Le voyeur

Peeping Tom

un film de Michael Powell (1960)

"British reviews tended towards the hyperbolic in negativity. Derek Hill, reviewer of the Tribune suggested that the film should be disposed of, thrown into a sewer. Yet, in his view, its stench would remain. Len Mosley writing for the Daily Express claimed that the film is more nauseating and depressing than the leper colonies of East Pakistan, the back streets of Bombay, and the gutters of Calcutta."

Haha quand même. Heureusement que Powell a vécu assez longtemps pour voir la tendance des avis s'inverser ; Peeping Tom a été tourné il y a plus de cinquante ans mais n'a rien perdu de sa puissance. Je ne sais pas s'il laissait présager, ou bien s'il a directement influencé, le cinéma d'horreur et les thrillers psychologiques des années à suivre, mais force est de constater un travail aussi méticuleux que visionnaire.

Je n'ai jamais été très convaincu par les lectures psychanalysantes de Hitchcock, considérant que Psycho et Vertigo sont des thrillers adressés au plus large public bien avant de constituer du matériel d'académicien, mais Peeping Tom représente vraiment un équilibre parfait entre ces deux finalités. L'écriture et le jeu dont profite le personnage principal, un tueur de femmes obsédé par les caméras et la captation de son environnement, sont d'une richesse rare. Le travail de mise en scène est dépeint comme un viol en puissance, et la photographie par le déviant à l'aide de sa caméra a tout de l'acte sexuel. Avec ces couleurs vibrantes et un chef op' vraiment efficace aux commandes, le résultat est un manège de sensations fortes, envoûtant en dépit de son mépris de toute morale.

Après, le fonctionnement de l'esprit d'un tueur, au fond on s'en fout un peu ; ce qui rend le film supérieur et l'expose à des interprétations sans fin, c'est surtout qu'il s'attaque à l'esprit du spectateur de l'autre côté de l'écran. Le public ne serait peut-être pas rassasié par l'exercice de la même fascination féminine morbide que le tueur, par contre il est séduit par ces personnages troublés, qui se découvrent et se déchirent, à la fois eux-mêmes et les uns par rapport aux autres. Powell a bien conscience de ça et nous tient dans sa coupe.

Tous les lieux visités portent un caractère secret, et chaque décor pénétré par un personnage est vecteur d'excitation : l'étage d'un marchand de journaux où sont pris des clichés érotiques, les coulisses et les parties techniques du studio où travaille le tueur, le premier étage où il habite en reclus, la chambre de développement au fond de son appartement... Et tout au bout de ce parcours, l'écran de projection où sont ressuscités les meurtres enregistrés, aux côtés de souvenirs tortueux d'une enfance manipulée par un père égocentrique. L'écran, source de multiples rêves et tourments, qui nous reflète et nous juge, qui soulage nos déviances tout en les glorifiant.

Et je ne parle même pas de la peur qui tient un rôle prépondérant dans l'histoire, ni de la voisine du tueur qui tente d'étancher ses vices tout en y succombant, ni de sa mère aveugle... Quelle richesse.