Tetrobot est occasionnellement frustrant à court terme, souvent gratifiant à moyen terme, et foncièrement oubliable à long terme.
Le gameplay est élémentaire, au point qu'une souris seule suffit pour y jouer. Sur des cartes 2D, clic gauche je choisis où me déplacer ou bien quel bloc absorber, molette je sélectionne un bloc de mon inventaire, clic droit je le jette à ma gauche ou à ma droite. Sur la base de ce catalogue d'actions extrêmement réduit, le fait que les cinq français derrière la boîte indé Swing Swing Submarine parviennent à ne pas lasser le joueur, même après plusieurs heures de jeu, est assez remarquable. Évidemment, comme dans n'importe quel puzzle game, de nouveaux accessoires sont introduits au fur et à mesure des niveaux, qui permettent de bousculer légèrement les règles physiques du monde qu'on commençait à croire connaître. Mais ce n'est pas ce qui fait le véritable attrait de Tetrobot.
Le petit miracle réside ici dans le level design parfaitement contrôlé. Les développeurs ont décliné leur minuscule lot de règles à toutes les sauces sur l'espace d'une quarantaine de niveaux. La difficulté est progressive, et petit à petit les énigmes qui occupent une, voire cinq, voire dix minutes se font de plus en plus courantes. Au-delà, comme le jeu n'est pratiquement pas bloquant, il est la plupart du temps possible de continuer son chemin, pour revenir sur le puzzle en question plus tard, un autre jour peut-être, et trébucher sur la solution au détour d'une pensée perdue parmi des flots d'hypothèses. Pour les zones les plus complexes, Tetrobot excelle à provoquer chez le joueur un tas de projections avec deux, trois, quatre coups d'avance ou plus, fantasmes irréalisés d'une solution qui ne cesse de s'esquiver avec le sourire gentiment narquois des designers, jusqu'à ce que... !
Rien n'est laissé au hasard ou presque, chaque bloc a son rôle à accomplir. Pour autant, le jeu n'est pas là pour punir : en cas d'erreur, il est possible d'annuler les actions précédentes une par une jusqu'à revenir à l'état souhaité. Tetrobot minimise l'injustice de l'accident ; il ne fait que renvoyer le joueur aux limites de ses propres capacités de réflexion, ce qui permet à ce dernier de savourer pleinement le sens du devoir accompli et l'indispensable boost d'ego afférent après résolution des casse-têtes les plus ardus. En comptant la cerise sur le gâteau que constituent cinq ou six achievements Steam qui demandent de revisiter certaines salles en augmentant encore un peu le degré d'exigence, le jeu parvient à une durée de vie d'une vingtaine d'heures tout à fait honnête.
Le souci, c'est qu'au-delà de cette flatterie diffuse et chaleureuse, Tetrobot ne délivre pas grand chose. La direction artistique est correcte sans particulièrement briller, la musique glisse entre les oreilles, l'animation est fluide et nette (la moindre des choses pour un jeu qu'on imagine sans problème tourner avec Flash), et il n'y a pratiquement pas de bug à déplorer. L'annulation de la dernière action provoque quelquefois des cheats absurdes, mais j'ai tendance à croire que le public de Tetrobot a suffisamment de fierté pour ne pas en profiter, donc rien de grave.
C'est surtout l'écriture du jeu qui n'est pas à la hauteur du divertissement. Des petits textes dévoilés au compte-goutte expliquent qu'Alexey et Markus ont brusquement disparu pour travailler sur un projet secret. Leur amie Maya, laissée sur le pavé, reçoit des photos mystères, finit par deviner dans quel pays ils sont partis (« le riz est différent », duh) et part les rejoindre. Fin. L'histoire tient en trois lignes, n'a presque aucun lien avec les énigmes, et parvient tout de même à être incomplète, limite incohérente. On sent l'enthousiasme intimiste d'une bande de potes bricoleurs derrière cette narration candide, mais c'est bien ce qui empêche Tetrobot de rester durablement dans les mémoires. Absent, le fantastique développement de personnages qui portait Thomas Was Alone. Embryonnaires, la mythologie ou même l'humour d'un Portal. Le principal attachement du joueur est lié à son instinct de consommation : une fois son amour-propre repu de puzzles conquis, Tetrobot aura tôt fait de sombrer dans ses souvenirs.
Occasion manquée ou non, Tetrobot est une référence de level design, qui cache beaucoup d'intelligence derrière son minimalisme. Reste à espérer que les gars de Swing Swing Submarine participent à des projets d'une ambition globale à la hauteur de ce talent. Si bien sûr le messianique The Witness, suite spirituelle de Braid, n'aura pas enterré le genre du puzzle game d'ici quelques mois.
