Jersey Boys

un film de Clint Eastwood (2014)

vu le 18 juin 2014 à l'UGC Les Halles

Poussiéreux

Clint Eastwood, qui nous avait offert l'inattendu J. Edgar avant de prendre une pause dans l'enchaînement effréné de ses réalisations, revient après trois ans avec ce portrait d'un groupe particulièrement célèbre dans les années 60, les Four Seasons. Triste retour. Jersey Boys s'avère farci de mauvais gimmicks hollywoodiens, et nappé d'une sauce réactionnaire repoussante.

Le film démarre en mettant en scène des acteurs proches de la quarantaine dans le rôle de gamins de 16 ans. Maladroit et un peu cliché, pourra-t-on se dire à premier abord. Le spectateur comprend vite que ces acteurs l'accompagneront pendant toute la durée du film, jusqu'aux retrouvailles (forcées) à 70-80 ans. Du coup, conserver ces acteurs vient appuyer le sous-texte de l'histoire, de façon sensée quoique grossière : ces gars-là sont restés les mêmes italo-américains d'un bout à l'autre de leurs vies. Et effectivement, ils ont exactement les mêmes personnalités au début comme à la fin du film, et ne grandissent pas malgré toutes les leçons de vie qu'ils auraient pu assimiler. Ils s'accrochent fièrement à des conceptions sociales absurdes (le brave Frankie qui refuse de laisser tomber un complet tocard), ignorent toutes les remises en question (Tommy qui ne capte pas un mot de ce qu'on lui déballe), se complaisent dans un immobilisme vaseux.

Si à la limite ces quatre-là étaient sympathiques. Hélas, ils inspirent au mieux de l'indifférence, au pire du dégoût (Tommy, constamment en mal d'affirmer sa masculinité...). Leur vraie-fausse success story a déjà été racontée mille fois et manque cruellement de saveur. Elle se démarque à la limite avec la voix de Frankie Valli, que j'ai le malheur d'avoir trouvée nasillarde et peu à mon goût dès les premières notes, mais pas pour le reste de son parcours. Sa résurrection surprise en père parfait et sensible, mais qui a quand même la mafia dans la main pour se faire livrer sa fille dans un bar, était assez offensante pour qui se souciait de la cohérence du récit. Sur un sujet annexe, les femmes qui gravitent autour d'eux sont plus artificielles et objets les unes que les autres, à l'exception de la journaliste amante de Frankie (seul personnage réel et pensant ?), d'une ex-allumeuse aigrie et agressive qui enchaîne les pilules, et d'une nonne qui rote. Il faut espérer qu'Eastwood ait d'abord voulu retranscrire la façon dont les membres du groupe voyaient le sexe opposé, car si le film reflète sa propre pensée il y a de quoi être atterré par l'arriérisme du bonhomme.

Bref, oublié, le détail de l'âge des acteurs : il y a un gros problème général de fond. Même s'il ne renie pas leurs tares, Eastwood a fait le choix de filmer ces quatre gus et célèbre au moins implicitement leurs actions, sans une touche de l'indispensable recul qui peut être trouvé dans Les Soprano ou les films de Scorsese. Comme si c'était déjà pas assez de peindre des années 60 fantasmées, sous couvert d'une nostalgie fort discutable. Perso, ça me hérisse le poil.

Pour faire naître un peu d'empathie chez le spectateur, Eastwood tente d'exploiter de bonnes vieilles techniques de l'industrie. Ses personnages alignent les blagues en mode automatique, mais de nombreuses répliques sérieuses manquent déjà de naturel, alors bon, faire rire, c'est pas gagné. Cela dit, la narration effectuée en brisant le quatrième mur est sans doute pire. Anachronique et impropre à être partagée entre trois personnages, elle n'apporte surtout absolument rien au récit la plupart du temps. A de nombreuses reprises le spectateur se fait raconter strictement ce qui est mis en image sur l'écran. Il y a de quoi se sentir insulté.

Pour compléter le tableau, le scénario enchaîne les ellipses sales afin de faire tenir un maximum de drama sur la durée du film. Et se permet paradoxalement un flash-back très artificiel. A ce titre, la technique d'Eastwood est d'une qualité vraiment discutable. Sa caméra parvient bien à capturer un ou deux éclats de grâce très isolés, mais son classicisme est aussi irréprochable que plat et pesant, d'une neutralité cinématographique choquante pour un vieux roublard pareil. Depuis bien des années, il est autant enlisé dans sa forme que dans son propos. Peut-être que je vais finir par ôter mes yeux de son boulot.