If Found...

un jeu de dreamfeel (2020)

Un coming out, c'est vertigineux. Surtout les premiers, mais la sensation ne peut pas disparaître, elle ne peut pas être oubliée. Tu as beau te préparer, tourner en rond dans ta tête pendant des semaines et des mois, au moment venu, c'est forcément un saut dans le vide. Tu ne sais pas à quoi ressemblera l'après. Tu ne sais pas comment la personne en face va réagir, si elle va te rejeter, être abasourdie, le prendre pour elle, te remercier, te féliciter, t'ignorer. Tu ne sais pas quelle vie tu pourras mener, entourée par toutes ces personnes changées. Tu sais que le monde ne sera plus jamais comme avant. Mais tu sais aussi qu'il ne peut pas rester ainsi. Alors il faut accepter cet inconnu terrifiant, te jeter en lui, avec l'espoir d'y trouver le germe d'une nouvelle liberté, mais aussi le risque qu'il détruise tout ce que tu as connu et tout ce que tu as aimé. Tu es seule, le futur repose sur toi, et il faut sauter.

If Found... raconte ce cataclysme intérieur tel que traversé par Kasio, une jeune femme trans de retour « chez elle », sur la petite île d'Achill, nichée au nord-ouest de l'Irlande. Elle brûle de partager avec sa mère les épreuves et les joies qu'elle a trouvées dans la découverte de son genre à Dublin, mais se heurte à l'héritage catholique d'une petite communauté rurale, où chaque déviance sociale se paye en esclandre. Kasio croise sur sa route Colum, Jack et Shans, trois autres jeunes marginalisés pour leur orientation sexuelle ou leur origine, des facteurs d'isolement mais aussi des sources de fierté. L'histoire met en évidence les liens forts et inespérés qui peuvent réunir les queers et leur permettre de s'affirmer.

Le drame de ce conflit culturel et générationnel est entrecoupé de séquences fantastiques qui mettent en scène Cassiopeia, une chercheuse en astrophysique expédiée dans l'espace pour sauver la Terre d'une annihilation prochaine. La direction artistique rayonne et ravage l'écran dans un esprit maximaliste ; comme dans Interstellar, ou plus encore The Fountain, les tourments sentimentaux de Kasio sont sublimés et expiés par une menace d'ampleur cosmique. Pour subsister, pour avoir encore un sens, l'univers exige la résolution d'une tension psychologique qui menace d'engloutir la protagoniste.

Bien que le jeu s'inscrive sans fard dans le genre des visual novels, une innovation centrale enrichit l'expérience : le curseur est changé en gomme, et pour passer d'une scène à la suivante, il faut effacer le contenu de l'écran. Le dispositif est simple, mais son originalité convoque des émotions inattendues. Face à la suppression imposée d'un journal intime, l'incompréhension laisse place au malaise et à la curiosité. Qu'est-ce qui mérite d'être renié d'une façon aussi radicale ? Et puis l'histoire m'a faite glisser dans la peau de Kasio, j'ai senti l'angoisse des repères passés qui disparaissent sous mes yeux, et la douleur intolérable des espoirs qui s'effondrent. En effaçant, je prétendais faire mon deuil, mais j'essayais avant tout de retrouver un espace exempt de peur et de souffrance.

Je ne sais pas si If Found... peut parler à un public qui n'a pas vécu de coming out. Mais il n'aurait pas pu être écrit et conçu autrement que par des personnes qui ont traversé cette épreuve de plein fouet. Et c'est le genre d'histoire dont j'ai besoin.