L'apparition de la couleur dans le cinéma de Werner Herzog ne constitue en rien un jalon dans sa filmographie. Mesures contre les fanatiques semble en effet avoir été tourné avec la même insouciance que Dernières paroles, comme si Herzog et son équipe s'étaient subitement aperçu qu'ils avaient emporté leur matos en plein week-end aux courses.
À en croire les quelques lignes de générique, les responsables de la kamera ont changé. Les techniques visuelles employées suggèrent pourtant le contraire : la plupart des plans vibrent de la même artificialité impalpable qui faisait la signature de Dernière paroles, reposant sur une distanciation déstabilisante entre l'acteur et l'arrière-plan doublée d'une disposition inattendue des animaux et/ou figurants, transformés en accessoires. Comme pour cette tête de cheval immobile qui dépasse au-dessus de la porte d'un box, pendant qu'un bonhomme débite son texte deux mètres devant, insensible à cette présence incongrue. Il faut sans doute comprendre que Herzog s'est trouvé deux nouveaux cameramen, mais qu'il a toujours agi en chef opérateur.
Les interprétations et les dialogues sonnent aussi faux que la photographie, mais la démarche n'est plus percutante. En recueillant les témoignages de plusieurs employés de l'hippodrome, qui affirment protéger les chevaux de dangereux fanatiques dont le public ne verra jamais la couleur, le court-métrage simule un documentaire, mais désamorce immédiatement sa véracité avec des postures gauches, des gestuelles saugrenues, des phrasés bancals... Le vocabulaire employé, assez limité et redondant, complète l'image d'une troupe d'enfants dépassés par leurs missions et sans contrôle sur leurs désirs, convoquant de loin la folie d'Aguirre ou de Fitzcarraldo. Entre le sujet kafkaïen et la forme qui rit d'elle-même, il reste cependant difficile de déceler un quelconque propos, et encore moins d'y accorder une once de sérieux.
Le rôle le plus mémorable de Mesures contre les fanatiques, et aussi celui qui préserve le film d'une gratuité ennuyeuse, revient toutefois à un vieillard qui ne cesse de faire irruption à l'écran pour couper les tirades des différents sous-fifres. Ses apparitions en épiphore et ses répliques radotées à l'identique induisent un comique de répétition salvateur, mais le profil du personnage est encore plus bouffon et marquant. Cherchant inconsciemment à contrebalancer sa silhouette trapue, son bras manquant et sa respiration troublée, il tente d'asseoir son autorité à la fois sur les employés benêts qu'il affirme surpasser en connaissances des chevaux (quoi que ça puisse vouloir dire), mais aussi sur l'équipe de tournage à qui il ordonne de décamper. Incapable de seconder ses prétentions par la moindre argumentation, ignoré par les interviewés qui ne lui accordent ni un regard ni une réplique autant que par la caméra qui continue de tourner sans broncher, c'est le conquérant de l'inutile par excellence. Une figure qui réapparaîtra à de nombreuses reprises chez le réalisateur.
Ainsi, n'en déplaise à l'ultime minute pathétique pendant laquelle l'antihéros implore la caméra plongeante et divinisée d'observer ses actes ici-bas, l'ambition de Herzog pour Mesures contre les fanatiques semble s'arrêter à celle de Quentin Dupieux pour Wrong : revisiter des expérimentations passées dans un but essentiellement potache.
Steak de cheval
L'apparition de la couleur dans le cinéma de Werner Herzog ne constitue en rien un jalon dans sa filmographie. Mesures contre les fanatiques semble en effet avoir été tourné avec la même insouciance que Dernières paroles, comme si Herzog et son équipe s'étaient subitement aperçu qu'ils avaient emporté leur matos en plein week-end aux courses.
À en croire les quelques lignes de générique, les responsables de la kamera ont changé. Les techniques visuelles employées suggèrent pourtant le contraire : la plupart des plans vibrent de la même artificialité impalpable qui faisait la signature de Dernière paroles, reposant sur une distanciation déstabilisante entre l'acteur et l'arrière-plan doublée d'une disposition inattendue des animaux et/ou figurants, transformés en accessoires. Comme pour cette tête de cheval immobile qui dépasse au-dessus de la porte d'un box, pendant qu'un bonhomme débite son texte deux mètres devant, insensible à cette présence incongrue. Il faut sans doute comprendre que Herzog s'est trouvé deux nouveaux cameramen, mais qu'il a toujours agi en chef opérateur.
Les interprétations et les dialogues sonnent aussi faux que la photographie, mais la démarche n'est plus percutante. En recueillant les témoignages de plusieurs employés de l'hippodrome, qui affirment protéger les chevaux de dangereux fanatiques dont le public ne verra jamais la couleur, le court-métrage simule un documentaire, mais désamorce immédiatement sa véracité avec des postures gauches, des gestuelles saugrenues, des phrasés bancals... Le vocabulaire employé, assez limité et redondant, complète l'image d'une troupe d'enfants dépassés par leurs missions et sans contrôle sur leurs désirs, convoquant de loin la folie d'Aguirre ou de Fitzcarraldo. Entre le sujet kafkaïen et la forme qui rit d'elle-même, il reste cependant difficile de déceler un quelconque propos, et encore moins d'y accorder une once de sérieux.
Le rôle le plus mémorable de Mesures contre les fanatiques, et aussi celui qui préserve le film d'une gratuité ennuyeuse, revient toutefois à un vieillard qui ne cesse de faire irruption à l'écran pour couper les tirades des différents sous-fifres. Ses apparitions en épiphore et ses répliques radotées à l'identique induisent un comique de répétition salvateur, mais le profil du personnage est encore plus bouffon et marquant. Cherchant inconsciemment à contrebalancer sa silhouette trapue, son bras manquant et sa respiration troublée, il tente d'asseoir son autorité à la fois sur les employés benêts qu'il affirme surpasser en connaissances des chevaux (quoi que ça puisse vouloir dire), mais aussi sur l'équipe de tournage à qui il ordonne de décamper. Incapable de seconder ses prétentions par la moindre argumentation, ignoré par les interviewés qui ne lui accordent ni un regard ni une réplique autant que par la caméra qui continue de tourner sans broncher, c'est le conquérant de l'inutile par excellence. Une figure qui réapparaîtra à de nombreuses reprises chez le réalisateur.
Ainsi, n'en déplaise à l'ultime minute pathétique pendant laquelle l'antihéros implore la caméra plongeante et divinisée d'observer ses actes ici-bas, l'ambition de Herzog pour Mesures contre les fanatiques semble s'arrêter à celle de Quentin Dupieux pour Wrong : revisiter des expérimentations passées dans un but essentiellement potache.