en train de fantasmer à propos de l'industrie hypocrite et arbitraire qui orchestre l'attribution des statuettes dorées. En passant.
Pour revenir au sujet Birdman, le seul avantage de la dissociation entre forme et fond est de gracieusement me permettre de faire le tour du premier en évoquant à peine le second, qu'il est certes temps d'aborder. D'autant plus que sa complexité est inversement proportionnelle à l'idée unique qui sous-tend la technique du film. Autrement dit, c'est un vaste bordel.
Pour rappel, Michael Keaton incarne Riggan Thomson, ex-star d'une franchise de super-héros qui tente de se reconvertir en metteur en scène et comédien sur planches. L'histoire est moins construite sur le récit du comeback que sur les personnages et la succession de scénettes qui les voient interagir à deux ou trois. En tant que moteurs du projet et incarnations trop assujetties au message dénonciateur que veut partager le mexicain, ils ne génèrent que peu d'empathie. L'autre raison à ça, c'est qu'en dépit de leurs quelques qualités, ils ont tous l'air horriblement pénibles à côtoyer. Pour écrire ses personnages, Iñárritu a dû se poser devant une feuille puis cracher en quelques secondes tout ce qui lui hérisse le poil dans l'industrie du cinéma. Il égratigne au passage le milieu du théâtre, mais les deux critiques rentrent bien sûr facilement en intersection. Tout le monde en prend pour son grade, acteurs égocentriques, don Juan désabusés, actrices sous anxiolytiques, producteurs sans âme, jeunesse oisive et ingrate, public débile qui oublie l'œuvre dès qu'il ne l'a plus sous les yeux, et j'en passe. Cette bile éclabousse aussi les blockbusters, et d'autant plus allègrement qu'il faut faire ressortir par contraste combien Birdman est un film Alternatif Et Très Important. Je dirais même : un film ArternArtif.
Dans une certaine mesure, cette galerie de monstres n'est pas une caricature excessive, et le déballage est plutôt mérité. Mais tirer à boulets rouges sur tout à la fois et espérer accoucher d'une critique pertinente, quelle naïveté ! Cette attaque contre Hollywood parvient à être à la fois plus sérieuse et moins subtile que celle guidée par Cronenberg dans le déjà maladroit Maps to the Stars. La satire est féroce, mais ô combien facile, improductive, et annihilatrice d'émotion. Parler d'une collection de portes enfoncées ne suffit pas, il faut s'imaginer les encadrures parties avec, et quelques bouts de mur supplémentaires.
Pourtant, une complexité étrange se cache derrière cette grâce éléphantesque. Pour commencer, le casting en lui-même est très méta. Birdman est à Riggan ce que Batman est à Keaton (et ce que Captain Obvious est à l'auteur de ce texte), mais le passif de l'acteur principal devient encore plus tordu quand on apprend qu'il a refusé le rôle principal de la série Lost, alors qu'il aurait probablement pu enrayer sa période à vide, renouer avec le succès, et brûler presque 10 ans plus tôt que Kevin Spacey dans House of Cards le cordon sanitaire qui séparait bêtement ciné et séries. Et quand on sait qu'Hollywood a bel et bien offert son comeback à Keaton en 2014, qui plus est dans les machines probablement décérébrées qu'étaient Need for Speed et RoboCop (à la fois un remake et un reboot, putain !), il y a de quoi se dire que ce Birdman est foutrement schizo, bien au-delà du rôle écrit dans le scénario. Les compagnons de Keaton ne sont d'autre part pas en reste, entre Edward Norton réputé pour son exigence, Naomi Watts qui a percé aux US en incarnant pour Mulholland Drive (ou pour elle-même ?) le fantasme de sa propre vie, et Zach Galifianakis qui risque la gueule de bois du succès s'il ne trouve pas rapidement la suite de sa carrière post-Hangover. Des portes que pourrait justement lui ouvrir sa belle prestation dans Birdman.
