Penser à Dave Grohl d'abord comme l'ex-batteur de Nirvana se rapproche de plus en plus de l'insulte. Depuis le suicide de Kurt Cobain il y a vingt ans, l'homme et sa tignasse noire ont multiplié les projets sans jamais s'offrir de répit. Son groupe suivant, les Foo Fighters, s'est montré prolifique en enregistrements studio comme en tournées mondiales. Ce à quoi s'ajoutent d'innombrables collaborations avec les plus grands noms du rock contemporain, ou encore la réalisation du documentaire Sound City, hommage posthume à un studio mythique de Los Angeles. Jamais fatigué, apparemment indifférent quant à la fortune qu'il a tranquillement amassée au fil des années, Dave Grohl étire maintenant Sound City pour HBO, déclinant en huit épisodes, pour huit villes, huit morceaux, sur le huitième album des FF, l'histoire et l'évolution de la musique made in USA. Sur le papier, c'est certainement très beau.
Je crois me souvenir d'un gag d'une BD populaire et peu mystérieuse où Maurice, professeur de philosophie aussi bedonnant que sympathique, quittait la classe au bout de dix minutes, « parce qu'une étude montre que, sur une heure de cours, les élèves retiennent en moyenne dix minutes de contenu. » Paye ta référence culturelle et paye ton exactitude scientifique, oui je sais, mais quoi qu'il en soit, ces mots de sagesse ont émergé des limbes de ma mémoire à la fin de plusieurs des épisodes de Sonic Highways : ou bien j'ai perdu toutes mes capacités d'étudiant, ou bien Grohl est un mauvais professeur, car je doute avoir retenu plus de cinq minutes de chacune des huit heures. Sans structure thématique ni chronologique (ou alors moitié l'un moitié l'autre, ce qui ne permet pas d'y voir plus clair mais ajoute en frustration), l'homme à la tête des Foos asperge son public d'un flot ininterrompu de données diverses et variées. Le récit de l'évolution globale de la musique d'une ville se mélange avec les anecdotes les plus détaillées, le montage explose régulièrement en une mitraille de plans sub-secondes, les témoignages virevoltent d'un sujet au suivant sans transition, pendant que le spectateur moyen tentera juste de survivre au maelström d'informations qui menace de le submerger. L'hyperbole est méritée, car Dave Grohl, en bon rocker, déborde d'énergie et de générosité. Et comme il se dirige mine de rien vers la cinquantaine, il a un tas d'histoires à raconter. Mais sa réalisation de documentaire se rapproche trop de la performance live déchaînée.
Difficile de même d'affirmer honnêtement que les tentatives de capter l'essence musicale des villes visitées pour la retranscrire dans le nouvel album aboutissent à grand-chose de concluant. Les morceaux sont diffusés à la fin de chaque épisode sous la forme de clips peu inspirés, et certes, les paroles écrites incorporent quelques gentilles allusions à certains témoignages récoltés sur place, mais de là à dire qu'ils évoquent les lieux et leur histoire... Peut-être les fans du groupe y trouveront-ils quelque satisfaction, et encore. Après tout, les enregistrements sont à l'image de l'heure qui a précédé, se rapprochant plus d'un amas d'influences et de babioles compactées que de la synthèse harmonieuse espérée. Seule réussite qui se démarque : l'épisode sur La Nouvelle-Orléans, un beau moment d'authenticité où cette odyssée de luxe semble retrouver le sens qui lui manquait. En-dehors de cette parenthèse, Nashville et New York demeurent agréables à suivre malgré leurs imperfections, et le reste a mis mon attention à fort rude épreuve.
Permettez-moi enfin de dénoncer le prétendu anti-conformisme dont Dave Grohl semble vouloir se faire le parangon. Quand on peut ouvrir les portes de n'importe quel studio, quand on peut enregistrer un album concept de ce genre, quand on peut convoquer un carnet d'adresses hallucinant pour égayer sa série documentaire de témoignages, James Murphy, Tony Visconti, Pharrell Williams, Alex Turner, Chris Martin, des Stooges, des Queens of the Stone Age, des Barack HOLY SHIT Obama, il vaut mieux abandonner toute prétention d'anti-conformité. Évidemment, Grohl n'est pas du même terreau que les One Direction, les nanas qui se dandinent sur MTV, ou je ne sais quel produit auto-tuné. Et il a le mérite de nous présenter plein d'artistes, jeunes ou anciens, qui ont percé un moment ou un autre et n'ont pas sa visibilité aujourd'hui. Cependant, sa musique actuelle n'est pas originale, ses méthodes en rien transgressives, et il ne s'intéresse pas à la nouvelle génération qui s'échine à créer sans forcément être écoutée. Que ce soit dit.
Dave Grohl est amoureux de la musique, surtout quand elle lui ressemble, et il est amoureux de son histoire, surtout quand elle a plus de vingt ans. Mais l'incapacité ou le refus de maîtriser son enthousiasme l'empêchent de mener à bien son ambitieux projet. Il faudra se contenter d'apprécier cette exaltation qui, à défaut d'accoucher d'une rétrospective indispensable, s'observe rarement à la télévision.
