Faits Divers

un film de Raymond Depardon (1983)

Entre le Canard et BFMTV

Je vois des gens écrire que Depardon nous rappelle ce que c'est que la réalité en nous montrant des victimes de viol et des violeurs, des kidnappeurs d'enfant, des drogués, des suicidaires, des mamies cliniquement séniles, d'autres plus simplement frontistes, et tutti quanti. Le titre est pas assez clair peut-être ? Faits Divers, c'est-à-dire tout ce qui va dévier de la rengaine tranquille du parigot et être un tant soit peu sensationnel. Mais faudrait pas confondre ça avec la vie quotidienne.

Je suis absolument pas en train de dire que ce multi-pan de société auquel est confronté le commissariat du 5ème est à ignorer. Au contraire, les images rapportées par Depardon montrent à quel point ces affaires (plus que "ces personnes", qui ne sont pas condamnées à être des "faits divers" d'un bout à l'autre de leur vie, loin de là) ont besoin d'une considération et d'une estime dont sont globalement incapables les policiers, désensibilisés par l'habitude en plus de la logique de l'emploi qui les pousse à suggérer avec insistance des arrangements à l'amiable discutables d'un point de vue juridique et moral. Mais il faut savoir faire la part des choses : ce documentaire complète la réalité, il n'est pas en train de la dévoiler ; même chez les idéalistes qui se seraient imaginé l'exercice de la loi à mille lieues de ça.

Du coup, je ne sais pas bien quoi faire de ce patchwork de drames éparpillés. Je vais surtout en retenir, je pense, l'attitude périodiquement douteuse de certains policiers, et les témoignages de "braves gens" recueillis en petit nombre, souvent atterrant de raccourcis (faut voir la mamie lambda qui pleure parce qu'elle veut foutre en taule un toxico... "ça me fait plus de mal qu'à toi", typiquement le genre d'attitude paternaliste qui me fait gerber). Mais il resterait beaucoup à explorer, il y aurait notamment un important débat à mener entre l'application stricte de la loi, les entorses ou modifications qui seraient nécessaires, et le pragmatisme bas-de-plafond dont ne peuvent se départir les policiers en poste.

Sauf que Depardon se dédouane de toute responsabilité. Il accompagne les agents avec sa caméra, filme les victimes, et passe à la séquence suivante. Sans son choix de montrer une nette bavure dans l'ultime scène (un fourgon démarre alors qu'une nana est accrochée à la portière, du coup elle se mange salement le pavé), je n'aurais même pas été convaincu qu'il était prêt à critiquer le corps de police (même si je ne l'avais pas attendu pour tenir ce regard). À côté de ça, il montre aussi quelques aspects positifs au sein des forces de l'ordre, dont une conception de la diversité qui ne serait plus du tout correcte dans les années 2010, mais là encore il laisse le public se débrouiller avec les images et se garde bien de structurer des réflexions nettes. Il y a une conscience sociale en action, mais que ce dispositif facile et décevant ne permet que d'entrevoir. Comme dans Les gens du Monde, on se retrouve avec un reportage assez manipulé pour poser les bonnes questions, mais bien trop peu pour esquisser la moindre réponse.

Et tant qu'on parle de choix de mise en scène : les squatteurs qui demandent poliment à ce que la caméra arrête de tourner, et en face les flics qui abusent de leur uniforme et Depardon qui continue sans broncher, ça me pose quand même problème. Radiographie sociale ou non, quand des types mal en point te demandent avec toute la civilité du monde de pas se servir de leur vie pour un film, et que toi tu les ignores sans même leur adresser la parole, alors t'es vraiment une ordure.