The Assassin

Cìkè Niè Yǐnniáng

un film de Hou Hsiao-hsien (2015)

vu le 9 mars 2016
à l'Étoile Saint-Germain-des-Prés

Let them eat mooncake

Chacun a sa définition du beau. En vieux con précoce que je suis, la mienne se rapproche de la tradition grecque : beau, vrai, utile, agréable, c'est un tout, je peine à dissocier les différentes dimensions de ces attributs. Aussi, le maniérisme visuel n'étant même pas fondamentalement une expérience plaisante, il ne m'inspire guère que de l'indifférence. Le format 4:3 qui s'avère particulièrement contre-productif dans les scènes en extérieur rappelle le caprice carré d'un autre esthète, mais c'est plus largement ce culte de l'image surléchée qui suggère le cinéma instagram de luxe de Xavier Dolan. Je reconnais sans peine une attitude radicale à Hou Hsiao-Hsien, mais elle ne s'est traduite chez moi en aucune extase.

Le rendu visuel, déjà pas bien original dans le sens où ni il n'innove, ni il ne révèle, s'est doublé d'une dimension éreintante après que je me sois aperçu qu'aucun plan n'était vraiment fixe. La caméra, qui semble avoir été portée d'un bout à l'autre du tournage, tremble effectivement toujours un peu, même quand elle fait mine de s'arrêter entre deux translations languissantes. Au-delà de ce détail corrosif, l'absence délibérée de contenu ne joue pas en la faveur des séquences prolongées au-delà du raisonnable, des fondus noirs successifs, ou encore de l'action délivrée au compte-gouttes tarantinesque : sans motivation, les promesses d'un cadre contemplatif ne se sont jamais concrétisées. J'aurais voulu dire du bien du travail d'ambiance sonore, déjà plus couillu, mais la sélection des éléments pour lesquels les prises ont été accentuées au mixage peine à suivre la moindre logique, tout comme les quelques pistes musicales disséminées ici et là, trahissant une fois de plus une absence de but, de cohérence profonde. Le montage, peu avare en raccords arbitraires, laisse identiquement sceptique. The Assassin, en dépit de ses efforts auteuristes, ne convoque aucun thème, aucune réflexion. Ses affectations ne justifient pas le projet ; elles ne font au contraire qu'accentuer son incroyable vanité.

HHH se repose sur les canons du wu xia pan, jongle distraitement avec les hautes familles, le jeu de trônes, le tiraillement entre l'amour et le devoir, mais c'est au plus un squelette narratif qu'il manie avec indifférence, dans sa quête démonstrative d'un dépouillement artistique. Non que je le lui reproche, vu que j'aurais bien du mal à défendre ce genre bouffi de noblesse altière et d'intrigues souvent artificiellement obscurcies pour camoufler leur fragilité, mais du coup il ne reste plus rien à quoi s'accrocher, rien qui donne une raison d'accompagner le film dans son déroulement oisif. Après, si vous êtes bercés par ces décors et costumes paradoxalement maximalistes et ces incessants gazouillis d'oiseaux et ces personnages dont gestes et expressions exhalent la suffisance de soi, bien vous en fasse. M'enfin, c'est le genre de préciosité satisfaite et complètement détachée du monde dans laquelle se roulait les aristos d'antan et d'aujourd'hui, et qui serait impitoyablement incendiée fût-elle transposée à un cadre occidental. Justement, moi ça me hérisse un brin le poil et ça me fait presque penser à 1789 avec tendresse.