Il n'est pas rare que les interviews filmées par Pierre Carles commencent à moitié en « off ». La caméra vient d'être allumée, la personne en face rectifie son attitude, et le documentariste confirme à voix haute que l'enregistrement a débuté. Ce dispositif de montage, en rien amateur, vaut pour piqûre de rappel : assister à un documentaire, ce n'est jamais seulement s'exposer à des faits incontestables, mais aussi se confronter aux choix et à l'opinion d'un cinéaste, puisque la caméra a été délibérément actionnée dans un contexte spatio-temporel particulier, dans le but d'enrichir une réflexion particulière. Et l'avertissement, pour implicite qu'il soit, reste de bon ton devant Choron dernière, une eulogie qui souffre de biais conséquents.
Que l'on considère déjà les attaques pamphlétaires contre le second acte de Charlie Hebdo, relancé en 1992 après dix années d'interruption de la publication. Les apparitions du nouveau directeur Philippe Val, écorché pour son caractère autoritaire et dédaigneux, mettent à mal l'image anar-nanar du journal. Mais le reste de l'argumentaire de Carles contre la formule contemporaine se limite à déplorer l'absence de Georget Bernier (dit professeur Choron). Privée de sa première influence libertaire, la rédaction de Charlie Hebdo n'est certes plus ce qu'elle était au cours des années 70, mais la critique ne serait recevable qu'au regard des objectifs affichés par la nouvelle équipe —objectifs que le documentaire omet de présenter ou de discuter.
Pour ce qui est du professeur Choron lui-même, le montage compose un portrait posthume paillard, franc et rigolard. Si provocateur soit-il, le personnage semble s'être retrouvé sous les projecteurs de façon presque incidente : provocateur, oui, mais provocateur né, prêt à faire le clown pour mille badauds comme pour un seul, fanfaron sans opinion à défendre ni ego à compenser.
On comprend sans mal l'admiration de Carles pour ce défenseur invétéré de la liberté d'expression, contrepoint merveilleux aux journalistes hypocrites piégés dans Pas vu, pas pris. Cependant, revendiquer le mauvais goût ne suffit jamais à justifier son usage, et le nihilisme politique de Choron, autant que son sexisme et son agressivité occasionnelles, restent pour le moins problématiques. Sa dernière compagne a d'ailleurs rapporté avoir subi de nombreuses violences de sa part, dans un témoignage postérieur au documentaire (mais que Carles n'est apparemment pas allé chercher non plus). Co-fondateur du magazine Hara-Kiri, qui a précédé Charlie Hebdo, l'homme en incarnait un peu trop la fameuse devise : « journal bête et méchant ».
Le public curieux trouvera ainsi en Choron dernière l'occasion d'apprendre une partie de l'histoire de la publication satirique la plus diffusée en France, mais il me semble encore plus important de saisir l'invitation à considérer les motivations qui l'ont maintenue dans les kiosques, pour peut-être conclure que, s'il faut reconnaître à Choron et Charlie Hebdo de révéler les limites de ce qui peut être dit, tout n'est pas bon à dire en soi.
...Et pourtant, puisque qu'il profiterait à tous de connaître la capacité de ce verre invisible afin de le remplir au mieux : y a-t-il d'autre solution que de le faire déborder ?
Il n'est pas rare que les interviews filmées par Pierre Carles commencent à moitié en « off ». La caméra vient d'être allumée, la personne en face rectifie son attitude, et le documentariste confirme à voix haute que l'enregistrement a débuté. Ce dispositif de montage, en rien amateur, vaut pour piqûre de rappel : assister à un documentaire, ce n'est jamais seulement s'exposer à des faits incontestables, mais aussi se confronter aux choix et à l'opinion d'un cinéaste, puisque la caméra a été délibérément actionnée dans un contexte spatio-temporel particulier, dans le but d'enrichir une réflexion particulière. Et l'avertissement, pour implicite qu'il soit, reste de bon ton devant Choron dernière, une eulogie qui souffre de biais conséquents.
Que l'on considère déjà les attaques pamphlétaires contre le second acte de Charlie Hebdo, relancé en 1992 après dix années d'interruption de la publication. Les apparitions du nouveau directeur Philippe Val, écorché pour son caractère autoritaire et dédaigneux, mettent à mal l'image anar-nanar du journal. Mais le reste de l'argumentaire de Carles contre la formule contemporaine se limite à déplorer l'absence de Georget Bernier (dit professeur Choron). Privée de sa première influence libertaire, la rédaction de Charlie Hebdo n'est certes plus ce qu'elle était au cours des années 70, mais la critique ne serait recevable qu'au regard des objectifs affichés par la nouvelle équipe —objectifs que le documentaire omet de présenter ou de discuter.
Pour ce qui est du professeur Choron lui-même, le montage compose un portrait posthume paillard, franc et rigolard. Si provocateur soit-il, le personnage semble s'être retrouvé sous les projecteurs de façon presque incidente : provocateur, oui, mais provocateur né, prêt à faire le clown pour mille badauds comme pour un seul, fanfaron sans opinion à défendre ni ego à compenser.
On comprend sans mal l'admiration de Carles pour ce défenseur invétéré de la liberté d'expression, contrepoint merveilleux aux journalistes hypocrites piégés dans Pas vu, pas pris. Cependant, revendiquer le mauvais goût ne suffit jamais à justifier son usage, et le nihilisme politique de Choron, autant que son sexisme et son agressivité occasionnelles, restent pour le moins problématiques. Sa dernière compagne a d'ailleurs rapporté avoir subi de nombreuses violences de sa part, dans un témoignage postérieur au documentaire (mais que Carles n'est apparemment pas allé chercher non plus). Co-fondateur du magazine Hara-Kiri, qui a précédé Charlie Hebdo, l'homme en incarnait un peu trop la fameuse devise : « journal bête et méchant ».
Le public curieux trouvera ainsi en Choron dernière l'occasion d'apprendre une partie de l'histoire de la publication satirique la plus diffusée en France, mais il me semble encore plus important de saisir l'invitation à considérer les motivations qui l'ont maintenue dans les kiosques, pour peut-être conclure que, s'il faut reconnaître à Choron et Charlie Hebdo de révéler les limites de ce qui peut être dit, tout n'est pas bon à dire en soi.
...Et pourtant, puisque qu'il profiterait à tous de connaître la capacité de ce verre invisible afin de le remplir au mieux : y a-t-il d'autre solution que de le faire déborder ?