P'tit Quinquin et Ma Loute ont prouvé à tout le monde que Dumont avait un caractère bien trempé et ne craignait pas d'être radical. Son problème dans Jeannette, c'est qu'il n'a tellement plus peur de rien qu'il confond long-métrage et travail de recherche. La production se laisse distraire par toutes les improvisations possibles : des compositions écrites plutôt à l'arrache, deux jumelles castées pour un seul personnage, un garçon qui rappe parce qu'il ne savait pas chanter, des difficultés pour faire des chorés dans le sable des décors, etc. Le résultat se raccroche follement, désespérément, éhontément, au "feeling" du cinéaste. Sa mise en scène n'est pas un accomplissement, pas un travail déroulé, mais plutôt la résonance brute de son oreille artistique interne.
Ceux qui partagent sa sensibilité, et notamment sa capacité surnaturelle à trouver de la beauté dans tout ce qu'il croise, seront à leur place... Mais il faut quand même la chercher loin (en soi). Pour Dumont tout a l'air facile, autant ses décors pastoraux que les fausses notes des chanteurs, autant l'inaudibilité des paroles que le visage charmant de ses actrices, à ses yeux tout est magnifique. Dans sa tête il transforme notamment, à un niveau subliminal, chaque erreur en beauté "poétique" et "spirituelle", celle qu'on est bien aise de déclarer irrationnelle, parce qu'on ne saurait pas la défendre face à ceux qui chercheraient à la remettre en question. Il oublie peut-être l'avantage d'avoir discuté pendant plusieurs semaines avec ses interprètes, et de connaître la région de tournage à un niveau intime... Seulement, sans cette positivité extrême dès la ligne de départ, une fois que la surprise et l'humour se sont (rapidement) taris, difficile de ne pas soupirer devant les nonnes qui font du headbang et les fillettes qui récitent leurs dialogues comme des écolières pressées et maladroites.
Je ne dis pas que cette beauté n'existe pas. Au contraire, la capacité qu'a la musique à porter des émotions littéralement indescriptibles relève de l'évidence, pour tous ceux qui ont creusé un minimum leur propre goût. Les mécanismes de partage de la poésie sont, il me semble, plutôt similaires. Et je me réjouis d'habitude quand le cinéma tend vers ce dialogue direct et inconscient avec le public. Seulement je m'interroge : en mariant le mysticisme fervent d'un auteur nationaliste, les beats belligérants d'un musicien baroque-breakcore, et l'ingénuité d'interprètes jeunes et non professionnels... à partir de quel moment peut-on dire que Dumont en fait des tonnes pour essayer de générer un état de pensée exceptionnellement spécifique ? Et comment alors l'excuser pour cet étalage terriblement poussif, si déréglé soit-il, alors que je ne parviens même pas à croire en l'existence (et a fortiori la pertinence) de l'abstraction qu'il poursuit ? J'accepte de constater que le sentiment proposé n'existe pas en moi, mais je m'estime aussi en droit de juger l'orgueil du réalisateur plutôt pénible.
À travers Jeannette, Dumont voudrait qu'on voie ce qu'il pense. J'espère qu'il se rappellera, la prochaine fois, qu'on voit d'abord ce qu'il filme.
Dumont entend des voix
Est-ce que vous verrez jamais ça ailleurs ? Non.
Est-ce que ça vous touchera ? Probablement pas.
P'tit Quinquin et Ma Loute ont prouvé à tout le monde que Dumont avait un caractère bien trempé et ne craignait pas d'être radical. Son problème dans Jeannette, c'est qu'il n'a tellement plus peur de rien qu'il confond long-métrage et travail de recherche. La production se laisse distraire par toutes les improvisations possibles : des compositions écrites plutôt à l'arrache, deux jumelles castées pour un seul personnage, un garçon qui rappe parce qu'il ne savait pas chanter, des difficultés pour faire des chorés dans le sable des décors, etc. Le résultat se raccroche follement, désespérément, éhontément, au "feeling" du cinéaste. Sa mise en scène n'est pas un accomplissement, pas un travail déroulé, mais plutôt la résonance brute de son oreille artistique interne.
Ceux qui partagent sa sensibilité, et notamment sa capacité surnaturelle à trouver de la beauté dans tout ce qu'il croise, seront à leur place... Mais il faut quand même la chercher loin (en soi). Pour Dumont tout a l'air facile, autant ses décors pastoraux que les fausses notes des chanteurs, autant l'inaudibilité des paroles que le visage charmant de ses actrices, à ses yeux tout est magnifique. Dans sa tête il transforme notamment, à un niveau subliminal, chaque erreur en beauté "poétique" et "spirituelle", celle qu'on est bien aise de déclarer irrationnelle, parce qu'on ne saurait pas la défendre face à ceux qui chercheraient à la remettre en question. Il oublie peut-être l'avantage d'avoir discuté pendant plusieurs semaines avec ses interprètes, et de connaître la région de tournage à un niveau intime... Seulement, sans cette positivité extrême dès la ligne de départ, une fois que la surprise et l'humour se sont (rapidement) taris, difficile de ne pas soupirer devant les nonnes qui font du headbang et les fillettes qui récitent leurs dialogues comme des écolières pressées et maladroites.
Je ne dis pas que cette beauté n'existe pas. Au contraire, la capacité qu'a la musique à porter des émotions littéralement indescriptibles relève de l'évidence, pour tous ceux qui ont creusé un minimum leur propre goût. Les mécanismes de partage de la poésie sont, il me semble, plutôt similaires. Et je me réjouis d'habitude quand le cinéma tend vers ce dialogue direct et inconscient avec le public. Seulement je m'interroge : en mariant le mysticisme fervent d'un auteur nationaliste, les beats belligérants d'un musicien baroque-breakcore, et l'ingénuité d'interprètes jeunes et non professionnels... à partir de quel moment peut-on dire que Dumont en fait des tonnes pour essayer de générer un état de pensée exceptionnellement spécifique ? Et comment alors l'excuser pour cet étalage terriblement poussif, si déréglé soit-il, alors que je ne parviens même pas à croire en l'existence (et a fortiori la pertinence) de l'abstraction qu'il poursuit ? J'accepte de constater que le sentiment proposé n'existe pas en moi, mais je m'estime aussi en droit de juger l'orgueil du réalisateur plutôt pénible.
À travers Jeannette, Dumont voudrait qu'on voie ce qu'il pense. J'espère qu'il se rappellera, la prochaine fois, qu'on voit d'abord ce qu'il filme.