Il m'est impossible de ne pas prendre Gravity comme référence à laquelle comparer The Revenant : un thème essentiel de survie, un personnage brisé, un scénario linéaire, des prouesses de caméra... Le problème étant que le film d'Iñárritu pâtit de la comparaison sur de nombreux points. Contrairement à Birdman, le festival de plan-séquences est ici aussi admirable qu'efficace car très intégré au récit, immersif et rarement forcé. On pourra déplorer quelques passages artificiels où la caméra ne se déplace que sur les pionniers ou les indiens en passe d'être zigouillés, mais c'est du pinaillage. Par contre, là où Gravity était conscient de l'exercice cinématographique qu'il représentait, et s'en remettait à la confiance du spectateur, The Revenant tente de tout faire à la fois et, fatalement, en fait trop.
Sa prime erreur est d'avoir souhaité marier l'action la plus barbare avec la contemplation la plus onirique. Les combats sanguinolents, du coup, sont trahis comme à peu près n'importe quel duel cowboys-indiens, artefacts d'une violence spectaculaire et poudre-aux-yeux. Quant aux inserts plus apaisés, qu'il s'agisse de paysages grandioses ou de flashbacks malickiens, le fait que la caméra ne sache pas s'arrêter pour un plan fixe de temps en temps est déjà un peu frustrant, mais c'est surtout qu'ils peinent à connecter avec la fable impitoyable que le personnage de DiCaprio est en train d'écrire. On est loin de la symbiose dure, froide, mais ultimement juste et apaisée, du magnifique Jeremiah Johnson. Comment était-il concevable de combiner une claustrophobie de visages et de fusils avec la solennité d'une nature désertée ? L'approche d'Iñárritu est ambitieuse, mais même sa volonté intrépide n'était pas en mesure de réconcilier ces extrêmes.
Dans les détails, le film barbe aussi un peu, quand il ne fait pas involontairement sourire. Lubezki est un photographe de tout premier ordre, et son comparse réalisateur lui donne les moyens de célébrer ses talents, mais je n'ai vraiment pas compris l'intérêt de la buée ou des gouttes de sang sur l'objectif, instinctivement contre-productives en matière d'immersion. L'ultime plan, qui brise le quatrième mur, m'a aussi laissé sceptique : c'est le même genre de gimmick qu'il y avait à la fin de Birdman, que les cinéphiles pourront interpréter dans n'importe quel sens.
Côté scénario, là aussi on se perd dans le trop. Les digressions de la compagnie menée par Domhnall Gleeson sont tellement insignifiantes qu'Iñárritu se permet de les téléporter depuis un sommet enneigé vers la taverne du camp de pionniers. A croire que c'était juste pour dire "regardez les mecs, on est allé tourner en haut d'une montagne". Gleeson, sensible et nuancé, propose une performance que je préfère tranquillement à celle de DiCaprio, qui se livre à une telle gradation d'extrêmes (cris, ours, bave, paralysie, poissons crus, entrailles de cheval dalmatien, etc.) qu'il est impossible de ne pas sentir derrière, de façon à la fois comique et pathétique, son imploration pour un Oscar. Pour revenir au récit, le dernier acte de vengeance est un peu stupide, d'assez mauvaise foi : Tom Hardy rappelle à DiCaprio que la vengeance ça sert à rien (you don't say), alors pour faire bonne figure le second jette le premier aux indiens pour se dédouaner de toute culpabilité tout en conservant un semblant de catharsis pour le spectateur. Douteux.
Bref, à vouloir jouer sur tous les tableaux, The Revenant s'empêtre dans des objectifs contradictoires, et sa complaisance, nulle par ailleurs plus visible que dans sa durée imposante, finit par blaser. Sauf troll légendaire de l'Academy, DiCaprio aura sa figurine dorée, mais je peine à voir d'autres raisons de me réjouir de ce tour de manège inégal.
Il m'est impossible de ne pas prendre Gravity comme référence à laquelle comparer The Revenant : un thème essentiel de survie, un personnage brisé, un scénario linéaire, des prouesses de caméra... Le problème étant que le film d'Iñárritu pâtit de la comparaison sur de nombreux points. Contrairement à Birdman, le festival de plan-séquences est ici aussi admirable qu'efficace car très intégré au récit, immersif et rarement forcé. On pourra déplorer quelques passages artificiels où la caméra ne se déplace que sur les pionniers ou les indiens en passe d'être zigouillés, mais c'est du pinaillage. Par contre, là où Gravity était conscient de l'exercice cinématographique qu'il représentait, et s'en remettait à la confiance du spectateur, The Revenant tente de tout faire à la fois et, fatalement, en fait trop.
Sa prime erreur est d'avoir souhaité marier l'action la plus barbare avec la contemplation la plus onirique. Les combats sanguinolents, du coup, sont trahis comme à peu près n'importe quel duel cowboys-indiens, artefacts d'une violence spectaculaire et poudre-aux-yeux. Quant aux inserts plus apaisés, qu'il s'agisse de paysages grandioses ou de flashbacks malickiens, le fait que la caméra ne sache pas s'arrêter pour un plan fixe de temps en temps est déjà un peu frustrant, mais c'est surtout qu'ils peinent à connecter avec la fable impitoyable que le personnage de DiCaprio est en train d'écrire. On est loin de la symbiose dure, froide, mais ultimement juste et apaisée, du magnifique Jeremiah Johnson. Comment était-il concevable de combiner une claustrophobie de visages et de fusils avec la solennité d'une nature désertée ? L'approche d'Iñárritu est ambitieuse, mais même sa volonté intrépide n'était pas en mesure de réconcilier ces extrêmes.
Dans les détails, le film barbe aussi un peu, quand il ne fait pas involontairement sourire. Lubezki est un photographe de tout premier ordre, et son comparse réalisateur lui donne les moyens de célébrer ses talents, mais je n'ai vraiment pas compris l'intérêt de la buée ou des gouttes de sang sur l'objectif, instinctivement contre-productives en matière d'immersion. L'ultime plan, qui brise le quatrième mur, m'a aussi laissé sceptique : c'est le même genre de gimmick qu'il y avait à la fin de Birdman, que les cinéphiles pourront interpréter dans n'importe quel sens.
Côté scénario, là aussi on se perd dans le trop. Les digressions de la compagnie menée par Domhnall Gleeson sont tellement insignifiantes qu'Iñárritu se permet de les téléporter depuis un sommet enneigé vers la taverne du camp de pionniers. A croire que c'était juste pour dire "regardez les mecs, on est allé tourner en haut d'une montagne". Gleeson, sensible et nuancé, propose une performance que je préfère tranquillement à celle de DiCaprio, qui se livre à une telle gradation d'extrêmes (cris, ours, bave, paralysie, poissons crus, entrailles de cheval dalmatien, etc.) qu'il est impossible de ne pas sentir derrière, de façon à la fois comique et pathétique, son imploration pour un Oscar. Pour revenir au récit, le dernier acte de vengeance est un peu stupide, d'assez mauvaise foi : Tom Hardy rappelle à DiCaprio que la vengeance ça sert à rien (you don't say), alors pour faire bonne figure le second jette le premier aux indiens pour se dédouaner de toute culpabilité tout en conservant un semblant de catharsis pour le spectateur. Douteux.
Bref, à vouloir jouer sur tous les tableaux, The Revenant s'empêtre dans des objectifs contradictoires, et sa complaisance, nulle par ailleurs plus visible que dans sa durée imposante, finit par blaser. Sauf troll légendaire de l'Academy, DiCaprio aura sa figurine dorée, mais je peine à voir d'autres raisons de me réjouir de ce tour de manège inégal.