Le plongeon

The Swimmer

un film de Frank Perry, Sydney Pollack (1968)

Ah ben. Au bout de 30mn j'en avais marre, j'étais prêt à filer sur SC pour commencer à rédiger un commentaire cinglant dessus. Mais il y avait un truc pas net qui m'empêchait de complètement détacher mon attention. Et j'ai bien fait de rester dedans. En fait le film repose tellement sur sa trajectoire inattendue que je déconseille à ceux qui pensent le voir de lire quoi que ce soit à son sujet.

Pour les autres, disons rapidement que le film m'avait rendu presque nauséeux avec sa musique pénible, son matérialisme pesant, ses sourires artificiels, son aspect élégiaco-américain (je sais pas comment appeler ça, mais c'est quelque chose qu'on trouve particulièrement dans les documentaires portraits : un abus de comparatifs, de superlatifs, de 'best ever', de 'wonderful', d'accentuation insistante et limite agressive dans son dévouement à la cause en question). Avec ça le perso principal est pas une lumière, il débarque chez les gens pour faire trois brasses dans leur piscine, puis il se fait la malle tranquille. Tout le monde l'accueille avec un grand sourire ou presque, alors qu'il a l'air de n'avoir vu aucun de ses potes en dix ans, genre le gars a été kidnappé par des extraterrestres et il n'a aucune conscience qu'on lui a effacé la mémoire quand il est rebalancé sur terre plusieurs années après.

Mais bref, si vous avez vu le film, vous savez que cette ambiance écœurante non seulement ne dure pas, mais est essentielle au dispositif narratif. Quelque part entre l'Odyssée d'Homère et l'Enfer de Dante, le périple de Burt Lancaster d'une piscine à la suivante prend des teintes de plus en plus troubles. Le passage abrupt du manège à cheval risible et bucolique à la séduction limite pédophile n'est après tout qu'un résumé grossissant de la trajectoire du film, depuis le charme artificiel et horripilant des suburbs américains (genre Burton de la belle époque en plus subtil) à la solitude désespérée et pathétique d'un homme émotionnellement mort. En soi, l'idée de l'enlèvement par les extraterrestres n'était pas si débile : le perso, qu'on imagine avoir été dévasté par une séparation et/ou la mort d'un proche, semble avoir été délesté au passage de toute conscience de lui-même. Son ego n'a plus de barrière, il n'agit qu'en fonction de ses impulsions, il se voit "noble et splendide" mais son indépendance extrême l'a changé en paria. Le fait de retrouver Lancaster deux jours après l'excellent Sweet Smell of Success est une complète coïncidence ; j'aurais encore moins parié sur le fait que son personnage y soit plus déviant et complexe, et pourtant...