Irène se situe bien dans la lignée des deux autres Cavalier que j'ai eu la chance de découvrir, Vies et Le Paradis : des documentaires, dans le sens où ils filment le "réel", mais qui ne s'attachent pas moins à représenter des abstractions évasives et pourtant écrasantes, telles que la permanence arbitraire des souvenirs ou la culpabilité. Il résulte de cette tension une impression déroutante, comme si la fiction cherchait à s'infiltrer dans le réel (en général, c'est plus la réalité qui cherche à s'embellir, ou même simplement à se retrouver, dans le romanesque). C'est toujours pas sexy ni follement entraînant, mais c'est "autre", et ça satisfait pleinement mes attentes.
Armé de son seul caméscope, Alain part sur les traces d'Irène, son amante passionnelle décédée trente-cinq ans plus tôt. Il parle, s'adresse un peu à la caméra et au public, mais surtout à lui-même. Pour autant, le montage final n'est pas du tout fermé au spectateur : c'est une invitation à la fois à une confession (à certains moments, Alain parle à voix haute comme s'il n'appliquait plus aucun filtre de pensée... j'encourage d'ailleurs à pratiquer cet exercice de temps en temps, c'est parfois dur de faire face à ce qu'on déterre, mais l'honnêteté complète avec soi-même a quelque chose d'exaltant), et aussi à une enquête (puisqu'il se soucie plus de lui-même que du public, Alain n'a pas de motif de raconter son histoire avec Irène plus vite qu'au fil de ses propres redécouvertes, mais s'autorise par là même une narration qui aurait été manipulatrice dans d'autres contextes).
Parmi les filmeurs de leur propre intimité, il en est peu qui évitent les pièges de la prétention ou du larmoiement (désolé Chantal). Alain Cavalier, lui, pousse l'humilité et la simplicité jusqu'à ne jamais chercher à revendiquer la moindre richesse de sa proposition alternative de cinéma. Irène, c'est à la fois parcourir un vieux journal et en écrire un nouveau ; rouvrir des cicatrices pour mieux les panser. Irène, c'est aussi l'amour et l'altruisme à leur plus fort : désespérer de ne pas connaître intégralement l'être aimé, qu'il/elle soit condamné à toujours garder cette part de mystère ; se réveiller un jour, et s'apercevoir que son mystère s'est depuis des années mêlé au nôtre, désormais indissociables, inexplicables ; pour le meilleur et pour le pire, ensemble.
Excavation de souvenirs
Irène se situe bien dans la lignée des deux autres Cavalier que j'ai eu la chance de découvrir, Vies et Le Paradis : des documentaires, dans le sens où ils filment le "réel", mais qui ne s'attachent pas moins à représenter des abstractions évasives et pourtant écrasantes, telles que la permanence arbitraire des souvenirs ou la culpabilité. Il résulte de cette tension une impression déroutante, comme si la fiction cherchait à s'infiltrer dans le réel (en général, c'est plus la réalité qui cherche à s'embellir, ou même simplement à se retrouver, dans le romanesque). C'est toujours pas sexy ni follement entraînant, mais c'est "autre", et ça satisfait pleinement mes attentes.
Armé de son seul caméscope, Alain part sur les traces d'Irène, son amante passionnelle décédée trente-cinq ans plus tôt. Il parle, s'adresse un peu à la caméra et au public, mais surtout à lui-même. Pour autant, le montage final n'est pas du tout fermé au spectateur : c'est une invitation à la fois à une confession (à certains moments, Alain parle à voix haute comme s'il n'appliquait plus aucun filtre de pensée... j'encourage d'ailleurs à pratiquer cet exercice de temps en temps, c'est parfois dur de faire face à ce qu'on déterre, mais l'honnêteté complète avec soi-même a quelque chose d'exaltant), et aussi à une enquête (puisqu'il se soucie plus de lui-même que du public, Alain n'a pas de motif de raconter son histoire avec Irène plus vite qu'au fil de ses propres redécouvertes, mais s'autorise par là même une narration qui aurait été manipulatrice dans d'autres contextes).
Parmi les filmeurs de leur propre intimité, il en est peu qui évitent les pièges de la prétention ou du larmoiement (désolé Chantal). Alain Cavalier, lui, pousse l'humilité et la simplicité jusqu'à ne jamais chercher à revendiquer la moindre richesse de sa proposition alternative de cinéma. Irène, c'est à la fois parcourir un vieux journal et en écrire un nouveau ; rouvrir des cicatrices pour mieux les panser. Irène, c'est aussi l'amour et l'altruisme à leur plus fort : désespérer de ne pas connaître intégralement l'être aimé, qu'il/elle soit condamné à toujours garder cette part de mystère ; se réveiller un jour, et s'apercevoir que son mystère s'est depuis des années mêlé au nôtre, désormais indissociables, inexplicables ; pour le meilleur et pour le pire, ensemble.