L'art du level design
Tetrobot est occasionnellement frustrant à court terme, souvent gratifiant à moyen terme, et foncièrement oubliable à long terme.
Le gameplay est élémentaire, au point qu'une souris seule suffit pour y jouer. Sur des cartes 2D, clic gauche je choisis où me déplacer ou bien quel bloc absorber, molette je sélectionne un bloc de mon inventaire, clic droit je le jette à ma gauche ou à ma droite. Sur la base de ce catalogue d'actions extrêmement réduit, le fait que les cinq français derrière la boîte indé Swing Swing Submarine parviennent à ne pas lasser le joueur, même après plusieurs heures de jeu, est assez remarquable. Évidemment, comme dans n'importe quel puzzle game, de nouveaux accessoires sont introduits au fur et à mesure des niveaux, qui permettent de bousculer légèrement les règles physiques du monde qu'on commençait à croire connaître. Mais ce n'est pas ce qui fait le véritable attrait de Tetrobot.
Le petit miracle réside ici dans le level design parfaitement contrôlé. Les développeurs ont décliné leur minuscule lot de règles à toutes les sauces sur l'espace d'une quarantaine de niveaux. La difficulté est progressive, et petit à petit les énigmes qui occupent une, voire cinq, voire dix minutes se font de plus en plus courantes. Au-delà, comme le jeu n'est pratiquement pas bloquant, il est la plupart du temps possible de continuer son chemin, pour revenir sur le puzzle en question plus tard, un autre jour peut-être, et trébucher sur la solution au détour d'une pensée perdue parmi des flots d'hypothèses. Pour les zones les plus complexes, Tetrobot excelle à provoquer chez le joueur un tas de projections avec deux, trois, quatre coups d'avance ou plus, fantasmes irréalisés d'une solution qui ne cesse de s'esquiver avec le sourire gentiment narquois des designers, jusqu'à ce que... !
Rien n'est laissé au hasard ou presque, chaque bloc a son rôle à accomplir. Pour autant, le jeu n'est pas là pour punir : en cas d'erreur, il est possible d'annuler les actions précédentes une par une jusqu'à revenir à l'état souhaité. Tetrobot minimise l'injustice de l'accident ; il ne fait que renvoyer le joueur aux limites de ses propres capacités de réflexion, ce qui permet à ce dernier de savourer pleinement le sens du devoir accompli et l'indispensable boost d'ego afférent après résolution des casse-têtes les plus ardus. En comptant la cerise sur le gâteau que constituent cinq ou six achievements Steam qui demandent de revisiter certaines salles en augmentant encore un peu le degré d'exigence, le jeu parvient à une durée de vie d'une vingtaine d'heures tout à fait honnête.
Le souci, c'est qu'au-delà de cette flatterie diffuse et chaleureuse, Tetrobot ne délivre pas grand chose. La direction artistique est correcte sans particulièrement briller, la musique glisse entre les oreilles, l'animation est fluide et nette (la moindre des choses pour un jeu qu'on imagine sans problème tourner avec Flash), et il n'y a pratiquement pas de bug à déplorer. L'annulation de la dernière action provoque quelquefois des cheats absurdes, mais j'ai tendance à croire que le public de Tetrobot a suffisamment de fierté pour ne pas en profiter, donc rien de grave.
C'est surtout l'écriture du jeu qui n'est pas à la hauteur du divertissement. Des petits textes dévoilés au compte-goutte expliquent qu'Alexey et Markus ont brusquement disparu pour travailler sur un projet secret. Leur amie Maya, laissée sur le pavé, reçoit des photos mystères, finit par deviner dans quel pays ils sont partis (« le riz est différent », duh) et part les rejoindre. Fin. L'histoire tient en trois lignes, n'a presque aucun lien avec les énigmes, et parvient tout de même à être incomplète, limite incohérente. On sent l'enthousiasme intimiste d'une bande de potes bricoleurs derrière cette narration candide, mais c'est bien ce qui empêche Tetrobot de rester durablement dans les mémoires. Absent, le fantastique développement de personnages qui portait Thomas Was Alone. Embryonnaires, la mythologie ou même l'humour d'un Portal. Le principal attachement du joueur est lié à son instinct de consommation : une fois son amour-propre repu de puzzles conquis, Tetrobot aura tôt fait de sombrer dans ses souvenirs.
Occasion manquée ou non, Tetrobot est une référence de level design, qui cache beaucoup d'intelligence derrière son minimalisme. Reste à espérer que les gars de Swing Swing Submarine participent à des projets d'une ambition globale à la hauteur de ce talent. Si bien sûr le messianique The Witness, suite spirituelle de Braid, n'aura pas enterré le genre du puzzle game d'ici quelques mois.