Les mots manquent pour commenter La Loi de la jungle. Ou plutôt, ils n'y suffiraient pas. Écrire sur un tel film revient, pour reprendre l'analogie qu'ont proposée Peretjatko et Macaigne à l'issue de la séance, à essayer d'expliquer une bonne blague. Ceux qui l'ont comprise n'ont aucunement besoin de s'enticher de telles lourdeurs sémantiques. Quant aux autres, qu'ils finissent, à force d'efforts de la part de leur interlocuteur, à la comprendre ou non, ils n'en profiteront jamais avec la spontanéité et l'étincelle de compréhension qui caractérisent les plaisanteries réussies. Nonobstant, une question demeure : la blague vaut-elle le déplacement ? Je laisse les broutilles ci-dessous pour permettre aux indécis d'en juger.
La Loi de la jungle est en tout premier lieu une farce fanfaronnante, dévouée sans repentir au plaisir instantané de son public. Contrairement aux dernières comédies les plus prospères au box-office français, elle ne simule aucune trame de fond sur le racisme ou l'antisémitisme qui se terminerait dans une célébration béate de la bonté humaine universelle, de l'acceptation des peuples, de la guérison du cancer et du p'tit déj servi au lit. Pourquoi s'inventer des excuses boiteuses quand le partage de gags purs et simples suffirait déjà à ravir le spectateur ? Une foi complète en les pouvoirs du rire, sans maladroite ambition sociale : la voilà, la véritable décomplexion cinématographique.
Le risque d'une telle démarche, c'est la surdose. Radical, Antonin Peretjatko n'a pas voulu se contenter de moins d'une idée par plan, et le rythme qui en résulte est tellement intense que, sans nul doute, certains y verront une agressivité humoristique épuisante. De mon côté, au contraire, j'ai trouvé le défi vivifiant. L'énergie débridée et la fluidité extrême de l'ensemble m'ont rappelé l'ambitieux et remuant Why Don't You Play in Hell? de Sion Sono. Cette rapidité d'exécution est par ailleurs équilibrée par l'attachement qu'inspire l'improbable couple de héros.
C'est que Peretjatko ne se contente pas de croire comme pas permis en la comédie ; plus largement, c'est un amoureux du cinéma, qui sait en exploiter les possibilités pour que la transcription visuelle du scénario ne tourne pas à l'énumération de blagues séquentielle et fastidieuse. Après La fille du 14 juillet, il confirme en particulier que le montage tient une part essentielle dans son travail. Parfois il s'agit d'alterner des angles et des profondeurs de champ, et le montage est un vecteur de gag. Parfois il s'agit d'orchestrer des faux raccords, en matière de temps et de position des acteurs, et le montage, traditionnellement intangible et transparent, devient l'essence même du gag. Dans tous les cas, l'approche est fraîche et délicieuse.
Non que La Loi de la jungle se départisse pour autant d'influences reculées. Entre la générosité de Jacques Tati et l'impétuosité de Louis de Funès, évidentes à défaut d'être partout vénérées (et je plains ceux qui se refusent ces plaisirs), l'expédition dans la forêt guyanaise et au fin fond du non-sens se teinte de l'esprit d'aventure d'un Homme de Rio de Philippe de Broca, ravivé auprès du public actuel grâce aux OSS 117 décalés de Michel Hazanavicius. Et puis la dynamique du couple principal et l'impertinence du montage ne sont pas sans évoquer une légèreté bienheureuse tirée de la Nouvelle Vague, nulle part ailleurs mieux incarnée qu'en ces intertitres papillonnants.
Enfin, si je n'ai pas pu m'empêcher d'évoquer les personnages à plusieurs reprises déjà, c'est que l'enthousiasme des acteurs imprègne l'expédition du début à la fin. De retour devant la caméra de Peretjatko, Vincent Macaigne, le passionné maladroit barbu comme un gros nounours, et Vimala Pons, l'amazone sensible, l'Anna Karina des années 2010, à peine distraits par la boue et les mygales pas mimis, témoignent d'une alchimie drôle et envoûtante. Les rôles secondaires ne sont pas en reste, tout particulièrement l'huissier maniaque de Fred Tousch, qui distribuerait des fessées notariales à n'importe quel pseudo-héros Marvel, ainsi que le bureaucrate péremptoire de Mathieu Amalric, mais celui-là ne compte pas trop vu qu'Amalric est incapable de rater la moindre interprétation.
Même si la surprise n'est pas aussi forte qu'à la sortie de La fille du 14 juillet, le retour naturel et débonnaire de Peretjatko m'a fait rire et sourire autant que je l'espérais. Entre Gaz de France, Ma Loute et La Loi de la jungle, l'année 2016 est d'ores et déjà à marquer d'une pierre blanche pour la comédie française. Rappelez-moi juste de partir en vacances avant Camping 3 et ce sera parfait.
