Les huit salopards

The Hateful Eight

un film de Quentin Tarantino (2015)

vu le 7 janvier 2016 à l'UGC Les Halles

Flatulences hémorroïdales

Alors parce qu'il y a des têtes qui explosent et des couilles en bouillie je devrais me marrer, c'est ça ? Contrairement à Django Unchained, dont les deux passages les plus marquants (le pugilat mandingo et l'esclave dévoré par les chiens) voyaient enfin Tarantino s'essayer au suggéré, et avec réussite, pour imprimer dans l'esprit du spectateur la malfaisance absolue de l'esclavagisme, The Hateful Eight se vautre dans une gabegie de gore qui ne sert strictement à rien, si ce n'est satisfaire des pulsions de grand gamin que je ne partage pas du tout. Ces temps-ci, au premier jump scare dans un film d'horreur, le cinéphile a vite fait de faire les gros yeux au réalisateur responsable de cet artefact paradoxalement facile à anticiper, et surtout vide de sens. Il serait peut-être temps de réévaluer les douches d'hémoglobine de QT avec la sévérité et le mépris que, pareillement, elles méritent.

Évidemment, ce n'est pas le cœur du film. Ces explosions d'action, c'est un peu des prouts de Tarantino, il les retient longtemps, à certains moments on le sent prêt à lâcher, finalement ça arrive, ça tache la pellicule, tout le monde grimace. Et l'essentiel des spectateurs, bercé dans un état régressif, se bidonne. La pestilence du résultat ne surprend guère, dans la mesure où l'essentiel de The Hateful Eight consiste en des dialogues indigestes. Les gags en chaîne, les répliques qu'on oublie une poignée de secondes après que les acteurs les aient surjouées, ça me gêne pas plus que ça. Par contre quand les personnages se livrent à plusieurs minutes d'exposition en face à face, rayant parfois du plan jusqu'aux trois quarts des acteurs et de l'espace de l'action ; ou bien quand une voix off fait exactement ce qu'elle devrait éviter, à savoir narrer ce qui est déjà complètement explicite en images ; eh bien je ne parviens pas à m'empêcher d'y voir un étirement artificiel et mégalo d'un scénario vide de surprises. Et non, ce n'est pas un maigre twist qui va me faire changer d'avis. D'autant plus que, puisque rien ne laissait soupçonner les éléments clés du dénouement que sont l'existence d'un lien de sang et d'un gang de bandits, j'y vois de la manipulation de la part d'un QT qui rigole tout seul de faire saliver le public sur des mystères intangibles. Et si je me pose devant un film, surtout quand il dépasse les deux heures, j'attends d'un réalisateur qu'il s'adresse un peu à moi, pas seulement à son nombril. Voir aussi les ralentis purement vaniteux qui se sont glissés dans le montage.

Incarnation finale de cette trinité de l'échec, les excès visuels et la vase scénaristique se rejoignent en une vacuité de propos effarante. Bloquée dans un régime anémique de champs-contrechamps tout juste émaillé de quelques plans rapprochés leonesques, il semblerait que la fameuse caméra 70mm que QT a décroché à papa et maman Weinstein se soit avérée plus encombrante qu'autre chose. Certains films cachent des indices dans chacun de leurs plans, jouant avec l'infinité de combinaisons de lumières, de mouvements, de mises au point... comme autant de vecteurs qui révèlent ou étoffent le sens d'une scène. QT, lui, se fout de tout ça. Son ambition, s'il en a même conscience, se résume ici à la glorification emphatique, par l'humour et la violence cathartique, d'une mentalité régulée par la méfiance et la haine envers son prochain. Au risque de valser avec les clichés, il fait sens de tourner un conte impitoyable, où l'amitié offerte par Kurt Russell est trahie, où l'amour de Bruce Dern pour son fils est bafoué, où toute clémence est invariablement refusée. Mais que ces sentiments soient ridiculisés et rabaissés, par la désinvolture méprisante du scénario comme de la caméra, et c'est là que The Hateful Eight se révèle, pire que gratuit et inutile : vicieux, et épanoui dans le vice. Hateful, le titre ne mentait pas sur les personnages, mais il ne légitimait aucunement ce programme ininterrompu d'immoralité crasse.

Entre Jennifer Jason Leigh qui subit un brain bucket challenge et Samuel L. Jackson qui résoud l'enquête comme un Hercule Poirot anti-mexicains (QT préfère la xénophobie au racisme, tout va bien), une lueur d'espoir tout de même : la musique d'Ennio Morricone. Le vétéran signe plusieurs morceaux mémorables, épiques et harmonieux comme il en a le secret, et le fait qu'ils soient souvent joués par-dessus des plans enneigés pas franchement impressionnants permet d'apprécier leur écoute sans aucune distraction de mauvais goût. Il me sera sans doute facile d'effacer les souvenirs du reste, qui n'est jamais qu'une fusion ratée du huis-clos Reservoir Dogs, du babillage Death Proof, et du western Django Unchained, chacun infiniment plus appréciable. « Vive le cinéma ! » peut-être, mais pas n'importe quel film...