La ligne rouge

The Thin Red Line

un film de Terrence Malick (1998)

vu le 18 août 2016
à la Filmothèque du Quartier Latin

Un des derniers grands films de guerre que je ne connaissais pas ; manquement réparé à l'occasion de la splendide réédition actuelle. Terrence Malick ne m'a pas toujours convaincu, que ce soit pour sa Balade Sauvage misanthrope ou son Knight of Cups maquillé de symboliques comme un camion volé. Mais The Thin Red Line, c'est à peu près parfait.

Il y a quand même du mérite à parvenir à m'accrocher à mon siège pendant trois heures alors que j'ai déjà eu droit en long, en large et en travers à cent témoignages comme quoi la guerre c'était sale et moche. Au cours de la projection, je me suis demandé comment le genre pouvait être dépassé, comment réaliser une œuvre militante qui ne faisait pas que montrer le fait accompli, mais cherchait les origines du mal et tentait de les enrayer. J'ai, du coup, repensé à Full Metal Jacket, qui accorde une moitié de son temps à présenter les fondements idéologiques de l'armée américaine. Kubrick, je m'en aperçois sur le tard, s'était déjà chargé de répondre à ma question.

Chez Malick, l'affaire est évidemment plus mystique. Le film s'ouvre sur un bout de terre mélanésien aux reflets paradisiaques, eden-esques plus précisément. Le déserteur américain qui s'est fait une place parmi les indigènes ne tarde pas à être rattrapé par l'armée et envoyé sur l'île de Guadalcanal, qui a vu parmi les affrontements les plus sanglants de la Seconde guerre mondiale. Par moments, la violence est exposée de plein fouet, mais régulièrement, Malick tient aussi à montrer un lézard sur un arbre, le soleil à travers une feuille, une colline verdoyante qui s'illumine à la faveur d'un nuage déplacé... Avant les premiers affrontements, les séquences s'enchaînent sur des fondus extrêmement doux, et progressivement le montage se fait de plus en plus dur. De même, l'excellent accompagnement arrangé par Hans Zimmer se peuple peu à peu de rythmes anxieux et tendus, sans jamais pour autant tomber dans l'artillerie lourde des chœurs habituels.

Une question taraude le texan : est-ce que l'horreur de la guerre était inscrite dès le départ dans la nature, où est-ce qu'elle trouve une origine singulière chez l'homme ? En somme, l'homme est-il seul responsable de sa propre déchéance ? Il ne faut pas attendre de réponse claire, mais le débat fait rage tout du long. La colline qui est le sujet de l'assaut central du film est tellement discutée et montrée qu'elle devient presque complice de ce qu'il s'y accomplit. À côté de ça, il y a tellement de plans sereins et immaculés, à opposer à ces visages boueux et sanglants... Pour Malick, cette corruption profonde se répand comme un virus (qui touche d'ailleurs les mélanésiens dans une des dernières scènes), et les séquences d'assaut au rythme accéléré ressemblent à la fois à des spasmes de laideur et à des saignées de soulagement.

Je ne sais pas si l'ampleur épique de l'ensemble ne désamorce pas un peu sa portée, mais je pense qu'il y a aussi beaucoup à lire dans le monologue de Nick Nolte, qui révèle les frustrations d'un lieutenant-colonel et montre à quel point son égocentrisme l'aveugle. Face à la violence qu'il perpétue, Staros ne sait réagir autrement que par un silence interloqué, et un regard moins accusateur qu'apitoyé, à vrai dire.

Quel que soit l'avis de Malick (s'il en a un définitif), j'apprécie son choix de maintenir une lueur d'espoir d'un bout à l'autre du film. Même lorsque le soldat Witt rencontre son destin, avec son visage de rêveur et ses yeux d'un bleu libre et perçant, j'avais la sensation d'avoir reçu quelque chose, et que c'était à mon tour de le défendre.