Sous les pavés, la boue et les crocos
Les mots manquent pour commenter La Loi de la jungle. Ou plutôt, ils n'y suffiraient pas. Écrire sur un tel film revient, pour reprendre l'analogie qu'ont proposée Peretjatko et Macaigne à l'issue de la séance, à essayer d'expliquer une bonne blague. Ceux qui l'ont comprise n'ont aucunement besoin de s'enticher de telles lourdeurs sémantiques. Quant aux autres, qu'ils finissent, à force d'efforts de la part de leur interlocuteur, à la comprendre ou non, ils n'en profiteront jamais avec la spontanéité et l'étincelle de compréhension qui caractérisent les plaisanteries réussies. Nonobstant, une question demeure : la blague vaut-elle le déplacement ? Je laisse les broutilles ci-dessous pour permettre aux indécis d'en juger.
La Loi de la jungle est en tout premier lieu une farce fanfaronnante, dévouée sans repentir au plaisir instantané de son public. Contrairement aux dernières comédies les plus prospères au box-office français, elle ne simule aucune trame de fond sur le racisme ou l'antisémitisme qui se terminerait dans une célébration béate de la bonté humaine universelle, de l'acceptation des peuples, de la guérison du cancer et du p'tit déj servi au lit. Pourquoi s'inventer des excuses boiteuses quand le partage de gags purs et simples suffirait déjà à ravir le spectateur ? Une foi complète en les pouvoirs du rire, sans maladroite ambition sociale : la voilà, la véritable décomplexion cinématographique.
Le risque d'une telle démarche, c'est la surdose. Radical, Antonin Peretjatko n'a pas voulu se contenter de moins d'une idée par plan, et le rythme qui en résulte est tellement intense que, sans nul doute, certains y verront une agressivité humoristique épuisante. De mon côté, au contraire, j'ai trouvé le défi vivifiant. L'énergie débridée et la fluidité extrême de l'ensemble m'ont rappelé l'ambitieux et remuant Why Don't You Play in Hell? de Sion Sono. Cette rapidité d'exécution est par ailleurs équilibrée par l'attachement qu'inspire l'improbable couple de héros.
C'est que Peretjatko ne se contente pas de croire comme pas permis en la comédie ; plus largement, c'est un amoureux du cinéma, qui sait en exploiter les possibilités pour que la transcription visuelle du scénario ne tourne pas à l'énumération de blagues séquentielle et fastidieuse. Après La fille du 14 juillet, il confirme en particulier que le montage tient une part essentielle dans son travail. Parfois il s'agit d'alterner des angles et des profondeurs de champ, et le montage est un vecteur de gag. Parfois il s'agit d'orchestrer des faux raccords, en matière de temps et de position des acteurs, et le montage, traditionnellement intangible et transparent, devient l'essence même du gag. Dans tous les cas, l'approche est fraîche et délicieuse.
Non que La Loi de la jungle se départisse pour autant d'influences reculées. Entre la générosité de Jacques Tati et l'impétuosité de Louis de Funès, évidentes à défaut d'être partout vénérées (et je plains ceux qui se refusent ces plaisirs), l'expédition dans la forêt guyanaise et au fin fond du non-sens se teinte de l'esprit d'aventure d'un Homme de Rio de Philippe de Broca, ravivé auprès du public actuel grâce aux OSS 117 décalés de Michel Hazanavicius. Et puis la dynamique du couple principal et l'impertinence du montage ne sont pas sans évoquer une légèreté bienheureuse tirée de la Nouvelle Vague, nulle part ailleurs mieux incarnée qu'en ces intertitres papillonnants.
Enfin, si je n'ai pas pu m'empêcher d'évoquer les personnages à plusieurs reprises déjà, c'est que l'enthousiasme des acteurs imprègne l'expédition du début à la fin. De retour devant la caméra de Peretjatko, Vincent Macaigne, le passionné maladroit barbu comme un gros nounours, et Vimala Pons, l'amazone sensible, l'Anna Karina des années 2010, à peine distraits par la boue et les mygales pas mimis, témoignent d'une alchimie drôle et envoûtante. Les rôles secondaires ne sont pas en reste, tout particulièrement l'huissier maniaque de Fred Tousch, qui distribuerait des fessées notariales à n'importe quel pseudo-héros Marvel, ainsi que le bureaucrate péremptoire de Mathieu Amalric, mais celui-là ne compte pas trop vu qu'Amalric est incapable de rater la moindre interprétation.
Même si la surprise n'est pas aussi forte qu'à la sortie de La fille du 14 juillet, le retour naturel et débonnaire de Peretjatko m'a fait rire et sourire autant que je l'espérais. Entre Gaz de France, Ma Loute et La Loi de la jungle, l'année 2016 est d'ores et déjà à marquer d'une pierre blanche pour la comédie française. Rappelez-moi juste de partir en vacances avant Camping 3 et ce sera parfait.