Entre son lieu de tournage exotique et ses émanations anti-commerciales, les accrocs de la production d'Only God Forgives étaient une évidence avant même que quiconque ait posé le pied en Thaïlande. Cependant, cette situation n'était pas franchement inédite, et rien n'assurait que le film de Nicolas Winding Refn puisse faire l'objet d'un making-of notable. C'est pourtant dans ce projet que s'est vaguement lancée Liv Corfixen, compagne de NWR et mère de leurs deux enfants, dès les premiers jours qui ont suivi leur déménagement à Bangkok. Désœuvrée dans son rôle de femme de, il était à craindre que le résultat ne soit guère plus qu'un caprice à oublier au fond d'un tiroir, mais Corfixen a su retourner la situation à son avantage : sans la mettre au centre de l'action, le sujet du docu glisse lentement de Only God Forgives vers les angoisses du mari vers la remise en question du couple.
Ainsi, la rugosité de l'image et l'amateurisme de la caméra s'effacent rapidement, avec l'aide de la musique envoûtante qui a fait la renommée de Cliff Martinez, mais surtout grâce à la justesse de madame, qui n'a pas peur de mettre à nu ses tensions de couple et ses filles sans pour autant s'appuyer inconsidérément dessus (amateurs de zeugmas crados, je vous salue). Viser l'intimité sans faire voyeur, beaucoup de réalisateurs s'y cassent les dents. Réalisatrice candide et mère de famille sincère, Corfixen a suivi le flot de ses obsessions et est incidemment parvenue à trouver le juste équilibre. Drôle de moment où le génie du cinéma danois et sa femme deviennent alors monsieur et madame tout-le-monde : certes avec un appartement du 42ème étage avec une vue de bâtard, mais principalement préoccupés par le boulot, le loyer, les gosses. Le documentaire éclaire sur le processus créatif de NWR, ce qui lui permet de ne pas sombrer dans un cinéma-vérité purement auto-centré qui aurait laissé le public à la marge, mais c'est bien ses motivations mouvantes et sa prise de conscience de tensions profondes qui font et son originalité, et sa saveur.
Moi non plus, je ne savais pas trop dans quoi je m'aventurais en répondant au généreux appel des invitations SC pour cette projection, dans une salle pas piquée des hannetons qui plus est... Mais en même temps, et malgré son titre sans ambages, le docu était signé Corfixen, pas NWR, donc je ne m'excuserai pas d'avoir grillé la priorité d'un fan inconditionnel de monsieur alors que l'évènement appartenait à madame. Nonobstant le troll qui s'est emparé du micro pour demander à NWR sa définition du cinéma (pour référence, la réponse parfaite consiste en un sourire moqueur et un « yes » lapidaire), la séance de questions était d'autant plus agréable qu'elle se percevait comme la prolongation logique de la tranche de vie capturée trois ans auparavant : Liv Corfixen, toujours directe et limpide, Nicolas Winding Refn, encore songeur et réservé, mais entre eux deux une espièglerie complice, nouvelle et scintillante.
Pour être honnête, les réponses de Liv n'étaient pas follement enrichissantes, mais c'est tout à son honneur d'avoir su réaliser un film qui traduisait déjà complètement sa personnalité et ses pensées. À ses côtés, Nicolas, après une phase de mutisme mi-protocolaire, mi-amoureux, s'est progressivement ouvert aux questions des spectateurs, et s'est clairement racheté l'image de faussaire qu'une heure d'interventions confuses, évasives, et parfois hilarantes (même le beau gosse Gosling ne se prive pas de se moquer) avait presque fini par m'inspirer. C'était l'occasion de prendre l'exacte mesure de ce doute dont il se flagelle, qui lui fait perdre ses moyens et le fait flirter avec la dépression, tout en l'animant d'une vision radicale et remarquable. Je suis pas sûr que ce soit très sain de se laisser affecter à ce point par son propre perfectionnisme, mais bon, c'est difficile d'objecter pendant que le gars est en train d'écrire une page d'histoire du cinéma.
Dans tous les cas, l'interaction en direct entre Liv et Nicolas était au moins aussi pertinente que l'interaction avec le public. Au cours des dernières minutes du documentaire, le grand gourou Jodorowsky tirait les cartes et laissait planer l'incertitude sur l'avenir de leur mariage. My Life Directed by Nicolas Winding Refn est lui-même un point d'interrogation que Liv Corfixen, consciemment ou non, a adressé à son couple. C'est pas trop mes affaires, mais vu que je connaissais pas le concept de thérapie conjugale par film interposé, et que celle-ci a l'air d'avoir plutôt marché, ça donne le sourire.
