Artistiquement, Park Chan-wook semble avoir défoncé toutes ses limites pour la première heure de son nouveau film, Mademoiselle. Il expose en plein jour les pulsions fétichistes qu'il fallait lire entre les lignes de Stoker, ce qui résulte en une avalanche d'objets éphémèrement transfigurés, une paire de boucles d'oreilles, un duo de gants, le lacet d'un corset, les vapeurs d'un bain, etc. Tout à fait dans cette veine, les décors de ce spectacle bien plus hypnotique que matérialiste sont surchargés de détails : multiples vases, peintures lourdes, bois sombres et sculptés... Park développe avec brio une esthétique de l'accessoire langoureuse et maximaliste, dans une série d'efforts incroyables qu'aucun réalisateur, à ma connaissance, n'était jamais parvenu à déployer. Si tant est qu'il y en eût un seul tenté de concrétiser ces obsessions-là. En injectant en plus un érotisme franc entre ses deux héroïnes, qui mute de façon incertaine entre l'amour et la complicité, Mademoiselle tient vraiment le bon bout ; en tout cas, il tenait le mien (huhu).
Et puis, quand se profile le moment d'opérer un virage pour renouveler le film, Park répond effectivement à l'appel... mais pas forcément de façon aussi satisfaisante que ce qu'il avait offert au cours de l'heure initiale. Le twist d'origine se trouve en réalité enclencher une série de retournements qui, s'ils sont cohérents et plutôt amusants à suivre, perdent en intensité avec le temps. La première partie adoptait le point de vue de Sook-hee, obsédée par les parures et les intérieurs, et la deuxième partie accompagne à son tour Hideko, mais Park ne trouve pas une esthétique aussi évocatrice et inédite que la précédente. Non qu'il ne propose rien : l'utilisation de caméra à l'épaule, de travellings suaves et de scènes de sexe nettement plus crues témoigne efficacement de l'état d'esprit d'Hideko. Mais la position échoue à paraître aussi intégrale qu'elle l'avait été pour Sook-hee, et laisse finalement l'impression que le film s'appuie principalement sur ses digressions narratives, ce qui au bout d'une heure ne manque pas de prendre une tournure un peu indigeste.
Pour sa troisième et dernière partie, s'il ne sacrifie en rien à la beauté générale de sa photographie, Mademoiselle semble malheureusement plus confus par rapport à ce qu'il souhaite construire. Le centre d'attention vogue, avec un montage légèrement trop dynamique, entre le couple et le comte, dindon de cette farce manipulatrice. Le film n'est plus capable, ou bien ne se permet plus de savourer les images ; il est emporté par son scénario, précipité vers une fin idyllique assez peu remarquable, comme si finalement il cherchait d'abord à remplir un contrat narratif commun. La scène où Sook-hee décide de rompre le culte de l'accessoire en détruisant la bibliothèque obscène que l'oncle d'Hideko contrôlait d'une main de fer aurait pu constituer à la fois une direction artistique et une thèse pour cette ultime partie, mais elle demeure trop isolée parmi les scènes de fuite, de mutilation ou de retrouvailles pour qu'il soit vraiment permis de lui accorder une signification profonde.
Alors oui, Mademoiselle frustre parce qu'il s'achève assez loin du caractère et de la puissance qu'avait réussi à convoquer sa première partie. Et la ligne entre érotisme et estampe sexuelle inutile, à part peut-être dans une veine homophile destinée à secouer la société sud-coréenne, finit par être trop souvent franchie pour complètement satisfaire. La confession de l'oncle Hideko, qui admet n'être guère plus qu'un vieux monsieur qui prend son pied avec des histoires salaces, fait même se demander si le travail de Park Chan-wook ne consiste pas à sublimer de tristes grivoiseries... Mais non ; s'il y a une part certaine de fantasme hétéro dans toute cette affaire sapho-sadique, celle-ci ne devrait pas pour autant voiler les plaisirs multiples que propose l'heure introductive. Aussi, je ferai le choix de la retenir comme une œuvre presque autonome, enluminure précise et fascinante. Gardons un peu de stoïcisme pour accueillir ces torrents hédonistes.
