Vacances à Venise

Summertime

un film de David Lean (1955)

vu le 10 août 2016 au Champo

Mélo dévergondé

David Lean est décidément un grand touche-à-tout. S'il avait été du style à bosser nuit et jour, étant donné la variété des intérêts que sa filmo laisse transparaître, Kubrick serait un bon point de comparaison. Summertime passe pour un film mineur dans sa carrière, mais l'ignorer face à The Bridge on the River Kwai ou à Lawrence of Arabia reviendrait un peu à dire que Paths of Glory est une bobine facilement oubliable.

Par contre, à l'inverse de Kubrick, les films de Lean résistent plutôt à la notion de genre, et Summertime le vérifie encore. Jane Hudson débarque en solo pour passer des vacances à Venise. Il est difficile de mettre le doigt sur le sujet, parce que le scénario refuse d'introduire Jane par la moindre backstory. On ne sait rien de sa vie américaine, et on ne sait même pas si la caméra de poche qu'elle sort à tout bout de champ est une fantaisie estivale ou bien une véritable obsession.

Lean semble en quelque sorte filmer Jane du point de vue de la ville. En sortant de la gare, Venise se présente, s'ouvre à elle, lui montre ses canaux, ses monuments, ses ruelles. Viennent ensuite l'hôtel et ses habitants : les bon gros touristes américains d'abord, puis un peintre un peu plus exotique et la tenante italienne. Ensuite seulement, le lover italien émergera de la foule locale pour entamer une romance intime. Ce n'est pas le personnage qui se découvre en allant vers le monde, mais le monde qui découvre le personnage en allant vers elle. Une progression alternative qui désarçonne, ou en tout cas ne se laisse pas immédiatement apprécier.

Plus précisément, c'est le dérèglement du personnage dans ce contexte étranger qui permet au spectateur de cerner le caractère et les motivations de l'héroïne. À l'origine, je pensais qu'elle n'était qu'une excuse pour tourner un film carte postale ; il faut dire que ces images hors studio sont splendides. Mais l'intérêt porte vraiment sur Jane, quasi quinqua en exil pour des raisons qu'elle-même n'identifie pas pleinement. Je ne situe pas bien si le fait de partir en vacances seul dans une ville inconnue est une expérience répandue ou non, mais Summertime parlera sans doute à ceux qui l'ont connue.

En l'occurrence, Lean parvient à filmer le blues du touriste, que je n'avais jamais vu ailleurs au cinéma. On est censé s'amuser, s'exciter, profiter, et effectivement on s'émerveille ici et là, mais à d'autres moments l'enthousiasme s'est évanoui, et on se retrouve à essayer de se fixer un sourire aux lèvres pour se convaincre qu'on ne s'ennuie pas, que ce périple à l'autre bout du monde n'est pas, au fond, un peu vain. Sans pour autant que ça dévalue les expériences positives du voyage, c'est un sentiment un peu honteux qui est rarement partagé. Vu que l'absence de compagnon d'aventure en est une prémisse. Le jeu fin de Katharine Hepburn rend justice à ce débat intérieur chronique.

Et puis quand on voyage seul, après avoir fait la moitié des 3 jours à Venise proposés par Trip Advisor, pour délayer l'ennui, on se dit que ce serait quand même pas mal de lever un ou une local/e. Jane a un peu cette idée derrière la tête, mais elle a la maturité émotionnelle d'un écureuil : quand Renato tourne autour d'elle, un modeste antiquaire aux tempes grisonnantes, elle peine à y reconnaître le mec de ses fantasmes. Comme en plus Jane n'est pas très femme libérée, elle ne peut pas s'empêcher de jouer les prudes face aux propositions explicites de l'italien, qui n'a aucun problème à l'idée d'une amourette de vacances passionnelle. La fille qui dit le contraire de ce qu'elle pense et le mec qui se refuse à de telles bêtises, c'est une vision un peu datée de la romance, mais avec le recul qu'exige l'époque et, après tout, la beauté de cette histoire d'émancipation, je suis largement prêt à l'excuser.