Lessons in Love
Entre son lieu de tournage exotique et ses émanations anti-commerciales, les accrocs de la production d'Only God Forgives étaient une évidence avant même que quiconque ait posé le pied en Thaïlande. Cependant, cette situation n'était pas franchement inédite, et rien n'assurait que le film de Nicolas Winding Refn puisse faire l'objet d'un making-of notable. C'est pourtant dans ce projet que s'est vaguement lancée Liv Corfixen, compagne de NWR et mère de leurs deux enfants, dès les premiers jours qui ont suivi leur déménagement à Bangkok. Désœuvrée dans son rôle de femme de, il était à craindre que le résultat ne soit guère plus qu'un caprice à oublier au fond d'un tiroir, mais Corfixen a su retourner la situation à son avantage : sans la mettre au centre de l'action, le sujet du docu glisse lentement de Only God Forgives vers les angoisses du mari vers la remise en question du couple.
Ainsi, la rugosité de l'image et l'amateurisme de la caméra s'effacent rapidement, avec l'aide de la musique envoûtante qui a fait la renommée de Cliff Martinez, mais surtout grâce à la justesse de madame, qui n'a pas peur de mettre à nu ses tensions de couple et ses filles sans pour autant s'appuyer inconsidérément dessus (amateurs de zeugmas crados, je vous salue). Viser l'intimité sans faire voyeur, beaucoup de réalisateurs s'y cassent les dents. Réalisatrice candide et mère de famille sincère, Corfixen a suivi le flot de ses obsessions et est incidemment parvenue à trouver le juste équilibre. Drôle de moment où le génie du cinéma danois et sa femme deviennent alors monsieur et madame tout-le-monde : certes avec un appartement du 42ème étage avec une vue de bâtard, mais principalement préoccupés par le boulot, le loyer, les gosses. Le documentaire éclaire sur le processus créatif de NWR, ce qui lui permet de ne pas sombrer dans un cinéma-vérité purement auto-centré qui aurait laissé le public à la marge, mais c'est bien ses motivations mouvantes et sa prise de conscience de tensions profondes qui font et son originalité, et sa saveur.
Moi non plus, je ne savais pas trop dans quoi je m'aventurais en répondant au généreux appel des invitations SC pour cette projection, dans une salle pas piquée des hannetons qui plus est... Mais en même temps, et malgré son titre sans ambages, le docu était signé Corfixen, pas NWR, donc je ne m'excuserai pas d'avoir grillé la priorité d'un fan inconditionnel de monsieur alors que l'évènement appartenait à madame. Nonobstant le troll qui s'est emparé du micro pour demander à NWR sa définition du cinéma (pour référence, la réponse parfaite consiste en un sourire moqueur et un « yes » lapidaire), la séance de questions était d'autant plus agréable qu'elle se percevait comme la prolongation logique de la tranche de vie capturée trois ans auparavant : Liv Corfixen, toujours directe et limpide, Nicolas Winding Refn, encore songeur et réservé, mais entre eux deux une espièglerie complice, nouvelle et scintillante.
Pour être honnête, les réponses de Liv n'étaient pas follement enrichissantes, mais c'est tout à son honneur d'avoir su réaliser un film qui traduisait déjà complètement sa personnalité et ses pensées. À ses côtés, Nicolas, après une phase de mutisme mi-protocolaire, mi-amoureux, s'est progressivement ouvert aux questions des spectateurs, et s'est clairement racheté l'image de faussaire qu'une heure d'interventions confuses, évasives, et parfois hilarantes (même le beau gosse Gosling ne se prive pas de se moquer) avait presque fini par m'inspirer. C'était l'occasion de prendre l'exacte mesure de ce doute dont il se flagelle, qui lui fait perdre ses moyens et le fait flirter avec la dépression, tout en l'animant d'une vision radicale et remarquable. Je suis pas sûr que ce soit très sain de se laisser affecter à ce point par son propre perfectionnisme, mais bon, c'est difficile d'objecter pendant que le gars est en train d'écrire une page d'histoire du cinéma.
Dans tous les cas, l'interaction en direct entre Liv et Nicolas était au moins aussi pertinente que l'interaction avec le public. Au cours des dernières minutes du documentaire, le grand gourou Jodorowsky tirait les cartes et laissait planer l'incertitude sur l'avenir de leur mariage. My Life Directed by Nicolas Winding Refn est lui-même un point d'interrogation que Liv Corfixen, consciemment ou non, a adressé à son couple. C'est pas trop mes affaires, mais vu que je connaissais pas le concept de thérapie conjugale par film interposé, et que celle-ci a l'air d'avoir plutôt marché, ça donne le sourire.