Le nouveau monde

un film de Alain Corneau (1995)

vu le 24 septembre 2016
à la Filmothèque du Quartier Latin

Il ne me manquait plus qu'un Malick. Comme tous ses autres films, je suis heureux d'avoir attendu une réédition en salle. Comme tous les autres aussi (à l'exception peut-être de The Thin Red Line), je suis admiratif devant le travail accompli, et je suis un peu touché par ce qui se déroule sous mes yeux, mais je me sens glisser sur ce qui se passe, et je regrette de ne pas atteindre l'état de pensée idéal pour recevoir au mieux cette délicatesse poétique.

C'est que derrière la "poésie" évidente (un mot qui dit tout et son contraire), derrière la douceur omnisciente, derrière le lyrisme magnifique auxquels s'arrêtent nombre de critiques enjoués (non que je le leur reproche, mais je ne saurais m'en satisfaire), il y a une pensée dans laquelle, décidément, je ne me retrouve pas. J'avais déjà dénoncé la culpabilisation religieuse et la misanthropie qui parcouraient Badlands et Days of Heaven. Dans The New World, après The Thin Red Line, Malick confirme que son hiatus de vingt ans lui a permis de se détacher de ses pensées les plus négatives, à mon grand bonheur. Mais sa nouvelle passion, un certain "état de nature", me laisse un peu de marbre.

D'où venons-nous, qui sommes-nous, pourquoi avons-nous accompli ceci plutôt que cela : c'est sans ironie et avec respect que j'affirme que Malick s'attaque à ces vastes questions avec une sagacité aussi large et étonnante que le budget qui est alloué à ses projets. Et je ne dis pas que ces interrogations ne m'intéressent aucunement, mais Malick se montre obsédé par le passé (originel et fictif, ça me va) au point d'ignorer le pouvoir d'action de l'homme sur son présent, et de complètement rayer de ses personnages la notion d'avenir. Il n'y a qu'à voir la résignation évidente avec laquelle Smith accepte de prendre le contrôle de la colonie, alors qu'il meurt d'envie de batifoler dans les blés avec Pocahantas. Je vais pas dire que je suis résolument tourné vers le futur, mais ça fait quand même trop pour moi.

Je viens de lire que certains avaient cherché à évaluer l'exactitude historique de la représentation des amérindiens, et j'ai ri. Je sais que j'ai l'habitude de vivre dans les abstractions, mais ce raisonnement est tellement absurde que je ne l'avais pas envisagé une seconde. The New World est fait pour être commenté à travers les concepts d'état de nature, de contrat social, de bon sauvage... Et puis il y aurait de quoi discuter de l'influence de la pensée chrétienne sur tout ça, aussi. Mais, comme je le disais, ça ne recoupe pas mes thèmes de prédilection. Alors le film ne s'adresse pas à moi, mais je conseille quand même chaudement.

(Sinon Q'orianka Kilcher avait 14 ans pendant le tournage, c'est fou.)