J'te soutire ton 07
spoilers
Artistiquement, Park Chan-wook semble avoir défoncé toutes ses limites pour la première heure de son nouveau film, Mademoiselle. Il expose en plein jour les pulsions fétichistes qu'il fallait lire entre les lignes de Stoker, ce qui résulte en une avalanche d'objets éphémèrement transfigurés, une paire de boucles d'oreilles, un duo de gants, le lacet d'un corset, les vapeurs d'un bain, etc. Tout à fait dans cette veine, les décors de ce spectacle bien plus hypnotique que matérialiste sont surchargés de détails : multiples vases, peintures lourdes, bois sombres et sculptés... Park développe avec brio une esthétique de l'accessoire langoureuse et maximaliste, dans une série d'efforts incroyables qu'aucun réalisateur, à ma connaissance, n'était jamais parvenu à déployer. Si tant est qu'il y en eût un seul tenté de concrétiser ces obsessions-là. En injectant en plus un érotisme franc entre ses deux héroïnes, qui mute de façon incertaine entre l'amour et la complicité, Mademoiselle tient vraiment le bon bout ; en tout cas, il tenait le mien (huhu).
Et puis, quand se profile le moment d'opérer un virage pour renouveler le film, Park répond effectivement à l'appel... mais pas forcément de façon aussi satisfaisante que ce qu'il avait offert au cours de l'heure initiale. Le twist d'origine se trouve en réalité enclencher une série de retournements qui, s'ils sont cohérents et plutôt amusants à suivre, perdent en intensité avec le temps. La première partie adoptait le point de vue de Sook-hee, obsédée par les parures et les intérieurs, et la deuxième partie accompagne à son tour Hideko, mais Park ne trouve pas une esthétique aussi évocatrice et inédite que la précédente. Non qu'il ne propose rien : l'utilisation de caméra à l'épaule, de travellings suaves et de scènes de sexe nettement plus crues témoigne efficacement de l'état d'esprit d'Hideko. Mais la position échoue à paraître aussi intégrale qu'elle l'avait été pour Sook-hee, et laisse finalement l'impression que le film s'appuie principalement sur ses digressions narratives, ce qui au bout d'une heure ne manque pas de prendre une tournure un peu indigeste.
Pour sa troisième et dernière partie, s'il ne sacrifie en rien à la beauté générale de sa photographie, Mademoiselle semble malheureusement plus confus par rapport à ce qu'il souhaite construire. Le centre d'attention vogue, avec un montage légèrement trop dynamique, entre le couple et le comte, dindon de cette farce manipulatrice. Le film n'est plus capable, ou bien ne se permet plus de savourer les images ; il est emporté par son scénario, précipité vers une fin idyllique assez peu remarquable, comme si finalement il cherchait d'abord à remplir un contrat narratif commun. La scène où Sook-hee décide de rompre le culte de l'accessoire en détruisant la bibliothèque obscène que l'oncle d'Hideko contrôlait d'une main de fer aurait pu constituer à la fois une direction artistique et une thèse pour cette ultime partie, mais elle demeure trop isolée parmi les scènes de fuite, de mutilation ou de retrouvailles pour qu'il soit vraiment permis de lui accorder une signification profonde.
Alors oui, Mademoiselle frustre parce qu'il s'achève assez loin du caractère et de la puissance qu'avait réussi à convoquer sa première partie. Et la ligne entre érotisme et estampe sexuelle inutile, à part peut-être dans une veine homophile destinée à secouer la société sud-coréenne, finit par être trop souvent franchie pour complètement satisfaire. La confession de l'oncle Hideko, qui admet n'être guère plus qu'un vieux monsieur qui prend son pied avec des histoires salaces, fait même se demander si le travail de Park Chan-wook ne consiste pas à sublimer de tristes grivoiseries... Mais non ; s'il y a une part certaine de fantasme hétéro dans toute cette affaire sapho-sadique, celle-ci ne devrait pas pour autant voiler les plaisirs multiples que propose l'heure introductive. Aussi, je ferai le choix de la retenir comme une œuvre presque autonome, enluminure précise et fascinante. Gardons un peu de stoïcisme pour accueillir ces torrents hédonistes.