Comment Vivian Maier a-t-elle pu réaliser des dizaines de milliers de photographies d'une sensibilité artistique exceptionnelle, sans que personne n'ait jamais eu vent de son travail ? C'est la question que se pose John Maloof depuis sa découverte des premières malles de pellicules, et qui est à l'origine de la réalisation de ce documentaire.
En 2007, lorsqu'il a fait l'acquisition de premières photographies, John Maloof cherchait avant tout de quoi enrichir son étude sur le Chicago d'après-guerre. Il n'avait aucune idée de qui pouvait être Vivian Maier. Mais il ne manque pas d'être interpellé par l'âme qui se dégage de ces portraits de rue, et de nombreux amateurs à qui il présente les clichés réagissent avec un vif intérêt. Les prises s'étalent sur des dizaines d'années, et pourtant Maloof est bien en mal de trouver la moindre information sur Maier. Ce n'est qu'en 2009 qu'il retrouve sa trace... dans une nécrologie du Chicago Tribune. Vivian Maier, proud native of France and Chicago resident for the last 50 years died peacefully on Monday. Dans une indifférence quasi-générale. Maloof n'en est que plus intrigué. Cet article sera le point de départ de son enquête.
Pareil à Searching for Sugar Man, Finding Vivian Maier trouve rapidement un juste équilibre entre l'exploration de l'œuvre et l'éclairage de l'artiste. À intervalles raisonnables, le travail de la photographe est présenté et commenté. C'est une occasion de découvrir quelques fragments de la collection monumentale qu'essaie de reconstituer Maloof et qu'il tente de partager au monde depuis cinq ans, avec un succès critique grandissant. Maier, armée de son Rolleiflex fétiche, arpentait les rues de Chicago et capturait une beauté et une profondeur inattendue auprès des passants qu'elle croisait. De son approche directe, incisive et un peu malicieuse, naît une fresque globale de la société américaine, sans jamais sacrifier les individus ni les émotions qu'ils suscitent.
Mais le fil directeur et la raison d'être du film, c'est d'abord le jeu de pistes qui ambitionne de lever le voile sur la personnalité paradoxale de l'artiste, tendre et menaçante, effacée et effroyablement productive, anachronique avec un regard perçant sur ses contemporains. Maloof chasse n'importe quelle possession de Maier et croule rapidement sous les pellicules, rouleaux de film, enregistrements audio, boucles d'oreilles, reçus de paiement... Elle conservait tout ce qu'elle pouvait emmener avec elle, d'un logement à un autre, alors qu'elle assurait (nous révèle-t-on) un travail de nourrice. Elle changeait l'orthographe de son nom d'un interlocuteur à l'autre, accumulait les journaux jusqu'à faire s'affaisser le sol de sa chambre, simulait (ou camouflait ?) un accent français... L'énigme ne cesse de s'épaissir, et le spectateur finit par comprendre que ce film-là ne parviendra pas à circonscrire le personnage étudié. Dans l'assurance avec laquelle il confronte des témoignages qui se contredisent, il se rapproche d'un autre documentaire récent, Stories We Tell. Maier incarne un mystère humain irréductible, devant lequel Maloof s'inclinera avec humilité et admiration.
Le choix délibéré de placer ostensiblement le réalisateur devant la caméra est un autre point commun avec Stories We Tell. Aucun égocentrisme à dénoncer ici, car Maloof a joué un rôle primordial dans la découverte de Maier et de son travail, mais surtout car il est capable d'un recul qui permet au documentaire de se démarquer. Il a conscience que ses recherches ont progressivement viré à une quête obsessionnelle, dont les motivations sont presque aussi confuses que la passion avec laquelle Maier accumulait les photographies. Il s'interroge avec pertinence sur le travail du biographe : quelles ressources, quel investissement personnel doit-il déployer pour effectuer son travail ? Quelles sont ses responsabilités dans la recomposition du personnage ? Quelles limites se poser lorsqu'il braque son projecteur sur un sujet extrêmement secret, attaché à rester discret malgré une œuvre monumentale ?
Finding Vivian Maier est donc bien plus qu'un compagnon aux photographies de l'artiste. Certes, le documentaire traîne une image un peu plate et un montage sonore un peu cliché, mais les réflexions qui l'habitent lui confèrent un intérêt cinématographique propre. Les questions d'ordre méta y contribuent et, avec plus de force encore, le consentement à livrer une étude incomplète. Parce que la perspicacité artistique de Vivian Maier et sa réclusion sont des notions irréconciliables. Parce qu'il serait malhonnête de faire l'éloge d'une artiste hors pair et de passer sous silence les excentricités et les paradoxes découverts. Parce que Vivian Maier est une espionne absolue, qui consigne méticuleusement le monde qui l'entoure et elle-même, à des fins qu'elle ne nous révèlera jamais.
