Sur le chemin des glaces

Vom Gehen im Eis

un livre de Werner Herzog (1978)

Convoité pendant plusieurs années, recherché sans succès dans de multiples librairies, entamé en confinement national, poursuivi à la dynamo pendant une coupure de courant, et terminé dans la surprise d'une insomnie : ce petit livre porte une aventure qui lui va bien.

Il s'agit, je crois, du premier carnet de voyage que je lis, et c'est peut-être avec des platitudes que je m'apprête à le commenter. Herzog apprend que son amie Lotte Eisner, critique du cinéma allemand et conservatrice en chef de la Cinémathèque française, est atteinte de maladie. Convaincu que marcher jusqu'à Paris la maintiendra en vie, il entame le voyage depuis Munich avec un équipement minimal, dans un automne 74 qui se meurt en tempête.

Mais l'histoire s'arrête là. Passé le seuil du départ, en effet, les jours ne s'ordonnent pas en progression narrative ou morale. Chacun d'entre eux est une aventure autonome, une survie dissociée des autres, avec ses élans euphoriques, ses moments d'abattement, ses rencontres et ses songes. Et pourtant les épreuves demeurent inchangées : la neige et le grésil, l'effort physique, la solitude furtive, la faim, la soif, la nuit. Il y a, dans l'expérience de la marche longue, une abolition vivifiante des certitudes de la sédentarité.

D'ailleurs, Herzog laisse aussi derrière lui son occupation de cinéaste. Qu'importe d'avoir réalisé plusieurs longs-métrages, quand on traverse seul des villes inconnues ? Quand la grange n'abrite qu'une paille poussiérieuse, quand la police vous guette avec suspicion, quand les brumes de l'aurore avalent votre étonnement, et quand le lait n'a jamais été aussi désaltérant ? La marche efface sans plus de cérémonie les abstractions anesthésiantes du quotidien. Le seul choix qui s'offre est d'accepter ou non l'afflux d'expériences qui vous traversent, avec pour récompense le spectacle insensé et exaltant de l'existence.