Vies

un film de Alain Cavalier (2000)

vu le 11 octobre 2016 au Forum des images

Mince, j'ai failli rendre mon déjeuner sur la moquette de la salle 300 du Fdi. Pas classe. La dernière fois c'était devant Irréversible il y a au moins cinq ans. Pourtant il est pas du tout question d'extincteur dans Vies, c'est juste que la première vignette du docu porte sur un chirurgien ophtalmologiste, sa dernière journée au bloc... Et du coup, à côté de ça, Un chien andalou et son rasoir, c'est de la gnognotte à la confiture de fraise.

tl;dr, c'est expérimental et ça me plaît bien. Alain Cavalier joue avec les conventions documentaires, en quatre chapitres, quatre vies, de durées inégales, de passions disparates, et avec des choix de mise en scène tout aussi variables.

Le premier morceau porte, comme je le disais, sur l'ultime journée de la carrière d'un chirurgien de renom. Sentiments conflictuels entre les opérations trash/réalistes et l'atténuation due à la routine ; entre l'expertise sensationnelle du bonhomme et le détachement habituel avec lequel il souhaite au revoir aux patients qu'il a protégés et soignés sur le billard, comme si de rien n'était. En y repensant bien, c'est probablement la section pour laquelle la production fut la plus compliquée, entre la nécessité absolue de stérilisation et le souci de ne pas gêner le personnel. Mais Cavalier s'efface complètement derrière la caméra et ne proclame pas un instant la difficulté (ou l'émotion) liées à sa tâche.

Je vais essayer de synthétiser les autres chapitres. Le second segment tranche sans s'excuser, avec la visite en une poignée de plan-séquences de l'appartement-atelier d'un sculpteur parisien. Le sculpteur, d'ailleurs, reste hors-cadre jusqu'aux dernières secondes, et pour l'essentiel, c'est surtout Cavalier qui commente (avec une certaine naïveté) les œuvres et le reste de l'appart. Re-virage dans le troisième segment, une interview frontale d'un boucher, qui se livre en un monologue fleuve, de sa jeunesse à l'instant présent, devant une caméra presque fixe. Comme attendu, le sujet du quatrième et dernier segment n'a encore rien à voir. Il s'agit d'une monteuse d'Orson Welles, qui parcourt comme un fantôme la maison en décrépitude (j'ai eu une pensée émue pour Manoel de Oliveira et son docu posthume) où celui-ci recevait sa maîtresse française, et égrène les anecdotes aberrantes au fil de la visite : Welles qui a la phobie des impôts, Welles qui fuit ses producteurs, Welles qui casse tous ses bidets...

J'aime beaucoup cet assemblage hétérogène, qui permet d'accentuer les fossés entre les vies que se sont construits les différents héros reçus par Cavalier, tout en nourrissant une dimension résolument ludique pour le cinéphile qui s'intéresse aux formes du documentaire. Une chose réunit tous les segments, c'est l'estime et l'empathie qu'éprouve Cavalier pour ses sujets, la volonté de se mettre à leur place, et je pense que c'est de là que découle l'efficacité de chacune des parties, aussi distinctes soient-elles...