Cette confusion vertigineuse ne concerne pas seulement les acteurs, mais parcourt vraiment l'ensemble du film. Avec tous ces effets de manche, télékinésie, lévitation, visions pyrotechniques fulgurantes, présents dès la première scène et de plus en plus marqués à mesure que le dénouement se rapproche, est-ce qu'Iñárritu n'est pas en train de s'opposer à son premier niveau de lecture, en rendant hommage aux idoles que sont les techniques tapageuses du blockbuster ? Est-ce que ce n'est pas aussi le sens de cette bande-annonce attrape-nigauds, toute découpée et pas du tout plan-séquence, qui soutenait des valeurs moquées au cours du film complet ? Et la salle finale qui applaudit sans rien comprendre au drame du type qui a manqué de se suicider sur scène, est-ce que ce n'est pas dans sa pensée un gros doigt d'honneur dans la tronche du public de dégénérés venus voir Birdman ? Et cette traversée de Times Square en slip, et ce monologue grotesque et cliché vociféré par Emma Stone, et cette scène lesbienne tellement sortie de nulle part et surjouée qu'elle ressemble à un troll, ce voyeurisme et ce sensationnalisme, est-ce qu'ils sont approuvés, est-ce qu'ils sont accusés ? Est-ce que le film s'auto-dénonce ? Est-ce qu'il s'auto-sabote ? Est-ce qu'Iñárritu a la putain de moindre idée de ce qu'il raconte, somme toute ? Sils Maria serpentait élégamment dans la brume des Alpes suisses pour exprimer toute la complexité de la condition d'actrice contemporaine. Sur ce plan, Birdman est une pelote de nœuds imbitable, avec des fils qui dépassent de partout mais aucun qui accepte de s'en détacher quand on tire dessus. Alors autant prendre un revolver pour trancher l'histoire et lui permettre de se conclure dans un hôpital. Gordias n'a qu'à bien se tenir.
L'épilogue de rédemption suggère que le réalisateur soutient et glorifie bel et bien le personnage de Riggan. L'oiseau moqueur disparaît définitivement dans les toilettes. Peut-être qu'il sera remplacé par un double de Riggan en slip, cicatrice de sa nouvelle célébrité virale après l'incident vaudevillesque du peignoir. Peut-être que, comme lui dit son ex-femme, cette célébrité ne vaut rien, et il ne comprend même pas ce qu'il met en scène. Retour dans la méta-spirale infernale.
S'il y a une chose à tirer de tout ça, c'est que Riggan représente moins Keaton qu'Iñárritu. Et c'est bien la raison pour laquelle le film n'est jamais aussi hargneux que face à la critique de théâtre Tabitha Dickinson, campée par une Lindsay Duncan pète-sec et parfaite. Elle n'est même pas apparue dans le champ de la caméra qu'elle se retrouve déjà avec un « dick » dans son nom, et le personnage de Norton, dont les performances reçoivent pourtant ses faveurs, n'hésite pas à la décrire dans son dos comme une femme « qui aurait léché le cul d'un SDF ». Pourquoi tant de bassesse dans le scénario ? Parce qu'Iñárritu est un gamin complètement immature qui n'a pas digéré l'accueil un peu tiède de son précédent film, Biutiful. Du coup, la séquence de Terrence Malick raté qui ouvre Birdman et est reproduite juste après le coup de feu, construction extrêmement proche de ce qui se trouve au début puis à la fin de Biutiful : s'agit-il de la marque d'un réalisateur en panne d'inspiration, ou bien a-t-on affaire à un « fuck you » de la part d'un malicieux capricieux vaniteux, qui est convaincu que son idée minable sera cette fois tolérée de part et d'autre de l'irrésistible plan ininterrompu, et veut se prouver que c'est une critique arbitraire et arriérée qui juge son travail ? Aucune des deux options n'est à exclure, et il y a vraiment une chance pour que cet Oscar du meilleur réalisateur soit l'aboutissement méprisant de la plus grande masquarade machiavélique de l'histoire du cinéma. Frissons. De dégoût ou de plaisir ? Une seule certitude : Birdman possède le super-pouvoir de griller des cervelles...
En repensant au charme rugueux d'Amours Chiennes, son premier et meilleur film à ce jour, suivie de l'incursion de stars hollywoodiennes dans sa mécanique chorale au cours de 21 Grammes puis Babel, parachevée avec ce Birdman psychotique et narcissique, il y a de quoi se dire qu'Iñárritu a été bouffé tout cru par l'industrie américaine. Le jour, il met un point d'honneur à ignorer son voisin d'en face, Big Bad Blockbuster. Et la nuit, il sort son masque, traverse la rue en catimini, partage quelques bières, puis rentre en titubant avec les outils à spectacle que son pote pas chiant, pas complexé, lui a prêtés. Certains parviennent à convoquer incomparablement plus d'émotion en un plan-séquence d'une minute ou deux, mais ce genre de sale hippie de moins en moins fréquentable préfère la mer aux quartiers résidentiels du cinéma, et se moque bien de ce qui se dit à son propos. Quoi qu'il en soit, si Iñárritu considère globalement que le succès, c'est passer d'une célébrité en collants et à plumes dans un studio, à une célébrité en slip et à poil dans une rue, il ne devrait pas trop peiner à pondre un second film creux et foutraque, qui séduira encore facilement. Et qui, surtout, flattera un peu plus son ego. Y a-t-il une chance qu'il disparaisse pendant vingt ans entre les deux ?