Nocturama

un film de Bertrand Bonello (2016)

vu le 4 septembre 2016 au Luminor

Le plan de dissert parfait, copyright Bonello :

1. Définir. Ces jeunes qui arpentent le réseau RATP, de toutes origines, c'est peut-être nous, ou bien c'était peut-être nous. Et ils préparent un truc louche.

2. Expliquer. Il s'agit de la chorégraphie des pièges enfin révélés, qui aboutit à l'attentat. Un manifeste de mécontentement et de défiance, anti-consumériste et anti-étatique, appuyé à l'aide de flashbacks et de lignes de dialogue éparses mais perçantes.

3. Contredire. Dans les locaux toujours plus mythique de la Samaritaine (Carax <3), tout vole en éclat. Derrière les revendications révolutionnaires, des motivations égoïstes (vouloir être reconnu, plaire à la fille aimée, ne pas se sentir accepté...). L'indépendance d'esprit n'était aussi qu'une illusion : acide apparition du mannequin au t-shirt Nike, grimage en golden boy De Fursac, et encore un tas de phrases discrètes mais savoureuses, du genre un vieux Woody Allen où on rirait plus jaune que jamais.

4. Conclure avec une position controversée. C'est, bien sûr, la mise à mort impitoyable du groupe. La question n'est pas tant "Faut-il arrêter de comprendre ce qui se passe et leur rentrer dans le lard ?", mais plutôt "Est-on déjà arrivé à ce degré de violence et de mépris du débat ?". Je crains hélas que ce soit bien le cas, sinon au niveau institutionnel, du moins sur le plan médiatique...

Nocturama parle de la jeunesse mais aussi énormément du terrorisme, et ce n'est pas parce que Bonello a commencé à bosser sur son scénario avant Charlie que le résultat n'est pas moins pertinent aujourd'hui. Il s'abstrait presque complètement de la question religieuse, un choix judicieux qui fait horriblement défaut à la sphère publique. Il rappelle, ou clarifie, que la "radicalisation" n'est ni une transformation monstrueuse et abstraite, ni une conséquence directe de la religion. Si Daech a séduit des européens, ce n'est pas à cause de l'Islam (des idéologies radicales, on peut en construire depuis n'importe quoi), mais bien plus parce que l'organisation leur permet d'accomplir leurs propres obsessions, communément bâties sur un climat social délétère.

L'écriture la plus fine du cru 2016, doublée d'une mise en scène audacieuse qui colle aux personnages (musique, plan-séquences, démultiplication des points de vue...). Un thriller social, brave et pertinent. Bonello est tellement confiant qu'il se permet de reprendre le steadishot de The Shining. En ce qui me concerne, c'est amplement acquis.