Des autoroutes pavées de bonnes intentions
Penser à Dave Grohl d'abord comme l'ex-batteur de Nirvana se rapproche de plus en plus de l'insulte. Depuis le suicide de Kurt Cobain il y a vingt ans, l'homme et sa tignasse noire ont multiplié les projets sans jamais s'offrir de répit. Son groupe suivant, les Foo Fighters, s'est montré prolifique en enregistrements studio comme en tournées mondiales. Ce à quoi s'ajoutent d'innombrables collaborations avec les plus grands noms du rock contemporain, ou encore la réalisation du documentaire Sound City, hommage posthume à un studio mythique de Los Angeles. Jamais fatigué, apparemment indifférent quant à la fortune qu'il a tranquillement amassée au fil des années, Dave Grohl étire maintenant Sound City pour HBO, déclinant en huit épisodes, pour huit villes, huit morceaux, sur le huitième album des FF, l'histoire et l'évolution de la musique made in USA. Sur le papier, c'est certainement très beau.
Je crois me souvenir d'un gag d'une BD populaire et peu mystérieuse où Maurice, professeur de philosophie aussi bedonnant que sympathique, quittait la classe au bout de dix minutes, « parce qu'une étude montre que, sur une heure de cours, les élèves retiennent en moyenne dix minutes de contenu. » Paye ta référence culturelle et paye ton exactitude scientifique, oui je sais, mais quoi qu'il en soit, ces mots de sagesse ont émergé des limbes de ma mémoire à la fin de plusieurs des épisodes de Sonic Highways : ou bien j'ai perdu toutes mes capacités d'étudiant, ou bien Grohl est un mauvais professeur, car je doute avoir retenu plus de cinq minutes de chacune des huit heures. Sans structure thématique ni chronologique (ou alors moitié l'un moitié l'autre, ce qui ne permet pas d'y voir plus clair mais ajoute en frustration), l'homme à la tête des Foos asperge son public d'un flot ininterrompu de données diverses et variées. Le récit de l'évolution globale de la musique d'une ville se mélange avec les anecdotes les plus détaillées, le montage explose régulièrement en une mitraille de plans sub-secondes, les témoignages virevoltent d'un sujet au suivant sans transition, pendant que le spectateur moyen tentera juste de survivre au maelström d'informations qui menace de le submerger. L'hyperbole est méritée, car Dave Grohl, en bon rocker, déborde d'énergie et de générosité. Et comme il se dirige mine de rien vers la cinquantaine, il a un tas d'histoires à raconter. Mais sa réalisation de documentaire se rapproche trop de la performance live déchaînée.
Difficile de même d'affirmer honnêtement que les tentatives de capter l'essence musicale des villes visitées pour la retranscrire dans le nouvel album aboutissent à grand-chose de concluant. Les morceaux sont diffusés à la fin de chaque épisode sous la forme de clips peu inspirés, et certes, les paroles écrites incorporent quelques gentilles allusions à certains témoignages récoltés sur place, mais de là à dire qu'ils évoquent les lieux et leur histoire... Peut-être les fans du groupe y trouveront-ils quelque satisfaction, et encore. Après tout, les enregistrements sont à l'image de l'heure qui a précédé, se rapprochant plus d'un amas d'influences et de babioles compactées que de la synthèse harmonieuse espérée. Seule réussite qui se démarque : l'épisode sur La Nouvelle-Orléans, un beau moment d'authenticité où cette odyssée de luxe semble retrouver le sens qui lui manquait. En-dehors de cette parenthèse, Nashville et New York demeurent agréables à suivre malgré leurs imperfections, et le reste a mis mon attention à fort rude épreuve.
Permettez-moi enfin de dénoncer le prétendu anti-conformisme dont Dave Grohl semble vouloir se faire le parangon. Quand on peut ouvrir les portes de n'importe quel studio, quand on peut enregistrer un album concept de ce genre, quand on peut convoquer un carnet d'adresses hallucinant pour égayer sa série documentaire de témoignages, James Murphy, Tony Visconti, Pharrell Williams, Alex Turner, Chris Martin, des Stooges, des Queens of the Stone Age, des Barack HOLY SHIT Obama, il vaut mieux abandonner toute prétention d'anti-conformité. Évidemment, Grohl n'est pas du même terreau que les One Direction, les nanas qui se dandinent sur MTV, ou je ne sais quel produit auto-tuné. Et il a le mérite de nous présenter plein d'artistes, jeunes ou anciens, qui ont percé un moment ou un autre et n'ont pas sa visibilité aujourd'hui. Cependant, sa musique actuelle n'est pas originale, ses méthodes en rien transgressives, et il ne s'intéresse pas à la nouvelle génération qui s'échine à créer sans forcément être écoutée. Que ce soit dit.
Dave Grohl est amoureux de la musique, surtout quand elle lui ressemble, et il est amoureux de son histoire, surtout quand elle a plus de vingt ans. Mais l'incapacité ou le refus de maîtriser son enthousiasme l'empêchent de mener à bien son ambitieux projet. Il faudra se contenter d'apprécier cette exaltation qui, à défaut d'accoucher d'une rétrospective indispensable, s'observe rarement à la télévision.