Powaqqatsi

un film de Godfrey Reggio (1988)

Powaqqatsi n'aurait pas marché en tant que redite de Koyaanisqatsi, et on imagine de toute façon suffisamment d'intégrité artistique au réalisateur Godfrey Reggio pour ne pas avoir cherché à reproduire son premier succès. Il est donc réjouissant de constater que, par-delà le concept du collage muet sur fond d'incantations Philip Glass-iennes, le montage a été largement démonté et re-réfléchi pour Powaqqatsi. Malheureusement, il a perdu à la fois en intensité, en lisibilité, et du coup en impact.

Au sein d'une même séquence, Reggio n'a plus peur de faire des aller-retours entre le tiers monde et l'occident, même si celui-ci reste une menace un peu lointaine, froide et cryptique. Ce grand écart n'est pas reproduit à chaque séquence, mais ça ne veut pas dire que les transitions y gagnent en netteté. Ailleurs, les questions d'eau, d'agriculture, d'élevage, de religion, de traditions communautaires, etc. se mêlent si vite que le résultat laisse pantois. Et le fait de revenir parfois à certains sujets que l'on s'imaginait épuisés par une séquence précédente n'encourage pas trop à déployer les efforts pour essayer de voir clair dans tout ça.

Plus que la dénonciation de l'auto-entretien un brin morbide de l'humanité (blague à part : y a-t-il une autre espèce capable de culpabiliser de sa propre existence ?), Reggio cherchait probablement à montrer la quantité phénoménale de ressources naturelles et d'individus vampirisés pour le confort de sociétés qui en sont largement déconnectées. Il réhabilite (si besoin était) les cultures des pays émergents, ou en tout cas restaure (pour le public) l'identité et la force de vie des ouvriers qui nous servent (mais pas que). Végétalisme ou non, on s'en fout un peu : la crainte est moins d'exploiter des espèces différentes de la nôtre, que des branches géographiquement distantes de notre propre espèce. Appelez ça post-esclavagisme si vous voulez.

Comme pour Koyaanisqatsi, Powaqqatsi n'a rien d'un appel à la révolte, mais encourage à reconnaître en nous un point de vue moins auto-centré que celui qui nous accompagne au quotidien. La vue n'est plus verticale et omnisciente, elle est dans l'ensemble transverse, à hauteur d'homme (les contre-plongées, les superpositions, les plans sur les pieds au contact de la terre, c'est assez évocateur). Et c'est dommage, mais ça marche moins bien. Le signal d'alarme retentit moins fort. La dignité n'empêche pas un certain échec.