Tusk

un film de Alejandro Jodorowsky (1980)

"J'aime les éléphants ! Et qu'on les tue ou qu'on les capture, de toute façon c'est mal !"

Le quatrième long-métrage d'Alejandro Jodorowsky, Tusk, sorti en 1980, était longtemps absent des circuits de distribution. Internet l'a ressuscité sous la forme d'un rip VHS uploadé sur Youtube, d'aspect visuel douteux, mais qui a le mérite d'exister. Cela dit, étant donné la qualité de la chose, seuls ceux qui souhaitent compléter la filmographie du génial chilien y trouveront leur compte. Encore que...

Là où ses films précédents se démarquaient par un mysticisme dingue, accompagné d'un visuel frappant et de personnages hauts en couleur, Tusk ne propose qu'une histoire incroyablement plate, farcie de rôles poussifs et unidimensionnels. Dans une colonie anglaise d'Inde, Elise naît en même temps qu'un éléphant, le fameux Tusk. Même si le spectateur ne peut pas en témoigner, il faut croire qu'une amitié se lie entre eux, car pour le reste de l'histoire Elise passera son temps à rencontrer des éléphants et proclamer à tout-va leur liberté, pendant qu'une majorité des autres personnages leur court après pour des motifs plus ou moins bien définis. Le scénario, creux, pourrait à peine être excusé par le public d'enfants qui était visé à l'origine du projet. Jodorowsky affirme que le producteur l'a empêché de retoucher le film comme il le souhaitait. On veut le croire.

Difficile pourtant de penser qu'un meilleur montage aurait pu sauver les meubles. Elise est un peu niaise et se retrouve dans des situations invraisemblables, mais hélas toujours soporifiques, comme dans ce passage où elle erre seule dans un genre de savane et commence à se faire poursuivre de façon peu convaincante par un éléphant animé d'intentions meurtrières (sans doute frustré que ses potes et lui soient pris pour des éléphants d'Afrique et ne voient pas l'ombre d'une forêt). Son père et son amant, un chasseur américain, sont joués de façon mécanique et font tourner l'histoire à vide sans lui insuffler un quelconque intérêt. Le pire vient sans doute des méchants de l'histoire, qui rient grassement à l'idée de capturer Tusk et paraissent y avoir dédié leur vie. Ils s'échinent à arracher un sourire au spectateur, mais leurs gags de bas étage ne parviennent qu'à générer de la pitié, et surtout de la lassitude.

La créativité de Jodorowsky ne transparaît que dans des détails épars : l'étrange accouchement d'ouverture, le sage qui se téléporte, le temple de méditation entouré par les eaux et perdu dans la nuit... Dans un autre registre, à l'opposé des forces qu'on lui connaît, le regard naturaliste qu'il pose sur la communauté indienne n'est pas dénué de justesse, mais reste annexe à l'histoire et ne produit par ailleurs aucun rythme.

Restent les éléphants, toujours les éléphants, filmés sous toutes les coutures, jusqu'à ce qu'on se moque des talents de dressage qui ont été nécessaires au tournage. Ce qui vient assez rapidement étant donnée l'ampleur du gâchis. Tusk aurait pu être un film curieux quoique simplet ; il s'agit en définitive d'un concentré d'éléments inconséquents ou régressifs, dont la fadeur ne rend absolument pas honneur aux capacités du réalisateur.