Brazil

un film de Terry Gilliam (1985)

Je ne sais honnêtement plus trop pourquoi le film de Gilliam m'avait tellement remué il y a des années. Peut-être son gigantisme ? Ses clins d'œil à 1984 ? Ses dernières minutes intenses et sa chute impitoyable ? À l'époque, j'étais bouleversé pour un rien, alors je serais incapable de retrouver pourquoi Brazil a particulièrement reçu mes faveurs.

En tout cas aujourd'hui, le film me parle sur un plan moins intime, parce qu'il me fait surtout cogiter sur mon boulot. Ça fait trois ans que je fais de la recherche, mais en milieu plus administratif que les universités ou labos privés habituels. J'ai eu le temps de prendre du recul sur ce que je faisais, et je sens la machine dans laquelle j'évolue se gripper progressivement sous le poids cumulé des procédures et réglementations foisonnantes, irrépressiblement attisées par sa propre expansion (en personnel et en moyens). Le scénario de Brazil dresse une satire pas si excessive de cette mécanique. En guise de bonjour, Jonathan Pryce se fait aboyer au visage, plus par réflexe que par antipathie de la part de son nouveau voisin de bureau, qu'il n'y a aucune chaise à venir emprunter ici. À croire qu'un vrai travail de recherche a été mené sur les singeries de la vie de bureau...

En dehors des aberrations de la machine administrative, j'ai été surpris de constater de nombreux parallèles avec Blade Runner, et sur des plans très distincts. Les décors et la photo rétro-futuristes, qui placent le récit à une époque aussi impossible qu'exaltante. Les rêves récurrents (ici avec une symbolique un peu plus cartonnée) qui trahissent les natures profondes respectives des deux héros. Le régime autoritaire, dont le fonctionnement et la violence restent toujours dans les marges du récit. L'introspection et l'angoisse de peut-être soutenir de mauvaises causes, appartenir au mauvais camp.

Le rapprochement pourrait s'étendre à l'histoire d'amour, sauf que sur celle-ci, Gilliam se foire amplement. Catalyseur de la dernière heure, le couple Pryce-Greist n'a ni alchimie ni substance ; je veux bien que l'amour soit proclamé en tant qu'arme surpuissante contre la paperasse, mais enfin c'est facile et niais, en plus de détruire les quelques subtilités qui avaient été construites autour de Pryce. L'humour fait encore à peu près mouche, mais les contre-plongées obliques commencent à lasser, et la fusillade finale est assez forcée. Heureusement, ces errances criardes sont pansées par la musique du générique.