Les mots sont des poignards dans cet incontournable du film noir, signé Alexander Mackendrick. Et si ma note n'est pas optimale, elle ne fait que traduire des réserves que j'ai sur le genre en général : j'insiste sur le fait que c'en est bel et bien un sommet, et j'encourage vivement tous les intéressés à mettre la main dessus malgré sa discrète réputation.
Difficile d'imaginer les tensions entre le studio et le réalisateur, face à un tel accomplissement technique et narratif. La photo et les jeux d'ombre sont splendides et inquiétants, mais jamais poseurs. Dans le premier tiers du film particulièrement, la caméra est nerveuse, tendue, elle décrit des angles circulaires vifs qui accrochent aux personnages ; c'est un dispositif qui installe un sentiment d'oppression et de malaise très insidieux. Il y a par ailleurs une conscience aiguë des décors intérieurs, qui semble capturer et révéler tous les vices de New York qu'on soupçonnait sans jamais voir.
Et pourtant, c'est encore le script qui, délivré page par page au réalisateur en plein tournage, fait le succès de Sweet Smell of Success. Les canons du genre sont absents : pas de mort, pas d'enquête, pas de femme fatale... Le personnage principal ne mérite même pas d'être qualifié d'anti-héros : prêt à vendre le corps d'une amie et à pousser au suicide une jeune fille, bien plus égoïste qu'inconscient, opportuniste jusqu'à la nausée, c'est une ordure irrécupérable. Tony Curtis s'est appliqué à casser son rôle de gentil garçon, et son journaliste des bas-fonds est glaçant. Partageant l'affiche, Burt Lancaster n'est pas moins loti ni dérangeant : chroniqueur influent, prince des manipulations, égocentrique, méprisant, incestueux (?). L'interprétation est tellement implacable que le film se départit complètement du paradigme, divertissant mais un peu vain au fond, qu'il s'agit d'un personnage présent pour que le public "adore le détester".
Une histoire de chantage donc, salement humaine, peut-être passionnelle mais d'un amour déviant et malsain, où les journalistes semblent vouloir mettre à sac New York, asseoir leur pouvoir enflé sur une ville qu'ils se régalent de brûler. Les mots coupent comme des rasoirs, les dialogues s'échangent comme des volées de dards empoisonnés. Au croisement entre Sorkin et Mike Leigh (pour Naked), les échanges sont millimétrés, acides et constamment colorés ('starting today, you could play marbles with his eyeballs'), mais gardent constamment cette franchise féroce et écorchée. Savoureux, grinçant, et surtout terriblement crédible.
Il en fallait beaucoup pour me faire avaler un film si ouvertement corrompu. Je pense que la clé réside en l'espoir vacillant mais persistant d'une poignée de rôles secondaires... Quoi qu'il en soit, Mackendrick, à qui je reprochais un peu trop de légèreté dans The Ladykillers, m'a franchement impressionné.
Les mots sont des poignards dans cet incontournable du film noir, signé Alexander Mackendrick. Et si ma note n'est pas optimale, elle ne fait que traduire des réserves que j'ai sur le genre en général : j'insiste sur le fait que c'en est bel et bien un sommet, et j'encourage vivement tous les intéressés à mettre la main dessus malgré sa discrète réputation.
Difficile d'imaginer les tensions entre le studio et le réalisateur, face à un tel accomplissement technique et narratif. La photo et les jeux d'ombre sont splendides et inquiétants, mais jamais poseurs. Dans le premier tiers du film particulièrement, la caméra est nerveuse, tendue, elle décrit des angles circulaires vifs qui accrochent aux personnages ; c'est un dispositif qui installe un sentiment d'oppression et de malaise très insidieux. Il y a par ailleurs une conscience aiguë des décors intérieurs, qui semble capturer et révéler tous les vices de New York qu'on soupçonnait sans jamais voir.
Et pourtant, c'est encore le script qui, délivré page par page au réalisateur en plein tournage, fait le succès de Sweet Smell of Success. Les canons du genre sont absents : pas de mort, pas d'enquête, pas de femme fatale... Le personnage principal ne mérite même pas d'être qualifié d'anti-héros : prêt à vendre le corps d'une amie et à pousser au suicide une jeune fille, bien plus égoïste qu'inconscient, opportuniste jusqu'à la nausée, c'est une ordure irrécupérable. Tony Curtis s'est appliqué à casser son rôle de gentil garçon, et son journaliste des bas-fonds est glaçant. Partageant l'affiche, Burt Lancaster n'est pas moins loti ni dérangeant : chroniqueur influent, prince des manipulations, égocentrique, méprisant, incestueux (?). L'interprétation est tellement implacable que le film se départit complètement du paradigme, divertissant mais un peu vain au fond, qu'il s'agit d'un personnage présent pour que le public "adore le détester".
Une histoire de chantage donc, salement humaine, peut-être passionnelle mais d'un amour déviant et malsain, où les journalistes semblent vouloir mettre à sac New York, asseoir leur pouvoir enflé sur une ville qu'ils se régalent de brûler. Les mots coupent comme des rasoirs, les dialogues s'échangent comme des volées de dards empoisonnés. Au croisement entre Sorkin et Mike Leigh (pour Naked), les échanges sont millimétrés, acides et constamment colorés ('starting today, you could play marbles with his eyeballs'), mais gardent constamment cette franchise féroce et écorchée. Savoureux, grinçant, et surtout terriblement crédible.
Il en fallait beaucoup pour me faire avaler un film si ouvertement corrompu. Je pense que la clé réside en l'espoir vacillant mais persistant d'une poignée de rôles secondaires... Quoi qu'il en soit, Mackendrick, à qui je reprochais un peu trop de légèreté dans The Ladykillers, m'a franchement impressionné.