Kwaidan

Kaidan

un film de Masaki Kobayashi (1964)

Kwaidan est très clair sur son ambition : partager quatre histoires folkloriques, un poil horrifiques, de celles qu'on raconte au coin du feu, avec des frissons en chemin et une chute mémorable pour conclure. Or, mon souci par rapport à cette démarche, c'est que ça ne me laisse rien à attendre sur le fond : aucun message, aucune révélation personnelle ; avant tout, une expérience instantanée, éphémère, et amenée à rapidement s'évanouir (ou du moins perdre l'essentiel de sa puissance) arrivé au bout des trois heures de voyage. Et moi, en général, les films qui me laissent inchangé, même quand c'est efficacement composé, j'objecte.

Et Kwaidan m'a donné tort. Déjà parce que c'est plus qu'efficacement composé, c'est proprement magnifique. Les décors et les éclairages, radicalement expressionnistes, étoffent les personnages, leurs tourments, leurs sentiments, tout en rendant justice à une culture nationale exceptionnelle. Kobayashi maîtrise les histoires qu'il raconte et leurs forces intrinsèques : il choisit très judicieusement de réduire les prises de son pour distiller calmement certaines ambiances tout en gardant la possibilité de virages d'angoisse, brusques et dissonants ; et à l'opposé de cette sensibilité (du moins dans mes repères), sa gestion des lumières est extrêmement théâtrale, au point d'opérer régulièrement à de nettes variations de sources et de couleurs au sein d'un même plan.

Sur ce dernier point, je trouve d'ailleurs dommage que trop peu de réalisateurs s'aventurent à ce genre de procédé. Particulièrement dans le registre fantastique, quand le spectateur sait qu'il doit quoi qu'il arrive faire preuve d'ouverture, la pratique de tels artifices constitue moins un risque de briser sa suspension d'incrédulité, qu'une chance de le guider avec plus de passion dans l'univers qu'il découvre.

Par ailleurs, au-delà de la mise en scène exceptionnelle, Kwaidan m'a un peu cueilli sur le plan de l'émotion. Je ne m'y attendais pas du tout, mais la dimension résolument fantastique du film m'a aidé à dépasser mes indispositions contre le genre jidaigeki (oui, c'est un mot que je viens d'apprendre, mais ça me manquait depuis des années). Alors que le Yojimbo de Kurosawa m'avait récemment laissé de marbre, le contexte irréel de ces historiettes m'a aidé à embrasser leur dimension tragique, qu'il s'agisse de l'arriviste assailli de regrets suite à l'abandon de sa première femme, ou du jeune artiste de biwa sous la coupe des esprits d'un cimetière (eux-mêmes tourmentés par un drame guerrier légendaire). C'est simple, essentiel, beau. Et, en définitive, ça méritait complètement que je m'y abandonne.