I'm sort of a spy.
Comment Vivian Maier a-t-elle pu réaliser des dizaines de milliers de photographies d'une sensibilité artistique exceptionnelle, sans que personne n'ait jamais eu vent de son travail ? C'est la question que se pose John Maloof depuis sa découverte des premières malles de pellicules, et qui est à l'origine de la réalisation de ce documentaire.
En 2007, lorsqu'il a fait l'acquisition de premières photographies, John Maloof cherchait avant tout de quoi enrichir son étude sur le Chicago d'après-guerre. Il n'avait aucune idée de qui pouvait être Vivian Maier. Mais il ne manque pas d'être interpellé par l'âme qui se dégage de ces portraits de rue, et de nombreux amateurs à qui il présente les clichés réagissent avec un vif intérêt. Les prises s'étalent sur des dizaines d'années, et pourtant Maloof est bien en mal de trouver la moindre information sur Maier. Ce n'est qu'en 2009 qu'il retrouve sa trace... dans une nécrologie du Chicago Tribune.
Dans une indifférence quasi-générale. Maloof n'en est que plus intrigué. Cet article sera le point de départ de son enquête.Pareil à Searching for Sugar Man, Finding Vivian Maier trouve rapidement un juste équilibre entre l'exploration de l'œuvre et l'éclairage de l'artiste. À intervalles raisonnables, le travail de la photographe est présenté et commenté. C'est une occasion de découvrir quelques fragments de la collection monumentale qu'essaie de reconstituer Maloof et qu'il tente de partager au monde depuis cinq ans, avec un succès critique grandissant. Maier, armée de son Rolleiflex fétiche, arpentait les rues de Chicago et capturait une beauté et une profondeur inattendue auprès des passants qu'elle croisait. De son approche directe, incisive et un peu malicieuse, naît une fresque globale de la société américaine, sans jamais sacrifier les individus ni les émotions qu'ils suscitent.
Mais le fil directeur et la raison d'être du film, c'est d'abord le jeu de pistes qui ambitionne de lever le voile sur la personnalité paradoxale de l'artiste, tendre et menaçante, effacée et effroyablement productive, anachronique avec un regard perçant sur ses contemporains. Maloof chasse n'importe quelle possession de Maier et croule rapidement sous les pellicules, rouleaux de film, enregistrements audio, boucles d'oreilles, reçus de paiement... Elle conservait tout ce qu'elle pouvait emmener avec elle, d'un logement à un autre, alors qu'elle assurait (nous révèle-t-on) un travail de nourrice. Elle changeait l'orthographe de son nom d'un interlocuteur à l'autre, accumulait les journaux jusqu'à faire s'affaisser le sol de sa chambre, simulait (ou camouflait ?) un accent français... L'énigme ne cesse de s'épaissir, et le spectateur finit par comprendre que ce film-là ne parviendra pas à circonscrire le personnage étudié. Dans l'assurance avec laquelle il confronte des témoignages qui se contredisent, il se rapproche d'un autre documentaire récent, Stories We Tell. Maier incarne un mystère humain irréductible, devant lequel Maloof s'inclinera avec humilité et admiration.
Le choix délibéré de placer ostensiblement le réalisateur devant la caméra est un autre point commun avec Stories We Tell. Aucun égocentrisme à dénoncer ici, car Maloof a joué un rôle primordial dans la découverte de Maier et de son travail, mais surtout car il est capable d'un recul qui permet au documentaire de se démarquer. Il a conscience que ses recherches ont progressivement viré à une quête obsessionnelle, dont les motivations sont presque aussi confuses que la passion avec laquelle Maier accumulait les photographies. Il s'interroge avec pertinence sur le travail du biographe : quelles ressources, quel investissement personnel doit-il déployer pour effectuer son travail ? Quelles sont ses responsabilités dans la recomposition du personnage ? Quelles limites se poser lorsqu'il braque son projecteur sur un sujet extrêmement secret, attaché à rester discret malgré une œuvre monumentale ?
Finding Vivian Maier est donc bien plus qu'un compagnon aux photographies de l'artiste. Certes, le documentaire traîne une image un peu plate et un montage sonore un peu cliché, mais les réflexions qui l'habitent lui confèrent un intérêt cinématographique propre. Les questions d'ordre méta y contribuent et, avec plus de force encore, le consentement à livrer une étude incomplète. Parce que la perspicacité artistique de Vivian Maier et sa réclusion sont des notions irréconciliables. Parce qu'il serait malhonnête de faire l'éloge d'une artiste hors pair et de passer sous silence les excentricités et les paradoxes découverts. Parce que Vivian Maier est une espionne absolue, qui consigne méticuleusement le monde qui l'entoure et elle-même, à des fins qu'elle ne nous révèlera jamais.