Hibou

un film de Ramzy Bedia (2016)

vu le 30 juin 2016 aux Publicis Cinémas

Why are you wearing that stupid man suit?

L'influence de Quentin Dupieux qui se retrouvait dans La Tour 2 contrôle infernale (réalisation Éric Judor) et, à ce que j'ai entendu, dans Seuls Two (réalisation Éric et Ramzy) est, pour le coup, complètement absente du premier long-métrage signé par le seul Ramzy Bédia. Pas de grandes sensations de cinéma, mais une volonté tout de même encourageante de développer une esthétique personnelle, quoique discrète. On y retrouve des bouts de Her et The Double dans le clash modernité insensible/banlieue industrielle, même si bien sûr c'est fait avec trois bouts de ficelle et que ça reste grandement latent.

Je n'avais rien compris à la bande-annonce, et je dois avouer qu'il m'a fallu encore un peu de recul après la séance pour comprendre le sens de ce costume. Rocky, le perso de Ramzy, s'habille en peluche géante un peu comme un signe de protestation silencieuse : puisque le monde semble lui refuser d'exister, que ses collègues préfèrent l'ignorer, que les passants le bousculent sans le voir, alors il choisit de revendiquer cette condition avec un déguisement outré de l'animal qui observe, mais qu'on ne voit jamais. Ce n'est pas parce qu'ils se manifestent uniquement la nuit que les hiboux n'existent pas, proclame d'ailleurs une volontaire WWF sans doute trop subtile au regard du reste du scénario.

Cette affirmation de soi, même si elle indiffère l'entourage de Rocky pour qui il reste toujours invisible, lui permet en quelque sorte de se réapproprier sa personnalité et son quotidien. Le costume lui permet, non de se cacher aux yeux des autres, mais plutôt au contraire de revendiquer son droit à exister, de manifester qu'il ne se sentira plus gêné par ceux qui l'ignorent. Là où l'histoire déçoit, c'est que toutes les heureuses nouvelles qui suivent l'acte d'adoption du costume semblent tout de même découler d'une passivité indolente. La rencontre amoureuse avec Élodie Bouchez qui, elle, est déguisée en panda (la douceur et les yeux noirs de l'animal semblant compléter le grand-duc de Rocky), semble très fortuite, de la même façon que la redécouverte subite du costume qui va faire retrouver le sourire à Guy Marchand, le faux banjo qui va faire retrouver le sourire à Philippe Katerine, ou encore la promotion professionnelle scandaleusement miraculeuse.

Le fond du film paraît dès lors assez contradictoire : s'affirmer pour reprendre le contrôle de sa vie, et simultanément s'en remettre au destin pour voir arriver les bonnes rencontres et les heureux événements ? L'intrigue au bureau complique encore l'arrière-goût laissé par Hibou : avec cette promotion qui permet à Rocky de rentrer dans les bonnes grâces de sa hiérarchie et de ses collègues, qui oscillaient entre opportunisme et vanité, on se demande si le scénario veut dire que le protagoniste était initialement déviant et avait tort de juger ainsi ses associés, ou s'il ne fait pas plus de cas de cette réconciliation moralement trouble simplement parce qu'il a oublié en cours de route ce qu'il racontait. Le genre de question qui me laisse le sentiment de chercher des excuses à un film qui serait juste, au mieux maladroit, au pire inepte...

Et puis les interrogations que je formule maintenant ne traduisent pas non plus les sensations que j'ai éprouvées au cours de la séance. Au départ, le personnage de Rocky est assez attachant, et le récit parvient joliment à partager ses petites déconvenues quotidiennes. Mais, suite au virage que constitue l'apparition subite du costume, la réalisation s'attache avec plus de caractère aux pensées qui parcourent Rocky, et ce qu'elle perd en neutralité, elle le perd hélas aussi en efficacité : en collant aux visages et aux actes triviaux qui accompagnent la romance hibou-panda, le film bascule de la tendresse à la mièvrerie. Leur flirt anti-cinégénique est fidèle aux personnages, et sans nul doute réaliste, mais en ce qui me concerne, assister à ces bafouilles niaiseuses et ces gloussements innocents m'a surtout embarrassé.

L'apparition de Philippe Katerine presque dans son propre rôle, malgré le rapport évident tracé à la question du masque que l'on porte ou bien dont on est prisonnier en public, reste dans le même registre naïf, et en demi-teinte à côté de ses prestations réjouissantes dans Avril et le monde truqué, Gaz de France et même La Tour 2 contrôle infernale. La poignée de minutes avec François Rollin, écrites sans aucune saveur et interprétées comme par n'importe qui, déçoivent autrement plus douloureusement. Quant à Guy Marchand, chargé d'interpréter le père de Rocky, un ancien musicien isolé en maison de retraite et enfermé dans son mutisme, les scènes semblent pour le coup si déconnectées du ton léger et unifié du long-métrage qu'il est difficile d'y voir autre chose qu'une référence privée que Ramzy tenait à intégrer à son récit.

Voilà peut-être la faiblesse essentielle du projet, du point de vue de sa réception en salles : que Ramzy, au fil de Hibou, plonge dans son histoire personnelle au point d'en oublier les préoccupations du public. La démarche esthétique, présente et intéressante, se retrouve impossible à démêler d'une vision et d'un récit à ce point intimes que je peinais à trouver la motivation pour m'y investir. L'appréciation équivaut ici à l'empathie que l'on est capable de convoquer pour Ramzy : ceux qui veulent le connaître trouveront le film fidèle, sincère et pertinent, tandis que ceux qui ne sont pas intéressés par l'homme (au-delà du personnage comique) n'y verront qu'une fantaisie inutile et boiteuse. C'est bien d'égocentrisme qu'il s'agit, mais sans orgueil et en toute humilité. Juger Hibou revient à juger Ramzy : en ce qui me concerne, une telle situation est aussi gênante que curieuse.