Alien: Covenant

un film de Ridley Scott (2017)

vu le 14 mai 2017
au Max Linder Panorama

Chiasse acide dans ta face

L'essentiel se joue en cinq minutes.

Weyland Scott proclame d'entrée de jeu que rien n'importe en dehors de la question des origines, et franchement discute pas mec, sers-moi juste le thé, et aboule le fric de ta place de ciné. Adieu à toute réflexion moderne, et adieu à votre liberté d'esprit en tant que spectateur.

Les inspirations de Weyland Scott ? Le David de Michel-Ange, pour ne pas perdre le dernier touriste chinois. Et puis Wagner, parce que même si c'est pompeux, ça impressionne toujours les gogos. Adieu à toute créativité artistique, et adieu au respect du public.

On est encore dans l'introduction du récit qu'un mec crame en gros plan et hurle ses viscères dans un caisson cryogénique. Ensuite plan appuyé sur son cadavre calciné, en mode cochon grillé sur la place du village. Adieu le travail de suggestion, et adieu au bon goût.

Et puis avant de pouvoir reprendre un peu son souffle, travelling mielleux sur les effets personnels du capitaine flamme, baignés dans les larmes de la veuve éplorée, sur fond de violons dégoulinants. Adieu à l'écriture de personnage, et adieu à l'émotion sincère.

L'affaire est pliée, Alien: Covenant sera donc un film abrutissant et inutile. La misère atterrante de ces premiers plans me laisse très peu d'espoir pour la suite. Pour se rassurer, les lecteurs haters penseront que je me suis pourri l'expérience en me braquant dès le début. Qu'ils sachent qu'après quelques années de cinéphilie, du cinéma aussi pauvre, on a pas besoin de tout en voir pour le reconnaître.

Mais comment passe-t-on d'un film débile et honteux à un film haïssable ?

Aux yeux des fans de la saga, le fait de mentir sur la marchandise pourrait jouer. En effet Covenant n'est pas le chaînon manquant entre Prometheus et Alien. C'est juste la première maille entre ces deux histoires, laissant la porte grande ouverte à pléthore de ces suites dont les producteurs hollywoodiens raffolent. Mais je ne suis pas fan de la saga.

Aux yeux du public raisonnable, l'inconsistance scénaristique pourrait jouer. Je ne sais même pas par quoi commencer. Les experts en terra-formage qui font la danse de la joie sur tous les protocoles anti-épidémie ? David qui décide de ne rien expliquer, puis de tout expliquer, puis de sauver le reste de l'équipage, puis de le condamner avec un sourire de méchant guignol ? Le commandant à qui on dit "tkt c'est des kinder" et qui va lécher la poche amniotique du facehugger pour voir quel goût ça a ? Mais à la limite je m'en moque, je suis pas pointilleux sur l'exactitude d'un récit, surtout quand c'est foiré dès les premières minutes.

Nope, Covenant est puant parce que, incapable de science-fiction intelligente ou d'horreur persistante, il se réfugie dans une soupe de gore lamentable. Fidèle à son époque, il ne se fatigue pas à développer une atmosphère, ni même une identité visuelle, puisqu'à bien moins de frais il peut remuer le chaland en braillant avec le visage peinturluré d'hémoglobine et des intestins en guise de collier. Comme les indiens sauvages et monstrueux qu'on apprenait aux gosses américains à détester.

Des furoncles, des blessures purulentes, des chairs lacérées, des corps en convulsion qui finissent par exploser. Des intestins partout sur le sol, des mares de sang pour faire déraper les gens comme sur les flaques d'huile des cartoons, des cocktails pancréas-lymphe et des flûtes cathéter pour androïde. Des têtes arrachées, dans quatre plans différents parce que c'est pas du tout lassant. Des créatures qui tour à tour te sortent par le bide, te rentrent par les oreilles, te sortent par la bouche, te rentrent par la chatte. C'est bon, on a fait le tour ?

Qu'importe si rien ne reste après la séance, en dehors d'une vague sensation de nausée. Le spectateur a ressenti des choses, et puis il se moque que ce soit élevant ou non. Il en a eu pour son argent. Comme une pute chopée au bord de l'autoroute, tu comptes sur le temps que t'as payé, tu transpires un peu, tu repars vaguement dégoûté de toi-même, et puis t'as sans doute engrossé un proxénète, mais tu t'en fous, cinq minutes plus tard, tu seras passé à autre chose.

Il y a une ligne spectaculaire qu'il ne fallait pas manquer, avant que David embrasse Walter dans la scène de baiser la plus aseptisée et hypocrite qui soit. (Note à part : quand un troufion quelconque exprime sa douleur avec le cadavre de son compagnon dans les bras, difficile de ne pas se rappeler de la caution gay de Star Wars: Rogue One. À Hollywood tu peux enfin te permettre de montrer un couple de pédés, suffit juste qu'un des deux soit mort. On va quand même pas montrer deux mecs qui agissent avec une tendresse et des sentiments réciproques, lol.)

Donc, cette ligne spectaculaire, c'est quand David fait le tour en quinze secondes des accomplissements de l'homme. Et quand il s'agit d'expliquer en quoi consiste l'art : "un beau jour, un homme de Néandertal a soufflé dans une flûte pour amuser ses enfants". Ah, mais c'est évident, l'art, ce divertissement asservi à la vie quotidienne, pour faire taire les marmots qui braillent !

Un outil de réflexion dans l'appréhension de la réalité ? Raté. Un travail acharné de recherche exaltée ? Nope trop fatigant. Une expérience transcendante qui enrichit nos vies ? Haha très drôle. Un accomplissement personnel qui motive la vie profonde de l'artiste ? Ne racontez pas ça à Ridley Scott, il en pisserait de rire.

La ligne est discrète, mais elle n'est pas à prendre à la légère. Elle a été validée par la 20th Century Fox, et elle est parvenue jusqu'au montage final. Les producteurs n'ont pas non plus insisté à ce qu'elle soit prononcée, j'en mettrais ma main dans la bouche sulfurique d'un alien. La responsabilité est donc sur Ridley Scott. De deux choses l'une : ou bien le mec est indifférent par rapport aux conneries qui peuvent se glisser dans ses films, ou bien la réflexion ne l'a pas gêné parce qu'il a conscience de traiter ses spectateurs comme des arriérés...

Pourtant j'aime être émerveillée au cinéma. Je lui en demande généralement plus que ça, mais oui, j'aime qu'un film réveille cet enfant qui sommeille en moi, qui vit de curiosité, de panique occasionnelle, de soif d'aventure. Quelle pitié, alors, face aux contemporains qui ont abandonné le combat du Nouvel Hollywood. Qui se réfugient dans la violence graphique pour impressionner, en répétant des chocs vides de sens pour persuader qu'il se passe quelque chose. Qui ne parviennent à exciter le spectateur qu'en lui faisant craindre pour sa vie. Qui prennent le public pour un produit creux et idiot. Ne les laissez pas vous faire croire qu'en tapant sur vos crânes, ça fait de la belle musique. Ça fait même pas du Wagner.

Puisqu'on peut écrire ce qu'on veut et le vendre comme un sequel, je conclurai en déclarant que ce texte est un successeur spirituel de ma critique Flatulences hémorroïdales. Le lien est un peu plus tard dans le paragraphe, oui je fais du teasing à la truelle et une campagne promo pénible. J'y faisais part du même énervement, pour des raisons similaires. Les deux articles disent la même chose avec des mots un peu différents. Est-ce que vous préférez aller voir ce que vous connaissez déjà, ou bien réfléchir à vos propres valeurs ?